Interview avec Adrien Mangold
Adrien Mangold est un auteur édité aux éditions de L’Homme sans Nom. Ingénieur, il est l’auteur de deux romans de science-fiction indépendant, mais se déroulant dans le même univers: Seconde humanité & Prototypes. Le 17 juin, son troisième roman, Journal intime d’un Dieu omniscient paraîtra chez le même éditeur. Il s’agit cette fois de fantasy. J’ai eu le plaisir d’échanger avec lui lors des Imaginales 2022, le vendredi 20 mai, pour parler de son parcours et de ce roman à venir.
En quelques mots, pour ceux qui te découvrent, qui est Adrien Mangold (bien que s’ils sont sur mon site, je ne sais pas comment ils font pour ne pas déjà te connaître ;) )?
Adrien Mangold c’est un auteur de science-fiction et depuis hier, de fantasy. J’ai écrit deux livres de science-fiction, Seconde humanité qui est du post-apo, et Prototypes, qui est un thriller de science-fiction plus dystopique. Et puis j’ai fait mon entrée en fantasy aux Imaginales hier avec l’avant-première de Journal intime d’un Dieu omniscient.
Tu as commencé à être publié avec le roman Seconde humanité si je ne me trompe pas…
Oui, même si j’avais commencé par la publication d’une nouvelle pour L’Homme sans nom dans Un noël sans nom mais c’est plus anecdotique.
Oui, c’est exact. Avant d’écrire ce roman, avais-tu déjà écrit d’autres textes? Des choses qui n’ont jamais été publiées et qui pourraient éventuellement ressurgir un jour?
En fait, ces textes-là sont ceux qui ressurgissent aujourd’hui. La première version de mon premier livre, Seconde humanité, a été écrite à peu près 10 ans avant d’être publiée. Ce sont des projets d’adolescents, n’ayons pas peur des mots, qui ont été travaillés des années, réécrits et torturés avec l’éditeur et parfois même au point de devoir tout effacer et tout réécrire. Ce fut le cas pour Prototypes notamment. J’ai la chance d’avoir poussé mes projets jusqu’au bout à chaque fois et j’en ai encore quelques uns dans les cartons donc c’est pour ça que je peux avoir un rythme de parution qui semble soutenu et qui peut donner l’impression que j’écris vite. Mais ce n’est pas le cas du tout parce que je travaille ces textes depuis très longtemps en réalité.
Seconde humanité, qui, je le répète, est un roman formidable (lisez-le), contient un roman enchâssé dans le roman. Pour un premier roman c’est une construction assez audacieuse! Comment a-t-il été écrit? Est-ce que l’idée d’enchâssement s’est imposée dès le départ?
À la base, Seconde humanité c’était deux romans différents, comme Prototypes d’ailleurs. Les deux parties ont été écrites l’une après l’autre tout simplement et pas du tout dans l’ordre dans lequel on les lit aujourd’hui. Le roman qui enchâsse l’autre, avec César Séfria, a été écrit après. Le premier roman écrit est celui du manuscrit enchâssé avec Pino. Il y avait déjà cette idée que César Séfria lisait le manuscrit qui a été finalement enchâssé mais ce n’est pas du tout quelque chose que j’avais présenté comme tel à l’éditeur. Je lui avais envoyé deux manuscrits différents avec des passerelles, l’un renvoyant à l’autre et c’est Dimitri Pawlowski qui m’a proposé de pousser l’idée jusqu’au bout finalement. Il m’a dit que quitte à avoir pensé à ça, il fallait jouer le jeu dans la maquette en proposant deux livres en un. L’idée était là à l’écriture mais c’est vraiment l’édition qui a rendu ce livre possible parce que pour un premier roman je n’aurai jamais tenté cette construction complexe.
Tu as déjà écrit deux romans de SF dans le même univers, puisque ton second roman Prototypes se déroule dans le même monde que Seconde humanité. Est-ce que ce retour à l’univers de ton premier roman était prévu ou s’est-il imposé de lui-même lors de l’écriture de Seconde humanité?
