Interview avec Morgan of Glencoe

Autrice, conteuse, harpiste, bretonne, Morgan of Glencoe est une artiste bercée d’imaginaire et de légendes celtes. En parallèle de sa carrière musicale (débutée avec le groupe Les Ménestrels des Terres de Lune avant une carrière solo aujourd’hui), elle écrit et auto-édite quelques ouvrages dont Si loin du Soleil, le premier tome de La dernière geste. Repérée alors par Audrey Alwett, la série sera finalement publiée chez ActuSf dans la collection Naos avec un premier chant en 2019 sous le titre Dans l’ombre de Paris. Le troisième chant (sur 5) vient de sortir et il s’intitule Ordalie. J’ai eu la chance de la rencontrer aux Imaginales pour un petit entretien très agréable dont voici la retranscription.

Pour retrouver Morgan of Glencoe: son site internet / sa chaîne Twitch / sa chaîne Youtube / son Patreon 

Mes critiques de La dernière geste: Premier chant, Dans l’ombre de Paris / Deuxième chant, L’héritage du rail

 

En quelques mots, pour ceux qui te découvrent, qui est Morgan of Glencoe?

Je suis un bébé phoque stellaire à paillettes! 

Plus sérieusement, je m’appelle Morgan of Glencoe et je suis autrice, compositrice et musicienne professionnelle. Et oui, ce sont vraiment mes boulots, et non, je n’en ai pas d’autres cachés. Je suis de Bretagne, originaire de la forêt de Brocéliande. Et oui, j’y habite aussi. Donc je suis vraiment un bébé phoque qui habite dans une forêt, il n’y a aucun problème biologique avec ça. Je bois trop de thé, je suis l’autrice de La dernière geste, je joue de la musique et j’ai des chatons. 

Bon ça n’a aucun sens mais c’est très bien comme présentation. 

Alors que le troisième tome vient de sortir, peux-tu nous dire de quoi parle La dernière geste en quelques mots, bien que ce soit difficile à résumer?

C’est impossible à résumer en effet. Mais dans La dernière geste il y a des fées, des légendes celtes, des flingues, des trains géants, une princesse qui a beaucoup trop de répartie pour son propre bien et un chat qui change de couleur. 

 

Dans L’Ombre de Paris est d’abord paru en auto-édition sous le titre Si loin du soleil, est-ce que l’auto-édition est quelque chose que tu pourrais retenter à l’avenir, éventuellement sur d’autres titres ou est-ce que tu envisages plutôt de rester dans le monde l’édition voire de faire un peu des deux? 

Je suis toujours autrice hybride parce que j’ai toujours deux titres auto-édités (Des étoiles dans la peau et Le goût des embruns). Le truc, c’est que l’auto-édition demande beaucoup d’énergie. Ça demande d’être professionnelle sur tous les fronts, de bien s’entourer aussi. Je suis aussi musicienne professionnelle auto-produite ce qui demande déjà beaucoup d’énergie. Enfin, maintenant je ne suis pas tout à fait auto-produite car j’ai deux producteurs, youpi! Mais ça demande quand même beaucoup de temps. Du coup, c’est vraiment reposant d’être chez un éditeur, surtout que j’ai la chance d’avoir vraiment un très bon éditeur qui fait confiance même s’il sous-estime encore un peu mes capacités à vendre en salon. La dernière fois il n’avait pas prévu assez de bouquins et que j’ai fait sold out. Mais en même temps, j’ai fait sold out et j’en suis très fière du coup. 

Je pense que si j’ai des projets impossible à publier, impossible à financer par un éditeur, je les ferai en auto-édition parce que je sais le faire et que je suis capable de le faire. Après, tant que ce sera possible à publier chez un éditeur, j’avoue que c’est quand même plus reposant et qu’à un moment donné, conserver son énergie est aussi important. L’auto-édition soit vous le faîtes à moitié, comme un guignol, et vous perdez votre crédibilité, soit vous le faîtes bien mais ça vous aspire votre temps et votre force vitale.

Nous en sommes au troisième tome, tu écris actuellement le quatrième. Est-ce que l’idée de devoir un jour quitter l’univers te fait peur?

