Frontières : l'anthologie des Imaginales 2021
Sous la direction de Stéphanie Nicot, l’anthologie des Imaginales 2021 intitulée Frontières regroupe 14 nouvelles d’autrices et auteurs francophones de l’imaginaire et est publiée aux éditions Mnémos. Acheté comme souvenir lors du festival si particulier de cette année, j’ai décidé de profiter du Winter short stories of SFFF pour la lire à raison d’une nouvelle par jour en décembre. Et voici ce que j’en ai pensé…
"Explorer c'est facile quand on le fait depuis l'intérieur de son lit, une couette moelleuse rabattue par-dessus la tête. On chasse les monstres d'un revers négligent de la main, on souffle sur les mauvais rêves pour qu'ils se dissipent. Mais la nuit finit toujours pas gagner." - La ville, ce soir-là de Jean-Claude Dunyach
Une diversité des genres, des styles et des interprétations du thème
Avec les 14 talentueuses plumes au sommaire réunies par Stéphanie Nicot, nul doute que l’anthologie ne pouvait être que très bonnes. Le thème des « frontières » est abordé de multiples manières ici, parfois même au sein d’un même texte. Il y a celles, physiques, que l’on traverse, que l’on protège, que l’on attaque, que l’on transgresse à nos risques et périls ou que l’on cherche à effacer. Et il y a celles, plus abstraites, soit celles de la vie et qu’on emprunte toutes et tous, comme le passage à l’âge adulte ou la mort, soit celles qui appartiennent purement à l’imaginaire et ouvrent le champ des possibles. J’ai lu 14 textes de qualité. Certains, évidemment, ont provoqué plus d’enthousiasme que d’autres, certains ne me resteront pas vraiment en mémoire quand d’autres ont provoqué des coups de cœur. Mais tous ces textes remplissent le pari de l’évasion. J’ai été ravie de découvrir la plume de Jean-Claude Dunyach ici, dont je retiens la subtilité, ou encore celle de Patrick Moran qui a créé un univers franchement grandiose. J’ai bien entendu aussi eu le plaisir de relire des autrices et auteurs que j’aime énormément, d’Estelle Faye, créatrice d’ambiance à Ariel Hozl, rêveur en passant par Thibaud Latil-Nicolas décidément à la hauteur. C’est aussi ça, l’anthologie des Imaginales, découvrir, confirmer et parfois se laisser à nouveau convaincre avec de belles surprises, comme la nouvelle de Raphaël Bardas l’a été pour moi. Voici un avis plus précis sur chacun de ces textes…
"Ce monde n'est plus pour les rêveurs, aussi je ne suis pas fâché de l'abandonner sous peu" - Johan Heliot
Les 14 nouvelles
La main à quatre doigts d’Estelle Faye:
Estelle Faye nous propose un texte un brin horrifique et mystérieux comme elle nous a déjà prouvé son talent à le faire avec Widjigo. L’ambiance est inquiétante et l’histoire s’installe à la frontière du monde des morts et de celui des vivants, au cœur d’une tempête… C’est une nouvelle gothique tout à fait immersive et ça fait une belle entrée en matière dans l’anthologie.
La danse de Salia de Charlotte Bousquet :
Je suis moins convaincue par ce texte. C’est bien écrit (comme toujours avec l’autrice) mais je n’ai pas réussi à visualiser la scène ni à saisir les véritables enjeux de cette nouvelle. On change cependant pleinement de registre avec une ambiance enflammée et un combat élémentaire très élégant. La frontière ici est celle de l’humanité, celle aussi qui se dresse devant nos rêves et face à laquelle Salia va se battre pour devenir elle-même.
La ville, ce soir-là de Jean-Claude Dunyach :
Très jolie nouvelle qui présente un univers original où la mort n’est plus un mystère mais une zone conquise et explorée dès 12 ans. Un parallèle très subtil avec la mort de l’enfance, de l’insouciance et des rêves. J’ai trouvé ça très beau. C’est doux et légèrement inquiétant et la plume est tout à fait envoûtante.
Le dernier royaume de Paul Beorn :
Encore un texte très intéressant. On est ici dans de la fantasy avec des dirigeantes avides de pouvoir et un pauvre commis de cuisine qui n’a rien demandé mais dont le destin le dépasse. Jolie exploration de frontière, là encore, et conclusion intense qui souligne le talent de l’auteur. La construction narrative facilite l’immersion et l’intérêt dès le début en créant le mystère. J’ai beaucoup aimé.
L’éthique du guerrier de Thibaud Latil-Nicolas:
Petit coup de cœur sur cette nouvelle préquelle à (l’excellent) Chevauche-brumes. Quel plaisir de retrouver les gars de la Compagnie, Quintaine, Murtion et les autres… ! Évidemment ça réveille de sacrées émotions quand on a lu la série mais c’est aussi une belle manière de faire leur connaissance. Très bien écrite, cette nouvelle aborde la défense d’une frontière de manière épique mais aussi et surtout celle entre le soldat et le bourreau. Superbe.