J’ai une sorte de fil conducteur dans tout ce que j’écris. En fait, tout est plus ou moins lié de près ou de loin. Dès l’écriture, c’était donc déjà établi que les univers allaient se renvoyer la balle à un moment ou à un autre. Pour illustrer cela, l’ordre d’écriture n’est pas tout le même que l’ordre de parution. J’ai écris d’abord la première partie de Prototypes, ensuite j’ai écris le roman enchâssé de Seconde humanité, puis la deuxième partie de Prototypes, puis le roman qui enchâsse… C’est aussi pour ça qu’on retrouve des éléments de Prototypes dans Seconde humanité. Ça a toujours fait partie d’un tout dans ma tête.
Est-ce que c’est un univers que tu souhaites explorer encore plus tard?
Je l’espère oui.
Et éventuellement sous d’autres format que le roman?
Si j’ai l’occasion, volontiers. Mais moi en tout cas, de mon coté, je ne travaille que sur des romans jusqu’à ce qu’il y ait une boîte ou quelqu’un qui me propose quelque chose et là ce sera avec plaisir que ce soit pour une adaptation en bande dessinée, en jeux de rôles ou autres…
Dans tes deux premiers romans, tu nous parles des dangers du progrès, d’effondrement climatique et de l’égoïsme d’une grande partie de l’humanité. Est-ce que tu conserves malgré tout un soupçon d’optimisme sur l’avenir ou est-ce que tu fais partie de la team « on est foutus » ?
Je ne suis pas du tout dans la team « on est foutus ». D’ailleurs, les romans ne se terminent jamais ni mal ni bien en réalité. Il y a toujours ces deux parts, le mauvais pan de l’évolution et tout autant les bonnes personnes qui essayent de faire avancer les choses dans le bon sens. Et mine de rien, l’univers décrit dans Prototypes, ce n’est pas un univers sombre et dystopique comme on peut voir dans Altered Carbon ou Blade runner. La ville se veut agréable, les conditions de vie aussi. J’y raconte peut-être des choses un peu tragiques mais j’ai envie de donner une idée un peu lumineuse de ce qui nous attend, ce qui n’empêche pas de mettre du drame dans les intrigues. C’est le principe d’ailleurs de Seconde humanité. On ne commence pas le roman au moment où tout est ravagé. Le roman commence même sur une scène assez joyeuse, même si elle ne dure pas très longtemps.
Ton prochain roman, Journal intime d’un Dieu omniscient paraît le 17 juin, peux-tu nous le présenter?
Je vais faire le pitch que j’ai eu une journée pour roder! C’est encore en cours de rodage. Journal intime d’un Dieu omniscient c’est l’histoire d’un Dieu qui régit sa planète et qui s’ennuie au moment d’écrire son journal. C’est pour ça d’ailleurs qu’il décide de l’écrire. Il profite du temps libre qu’il a pour faire découvrir son monde au lecteur. Et pour ça, il va décider de choisir quatre personnages totalement par hasard sur sa planète et les présenter. Il se rend vite compte que ce sont des personnes tout à fait ordinaires puisque choisies au hasard. Elles ne sont pas particulièrement bien placées dans la société ni exceptionnelles. Ce ne sont pas de grands guerriers ni de grand dirigeants. Donc pour pimenter un peu les choses, il va se donner lui-même un défi: rassembler ces quatre personnages au même endroit en même temps avant la fin du journal. C’est un pari qu’il fait avec lui-même et le lecteur. Il va y mettre pas mal d’efforts, ça va être finalement plus compliqué que prévu puisqu’il a beau être omniscient il veut aussi que son influence reste cachée. Et pendant qu’il est accaparé par ce défi anodin, il doit pourtant continuer à gérer sa planète. Mais il va un peu oublier ses obligations et se prendre les pieds dans la tapis tout Dieu qu’il est. Et on va voir comment il va réussir à joindre les deux bouts entre sa planète à gérer et le défi qu’il s’est donné et qu’il veut réussir par respect pour le lecteur de son journal.
Ce nouveau roman appartient au genre de la fantasy cette fois. Qu’est-ce qui t’as amené à ce changement de genre, toi qui a un parcours scientifique et a écrit de la science-fiction jusque là? Est-ce que ce changement a été une envie de changement ou une impulsion de l’éditeur?