Déjà, il y a 5 tomes dans la saga principale mais il y a aussi un tome zéro qui est un préquel et un contrechant qui est un genre de 6ème tome bonus sauvage. Ensuite, il est possible que j’écrive un certain nombre de préquels parce que il y a des personnages qui s’y portent. Il existe déjà un préquel que je sors en feuilleton pour mes Patreon à raison d’un épisode ou deux par an, sur la jeunesse de Sir Edward parce que je n’arrivais pas à quitter ce personnage. Donc il y a un tas de trucs autour de la série principale. Mais je m’apprête déjà à aller voir ailleurs. J’ai actuellement d’autres projets d’écriture que je vais publier en même temps que la fin de La dernière geste parce que je ne veux pas que les gens n’associe Morgan of Glencoe qu’à cet univers. Alors oui, c’est mon univers de coeur et si on me demande dans quel univers je veux vivre, c’est vraiment en Keltia. Mais ce n’est pas le seul que je veux explorer et ce n’est pas le seul dans ma tête. Du coup, j’ai des projets en ce moment plus pour les enfants et d’autres plus adultes, là où La dernière geste est de 13 ans à pas d’âge. 

Peux-tu nous en dire un peu plus sur ces projets ou pas encore?

Oui, même si ce sont des projets qui, pour l’instant, n’ont pas d’éditeur et sont complètement en rush. Pour le projet adulte, il y en a un aperçu dans l’Anthologie des Utopiales 2020 avec la nouvelle La piste des oiseaux. Jérôme (Vincent), mon éditeur, m’a dit que ça restait un peu sur sa faim et qu’on en voudrait plus avec les Wings. Je suis d’accord avec lui. Il est possible que La piste des oiseaux soit le chapitre central d’un roman plus grand qui changerait de point de vue entre les différents Wings. Enfin, vous comprendrez ce que je veux dire si vous avez lu cette nouvelle. 

Pour le projet enfant, je ne peux pas encore en dire trop car c’est encore en germes. Mais mon idée ce serait de revenir aux légendes bretonnes pour de vrai. Je vois souvent des adaptations de légendes bretonnes où les gens récupèrent un ou deux trucs de ces légendes qu’ils déforment complètement. Et c’est super! Je tiens à signaler que je valide cette approche parce que les légendes sont faîtes pour qu’on se les approprie. Mais j’aimerai aussi que ces légendes soient connues dans leur tradition première. J’avais envie de faire une série de bouquins pour enfants avec des korrigans, des bugul-noz, l’ankou et tout le tralala mais vraiment sortis de la tradition et donc tout avec tout ce que ça implique dans la tradition des légendes bretonnes avec lesquelles j’ai grandi. Je veux vraiment respecter les mythes à la lettre mais en suivant une gamine de notre époque pour les confronter à notre monde actuel sans les adapter. 

C’est un peu une exclu parce que j’en ai pas encore parlé en interview.

 

C’est une Breaking news alors! 

Quand j’ai fini Dans l’ombre de Paris, tu m’as demandé quel était mon personnage préféré. Je te retourne la question. Quel est ton personnage préféré dans La dernière geste et pourquoi?

Non non, là tu demandes à un parent de choisir entre ses gosses. C’est comme si tu me demandais de choisir entre mes deux chats, c’est cruel. Non, je ne peux pas choisir un personnage. 

Après, je peux dire quelque chose vis-à-vis des lecteurs et des lectrices: ça me fait très plaisir que les gens aiment de plus en plus Yuri. Yuri a été un personnage difficile à écrire parce que c’est un personnage à qui je voulais qu’on ait d’abord envie de coller des tartes. Et c’est le cas. On a envie de la secouer, de lui ordonner de se bouger. Je voulais que ce soit la réaction du public et, de fait, une grande partie du public a eu cette réaction. Mais de tome en tome, je vois de plus en gens venir me voir pour me dire que Yuri leur plait de plus en plus. Elle se révèle à elle-même, en même temps qu’elle se relève au lecteur. Ce qui était intéressant, c’était de prendre un personnage qui ne se connaissait pas elle-même et de la faire se découvrir en même temps que le lecteur la découvre. Dans Ordalie, je sais que les gens vont être fous parce qu’elle a enfin réussi à se mettre en accord avec la personne qu’elle est. Enfin! Après toutes ces dissonances cognitives dans les deux premiers tomes! Même si la quête d’elle-même n’est pas achevée parce que c’est la que^te de toute une vie. Je suis ravie de l’évolution de l’accueil de Yuri parce qu’à la sortie du premier livre, plein de gens étaient durs avec elle pour sa passivité. Mais elle ne pouvait pas faire plus à ce moment-là, personne à sa place n’en aurait été capable. Vous lui demandiez d’être une héroïne mais Yuri est une personne. Je suis vraiment fière de ce personnage et je pense qu’elle peut faire du bien à beaucoup de gens. C’est la preuve qu’on peut devenir quelqu’un d’autre et qu’on n’est pas défini par nos blessures passées ni par notre éducation, si tant est qu’on accepte un jour de s’y confronter et de tout foutre en l’air, et ce même si c’est dur. Yuri rame, elle rame beaucoup, mais elle le fait. 