Exodus de Rachel Tanner:
Épique et réussi que cette nouvelle qui nous parle de fuir son territoire quand la frontière qui le borde est attaquée. Un texte aux frontières de l’historique (la guerre de Cent ans en France) et du légendaire avec un jeune héros plein de volonté malgré les obstacles. Une histoire d’exode donc mais aussi d’espoir de revanche.
Ulaanbaatar de Patrick Moran:
Cette nouvelle est un récit post-apo dont l’univers est si foisonnant qu’on l’imagine bien être développé en roman. C’est l’histoire d’une fuite épique qui permet de parcourir le fonctionnement de ce monde inégalitaire de réfugiés. C’est intense et ça nous donne envie de poursuivre la découverte de ce monde dont les frontières sont floues et pourtant toujours là. J’ai vraiment adoré !
Cieux d’artifice d’Ariel Holzl:
J’ai été happée par cette nouvelle douce-amère. L’auteur propose un univers steampunk plein d’onirisme avec l’équipe de romaniciel se laissant porté par le vent. Mais c’est aussi un texte sombre et touchant dont la fin est sacrément percutante. Très très réussi! Et belle exploration des frontières avec ce peuple sans patrie.
Comme un long hurlement d’acier aux frontières du réel de Johan Heliot:
C’est un très beau texte à la plume enlevée. L’auteur nous propose un univers riche et une ode à l'imagination et au rêve. L'intrigue reste assez énigmatique tout de même mais la ballade est fort belle et sa fin laisse un pincement au cœur. Une multiple exploration du thème des frontières encore une fois.
Les enfants prodigues de Floriane Soulas:
Cette nouvelle de détache très fortement des autres. On est dans du post-apo très futuriste avec une chercheuse qui veut tenter la première grossesse naturelle depuis 350 ans. Grande originalité, et ce jusqu’au final. Par contre, quand, comme moi, on est un peu angoissé par tout ce qui a trait à la maternité ce n’est pas forcément plaisant.
Les frontières de pluie de Loïc Henry:
C’est un étonnant mélange entre anticipation, SF militaire, planet opera et mythe breton. La nouvelle possède une ambiance bien à elle, très mystérieuse, dans laquelle on s’immerge sans peine. J’ai beaucoup aimé le final de ce récit ! Les frontières, ici, sont plus nombreuses qu’on ne le croit et les transgresser est un plaisir pour le lectorat.
Serrez à droite de Ketty Steward:
On est dans un registre anticipation plein de mystères ici. C’est une très courte nouvelle qui n’en dit décidément pas assez. Il y a une idée originale derrière mais on ne fait que la survoler en final et c’est plutôt frustrant. Pas forcément convaincue du coup…
Pépin et les tracas d’un roi de Sylvie Miller:
Je ne suis pas forcément convaincue par cette nouvelle qui use d’humour et de fantasy mais évoque aussi des réalités politiques. C’est une proposition intéressante dans son final et dans son annihilation des frontières dans un style « opposer pour mieux régner ». Mais je ne suis pas forcément cliente du côté caustique/taquin ici.
Coureur des bêtes de Raphaël Bardas:
Superbe fin de recueil avec une nouvelle qui a beaucoup de personnalité et souffle un vent de changement et de liberté qui achève le recueil en beauté en ouvrant les possibles. Excellent texte à l’univers riche et au récit efficace que signe ici Raphaël Bardas avec sa plume pleine de vie!
"Tu le sais mieux que quiconque, Coureur de bêtes, nul ne peut arrêter la liberté lorsqu'elle se faufile, car elle est comme le vent. On ne peut que créer une maison aux murs étanches pour l'empêcher d'y rentrer. Dresser des frontières de granit..." - Coureur des bêtes, Raphaël Bardas
En bref, Frontières : l’anthologie des Imaginales 2021 est une réussite. Si 3 ou 4 nouvelles m’ont laissé un peu plus de marbre, la majorité des textes proposés sont d’une grande richesse en termes de style et de propositions et tout le monde y trouvera son compte. Certains récits mériteraient d’être abordés plus longuement au cœur d’un format long, d’autres nous laissent avec de belles émotions en tête… voici un beau souvenir du festival des Imaginales ou, pour celles et ceux qui n’ont pas pu y participer, un savoureux réconfort.
(Illustration de couverture : © Stéphane Fert)
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- Lectures 2 à 15 pour le Challenge Winter short stories of SFFF de Célinedanaë avec bonus auteur/autrice francophone, bonus éclectisme des genres et bonus ville pour Ulaanbaatar -
* Lecture pour le challenge ABC de l’Imaginaire 2021 de Mariejuliet : lettre X *
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