Un peu des deux. L’éditeur a clairement son rôle là-dedans mais on parlait tout à l’heure de projets qui ressortent des cartons longtemps après et il se trouve que le tout premier texte que j’avais écris était de la fantasy. Il s’appelait Les chroniques d’Astria et en fait c’est ce qui sort aujourd’hui. Alors il n’en reste en substance à peu près rien. J’avais arrêté le projet en cours à l’époque parce que je me rendais compte de ses limites. J’étais un ado fan du Seigneur des anneaux et comme beaucoup d’ados fans du Seigneur des anneaux qui se mettent à écrire, ils font de la fantasy qui ressemble un peu au Seigneur des anneaux. Je m’en étais rendu compte et ça ne me plaisait pas plus que ça d’écrire quelque chose qui était déjà vu mille fois. Donc j’ai arrêté en cours et je suis parti vers la science-fiction où je pensais avoir moins d’influences sur mon écriture. Mais j’avais toujours cet univers-là en tête où il a eu le temps de murir pendant 10 ans avant que j’y retourne. Il n’a plus rien à voir aujourd’hui avec sa première version et je n’en ai finalement gardé que quelques éléments anecdotiques: le nom de la planète et une race de personnages. Sinon tout a changé, y compris le concept même du livre. J’avais donc toujours cette envie de fantasy implantée au fond de moi mais c’est l’éditeur qui est allé la rechercher. Il m’a dit « tu as deux livres de science-fiction, et pour élargir ton catalogue d’auteur et ton lectorat, il serait bien que tu proposes quelque chose de totalement différent, quelque chose de nouveau ». J’ai donc repris cette vieille idée jamais aboutie et je l’ai reprise à zéro pour répondre à la demande de l’éditeur. Mais je ne l’aurai pas fait si je n’avais pas eu envie de le faire puisque je n’aime pas écrire sur commande. Ce n’est pas mon objectif.
Est-ce que tu envisages à l’avenir de t’essayer à d’autres genres littéraires, y compris hors SFFF?
Oui. Il y a des projets en cours à vrai dire. C’est compliqué parce que sortir du cercle de l’imaginaire ça veut dire redémarcher des éditeurs qu’on ne connaît pas du tout. On redevient personne et on se reprend des tas de refus, je peux en témoigner. Ça donne le sentiment d’un retour à la case départ mais je pense que c’est nécessaire pour le long-terme et ça fait du bien de se rappeler que tout reste à faire à chaque manuscrit. Ça challenge un petit peu. Donc oui, j’aimerai bien écrire de la blanche. La frontière entre l’imaginaire et la blanche est parfois mince aussi… J’espère d’ici deux, trois ans, même avant d’ailleurs, pouvoir en dire un peu plus.
Des trois récits que j’ai lu signé de ton nom, en comptant la nouvelle dans le recueil Un noël sans nom, tu sembles avoir un goût pour les constructions narratives un peu complexes, est-ce que ce prochain roman a une narration plus « classique »?
Alors non, le prochain roman est aussi de cette gamme-là mais encore différent. On est pas du tout dans du roman enchâssé ou dans du changement de point de vue à la mi-roman. Mais c’est du roman choral mais avec un rythme particulièrement soutenu, avec beaucoup de chemins qui partent dans tous les sens et se rejoignent un peu à la manière du premier tome des Kerns de l’oubli qui m’a beaucoup influencé. Mais je n’en dirais pas plus.
Ce n’est pas forcément une volonté. J’ai aussi écrit des choses plus classiques dans leur narration. D’ailleurs j’espère que ça fera partie des prochaines publications parce que ce n’est pas simple à gérer. Après c’est aussi marrant à l’écriture, ça challenge et ça permet de ne pas se lasser quand on écrit mais ça fait aussi parfois du bien de revenir à des chose plus faciles.
Tu nous parlais tout à l’heure de l’influence du Seigneur des anneaux dans tes premiers écrits. Quelles sont tes influences en terme d’écriture? Qu’est-ce qui t’inspire en général?
Beaucoup de choses! Je vais pas pouvoir toutes les citer et en oublier les 3/4. Mais, déjà, si on reste dans la fiction, le cinéma m’influence beaucoup plus que la lecture en réalité. Pour les lectures j’ai été influencé par Asimov et le cycle de Fondation. Je pense aussi que Dan Simmons m’a également influencé notamment avec la première partie d’Hypérion et ses portraits de personnages où j’ai trouvé des choses très fortes. Sinon ce sont surtout des ambiances, des manières de raconter des choses.