Je suis également contente de l’accueil qu’ont reçu Bran et Ren. C’est pour moi le trio de tête avec Yuri. J’ai juste un petit souci avec Bran, c’est que beaucoup pensent que c’est un personnage féminin. Bran n’est pas un personnage féminin. Une baleine peu être un mâle, tout comme une belette ou une chauve-souris, il en est de même pour une selkie. C’est son espèce, c’est ainsi que ça se dit. Et je ne révélerais jamais ce que Bran a entre les jambes. Je ne suis même pas sûre de savoir moi-même et ce n’est pas intéressant. Mais ce personnage a eu un vrai écho chez les gens concernés. Hier, par exemple, une personne est venue me dire en dédicaces que ça lui avait fait du bien d’avoir ce personnage qui sort des clous. Bran est aussi un personnage qui évolue dans la série, ce qui est difficile parce que c’est un personnage très puissant, éhontément puissant par rapport au reste de l’univers. Ce qui est intéressant avec Bran c’est de voir que la limite à la puissance c’est le consentement des autres. Iel ne peut pas passer outre ce consentement, ce qui paradoxalement une limite énorme.

Pour Ren aussi, j’aime que beaucoup de garçons viennent me dire qu’il leur fait du bien. Ren est loin de la masculinité classique. Pour lui, se battre c’est non, soigner les gens c’est bien, câliner un chat aussi, écouter de la musique tranquillement en câlinant des chats c’est encore mieux. Il fait du bien à plusieurs garçons parce que oui, c’est un mec, il assume parfaitement d’en être un, mais non ce n’est pas un mec viril et il s’en fout. Lui aussi connaît une très belle évolution de cette personne enfermée dans son train-train, ahah j’ai fait ma blague nulle, et qui en sort à la fois par amour et par envie d’aventures. 

Je pourrai parler de tous mes personnages pendant des heures. Je les aime tous. J’aime même Aliénor et Louis-Philippe, c’est dire!

 

Dans tous ces personnages, il y a une grande diversité, que ce soit de personnalité, d’origine, de genre, de préférences sexuelles. Est-ce important pour toi d’inclure cette diversité dans ton oeuvre?

Si on regarde tous les personnages de La dernière geste, aucun n’est fait pour être le héros d’une histoire et pourtant ils le sont tous à leur manière. Ce sont tous des héros involontaires, sans être dans anti-héros non plus. 

Et oui c’est important d’avoir de la diversité parce que c’est quelque chose que je n’ai pas assez retrouvé dans les livres que j’ai lu. Il y a un conseil entre écrivains, c’est « n’écris pas le livre que tu as aimé, écris le livre dont tu aurais eu besoin ». J’aurai eu besoin d’un livre qui me montre que les personnes n’entrent pas dans des cases. On dit toujours qu’on entre pas dans le moule mais personne ne le fait. Ce moule est une illusion totale. On a tendance à faire des héros qui correspondent à des idéaux. Or, chez moi, ils sont tous un peu cassés et font erreurs plus grosses qu’eux à longueur de temps. Je voulais écrire un livre où, non seulement n’importe qui pourrait trouver un personnage qui lui ressemble de près, de loin ou par le milieu, mais en plus, où n’importe qui pourrait trouver quelqu’un à qui il a envie de ressembler. On fonctionne aussi par projection.

Je me rappellerai toujours du temps où c’était auto-édité, il y a avait une gamine, elle devait avoir 14/15 ans, tout mignonne avec des couettes, ultra cute, habillée tout jolie. Elle vient me voir pour me dire qu’elle l’a lu et qu’elle a adoré et je lui pose la fameuse question du personnage préféré. Elle me répond « Camille Trente-Chênes, je veux être comme elle quand je serai grande ». C’était génial, parce que cette petite crevette blonde à couettes s’était accrochée au personnage le plus opposé à elle. Je ne lui avais pas donné à un personnage auquel s’identifier mais un personnage à admirer, un personnage à qui apprendre à ressembler pour se rapprocher de qui elle est vraiment. 

 

J’ai un peu peur de poser cette question. Ordalie, ça signifie quand même des choses pas très chouettes en perspective, des épreuves, des obstacles importants. Sans spoiler, est-ce qu’on doit prévoir un stock de mouchoirs? Et si oui, à quand la box collector La dernière geste+mouchoirs?

De toute façon, avec moi, grande chialeuse devant l’éternel, je pars du principe que si tu ne pleures pas en lisant un de mes livres c’est que j’ai raté le livre. Et je pense que dans L’héritage des rails on a pleuré, un peu de joie aussi, de rire, avec la scène des pyjamas. J’ai quand même traumatisé pas mal de gens avec le tome 1 aussi. Pour Ordalie, prévoyez aussi les mouchoirs, autant pour pleurer de rire que de tristesse. Comme m’a dit Estelle Faye, tu nous prends, tu nous mets dans 50 émotions différentes et après tu nous lâches sauvagement. Je ne suis pas la meilleure autrice de l’univers mais, ça, je sais le faire.

Je ne suis pas encore assez connue pour faire un partenariat avec Kleenex mais j’adorerai sortir en goodies des mouchoirs à l’effigie de la rame 5 ou avec un symbole par personnages. Mais ça coûte des sous et ActuSf sort de deux ans de crise, puisqu’ils vendent principalement en salon, et je dois rester réaliste vis-à-vis des réalités du métier. Mais j’ai déjà fait des goodies de La dernière geste et ce sera peut-être un bonus sur Patreon comme je leur fais un cadeau de Noël chaque année. Les Patreon ont par exemple reçu des figurines collector de La dernière geste avec le set de dés assortis pour le jour où ça existera en JDR.

 

Souhaites-tu justement une adaptation de La dernière geste sous d’autres format, BD, Jeux de rôle, série, etc. ?

Le jeu de rôle prendra le temps qu’il prendra mais il existera un jour. J’ai déjà les règles écrites, il faut écrire le livre de l’univers lié. Le reste, je n’ai pas encore de projet d’adaptation. J’aimerai un jour faire un évènement de La dernière geste. Je voulais le faire pour la sortie du tome 2 mais ça n’a pas été sanitairement possible. Je voudrai organiser cela un jour avec notamment un concours de cosplay. 

 

As-tu un coup de coeur en BD, romans, jeux ou films/séries que tu souhaites partager avec nous?

Je suis très très fan d’une autrice française qui est pour moi la plus belle plume actuelle de la francophonie. C’est Estelle Faye. Là, j’ai lu L’arpenteuse de rêves (Nathan) et c’est vraiment trop cool. C’est du jeunesse et ça se lit comme un bonbon. Je suis une fan absolue d’Un éclat de givre (Les moutons électriques) et d’Un reflet de lune (ActuSf). J’ai aussi pris Widjigo qui va faire un peu plus peur donc j’attends une bonne grosse tempête pour le lire dans la bonne ambiance. Je suis une fan absolue de son boulot, quoi qu’elle fasse. Elle écrit merveilleusement bien. Ses personnages sont hyper attachants et elle te retourne les tripes à chaque fois d’une manière différente. Il y a une imagination dingue et en même temps une humanité folle. C’est un coup de coeur qui dure avec Estelle. Elle se renouvèle à chaque fois tout en restant elle-même. Et je sais qu’à chaque fois, ça va être bien.

Merci pour ce moment Morgan of Glencoe! 

Comments

Chouette cette interview ! Très dense en plus, vous avez du passer un bon moment. C'est sympa en plus de lire une interview quand on a rencontré les personnes, parce que du coup j'entends l'intonation de la voix de Morgan, j'imagine bien ses petits traits d'humour aussi.

Je t'ai aussi imaginée en train de faire la danse de la joie dans ta tête quand elle évoque la possibilité d'un jeu de rôle avec un concours de cosplay ;-)

Bon, j'ai pas encore commencé la série, mais OK, je prévois les mouchoirs !

Très chouette interview en tout cas !

Haha oui, on entend bien sa voix dans ses réponses, tout comme on y perçoit sa bienveillance et son sourire. Et oui, le côté cosplay a entraîné une discussion à rallonge par après et des questions supplémentaires en off ^^

Add new comment