En film, je pense à Bienvenue à Gattaca que je cite toujours en premier. Ce n’est pas un film qui se veut épique, mais sans grand enjeux. Il se concentre sur une personne qui vient avec ses problèmes et qui veut se dépasser pour aller au bout de son rêve. C’est des enjeux que j’aime bien. D’ailleurs, dans Le journal intime d’un Dieu omniscient, la plus grosse difficulté du livre c’est que c’est de la fantasy qui se veut tout sauf épique. Il n’y a pas de grande guerre, il n’y a pas de batailles, de royaumes qui s’affrontent, d’enjeux politiques majeurs. Les enjeux viennent progressivement, évidemment, et de la tension et des intrigues se tissent mais tout ça part vraiment de quatre personnes anonymes et ordinaires. C’est finalement là qu’il y a le plus de choses à raconter et c’est ce qui va permettre d’explorer plein de facettes, plus personnelles, plus psychologiques, avec des tranches de vie différentes qui abordent plusieurs façons de penser et des comportement différents.
Pour revenir à la question, je pense que beaucoup de films m’ont influencé outre Bienvenue à Gattaca. Quand j’étais ado j’aimais beaucoup les James Bond par exemple et il en reste quelque chose dans Prototypes où on trouve plusieurs références à GoldenEye, même si elles sont très cachées. Je pourrai citer aussi District 9, Equilibrium, … tous ces films-là.
En dehors de la fiction, le quotidien m’inspire. J’observe beaucoup, j’ai toujours aimé observer même quand j’étais étudiant. Même en soirée, j’étais plutôt dans un coin de la salle à regarder ce qu’il se passait. On peut raconter beaucoup de choses à partir des gens autour de nous et même de sa famille, de ses amis, des choses bonnes ou difficiles qu’on apprend ou qu’on vit. Le monde réel est ma première source d’inspiration en réalité.
Comme mon rôle de blogueuse est de créer des échanges et des partages, est-ce que tu veux nous partager un coup de coeur pour une oeuvre (BD/roman/jeux/films/série) à ton tour?
Je vais citer trois films. Le premier c’est sans doute le plus évident de la part d’un auteur de SF: ça va être Inception de Nolan, une grosse claque cinématographique pour moi. Mais dans les films qui m’ont le plus touché personnellement j’ai envie de dire Big Fish. Alors ça ne plait pas à tout le monde mais je me reconnais énormément là-dedans. Il jongle entre réalité et imaginaire, et questionne comment l’un sert l’autre, ou le dessert. C’est magnifique. Et en troisième, même si je ne l’ai vu qu’une seule fois, il m’a énormément marqué, c’est Le cercle des poètes disparus. Un peu pour les mêmes raisons que Big Fish.
J’ai une question concernant la Team de l’Homme sans nom. Je vous amène souvent à manger, mais qui est le ou la plus gourmande qui en profite plus que les autres?
Alors là, la question c’est surtout est-ce que je suis honnête ou pas…
Je pourrai balancer d’anciens collègues qui avaient cette réputation-là mais maintenant qu’ils ne sont plus là je crois que c’est moi qui ait repris le flambeau. Tant pis, j’assume cette réputation, ça me va.
Et puisque nous nous rencontrons aux Imaginales, si tu devais décrire les Imaginales avec un seul mot ce serait lequel?
J’en ai plusieurs qui me viennent à l’esprit. Je pense qu’en tant qu’auteur, en tant que lecteur aussi, c’est « incontournable ». C’est le rendez-vous à ne pas manquer. À la fois parce que c’est là qu’on rencontre énormément de public et de maisons d’éditions. Pour des raisons professionnelles c’est vraiment un grand vivier avec de nombreuses maisons et auteurs. Mais c’est aussi sans doute le salon le plus agréable qu’il y a tout au long de l’année, avec la météo, le lieu, avec les journées qui se prolongent au bar le soir, les restaurants, l’ambiance. Il a les points positifs principaux qu’on peut demander à n’importe quel salon.
Merci Adrien pour cet interview!
Et rendre-vous le 17 juin en librairie pour Le journal intime d’un Dieu omniscient.
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Interview très intéressante, merci!
Avec grand plaisir!
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