Interview avec Aurélie Wellenstein

Aurélie Wellenstein est une autrice française d’imaginaire, principalement de dark fantasy. Après un premier roman paru aux éditions Sortilèges en 2013 (Le cheval et l’ombre), ses oeuvres chez Scrineo vont être reconnues et souvent sélectionnées pour les prix littéraires et même lauréates comme Le roi des fauves (prix Halliennales), Les loups chantants (prix Elbakin.net) ou encore Mers mortes (PLIB 2020 et Prix Imaginales des bibliothécaires). Elle fut même le coup de coeur des Imaginales en 2017. Elle a également publié à destination de la jeunesse chez Magnard ou Gulf stream. Aurélie Wellenstein a publié cette année un nouveau roman chez Scrineo, Le désert des couleurs, et une première bande dessinée, La baleine blanche des mers mortes, avec Olivier Boiscommun au dessin, chez Drakoo. J’ai eu la chance de la rencontrer aux Imaginales pour une petite interview matinale dont voici le retranscription.

Mes critiques d’oeuvres d’Aurélie Wellenstein: Le dieu oiseau / Mers mortes / Yardam / Le désert des couleurs / La baleine blanche des mers mortes 

 

En quelques mots, pour ceux qui te découvrent, qui est Aurélie Wellenstein? 

J’écris plutôt de la fantasy, et ce depuis 2013, année de publication de mon premier roman qui s’appelle Le cheval et l’ombre et qui est sorti dans une toute petite maison. Depuis j’ai publié, entre autres, 7 romans chez Scrineo qui sont repris chez Pocket. 

 

Ta bibliographie est assez riche avec des titres, certes, majoritairement de fantasy mais assez différents les uns des autres. Est-ce qu’il y a un livre dont tu es particulièrement fière?

Je n’ai pas un seul préféré mais j’ai 4 préférés: Le roi des fauves, Le dieu oiseau, Yardam et Mers mortes.

Est-ce qu’il y en a un dont l’écriture t’a marqué plus fortement?

Ils ont tous leur histoire. À chaque fois que tu écris un nouveau roman, c’est comme si tu écrivais un premier roman. C’est vraiment une expérience où tu as l’impression de repartir de zéro, où tu remets toute ta personne dans le jeu et où tu y vas avec les tripes. En plus, je me challenge pas mal en faisant des choses à chaque fois très différentes. J’ai beaucoup aimé écrire Yardam. Il a été écrit avec une énergie phénoménale. D’ailleurs ça m’a même bien cramé au point d’avoir du mal à redémarrer après. Mais ça a été hyper intense. J’ai mis plusieurs mois à récupérer mais c’était vraiment très bien, j’ai adoré l’écrire. 

Le dieu oiseau c’est très bizarre parce que c’est un roman très énergique, qui se lit d’une traite, mais je ne l’ai pas écrit d’une traite. Je me suis arrêté longtemps après un élément déterminant qui se passe dans le premier tiers et j’ai mis du temps à repartir ce qui peut paraître paradoxal sur ce type de roman. 

Le roi des fauves, c’était mon premier, je l’ai vraiment beaucoup travaillé. Je l’ai réécrit 7 fois. Mers mortes c’était une vrai plongée dans les abysses, une vrai descente en moi-même. Quand j’écrivais, j’avais du mal à remonter derrière. Je mettais toujours une demi-heure à revenir dans le monde réel. 

Cette année, chez Scrineo, tu as publié le roman Le désert des couleurs. Peux-tu nous en parler un peu? 

Dans Le désert des couleurs, chaque grain de sable est un souvenir. Quand on marche dans le désert, on perd progressivement la mémoire, vos souvenirs tombent dans le sable, ils deviennent un nouveau grain de sable qui alimente la désertification. On a deux personnages. On a le personnage de l’exploratrice qui cherche une fin à ce désert, si elle existe, ou une oasis où les humains pourraient s’abriter. Mais évidemment, en tant qu’humaine, quand elle marche dans le désert, elle perd la mémoire. Donc elle est accompagnée d’une créature mi-humaine, mi-fantastique, fils du Marchand de sable qui peut, elle, voir les souvenirs tomber dans le sable, les ramasser, les ingérer, les revivre comme s’il était l’exploratrice et ensuite les lui restituer par le récit. La femme perd la mémoire le jour et l’homme la reconstruit la nuit. Mais bien sûr, un souvenir c’est subjectif. 

 

Dans ce roman, et dans plusieurs autres de ta bibliographique, on retrouve un cheminement tant physique qu’intérieur. Est-ce que c’est un élément important pour toi dans ton écriture cette notion de mouvement, de cheminement?

J’adore ça. Je pars assez naturellement dans les récits de voyage parce que je trouve que ça matérialise physiquement une trajectoire mentale, une évolution des personnages. Ils se déplacent physiquement d’un endroit A à Z mais aussi dans leur psyché, leurs émotions. Mon éditeur m’a interpellé sur le fait que j’étais toujours sur du voyage en me demandant si je ne voulais pas tenter autre chose. C’est là que j’ai eu l’idée de créer un huis-clos dans Yardam. Après Yardam je suis repartie sur un récit de dark fantasy et le confinement est arrivé. J’étais pas très bien, comme beaucoup de gens, et j’ai eu de nouveau envie de récit de voyage. J’avais envie de grands espaces, de faire en sorte que les gens s’évadent, qu’ils découvrent des paysages extraordinaires… De vraiment retrouver le pouvoir de l’imaginaire au sens propre, dans sa plus pure beauté: l’émerveillement, la découverte de choses qu’on ne verra jamais, qui sont stupéfiantes… C’était vraiment ça mon désir dans Le désert des couleurs. Et aussi de faire un roman très solaire, très éclairé, après Yardam qui était très nocturne. 

Le mouvement, le cheminement, est un élément assez naturel en fantasy. C’est la quête, le voyage. C’est assez dur de les laisser dans des villes même s’il y a de très beaux romans de fantasy qui enferment les personnages dans un lieu.

La plupart de tes romans, à l’exception justement du Désert des couleurs, sont assez sombres et pessimistes sur notre avenir et sur la nature humaine. Est-ce que tu gardes encore une confiance dans l’humanité malgré le contexte qui ne tend pas à l’optimisme? 

Je pense que, comme beaucoup, je suis très clivée. Il y a une part de moi qui est extrêmement pessimiste, qui pense qu’on a pas les moyens de s’en sortir. Même là, en le sachant, on continue de faire n’importe quoi, on n’avance pas, ou on n’avance pas assez vite. Quand on construit quelque chose, de l’autre côté on déconstruit en pire. J’ai une part de moi qui a toujours été sombre et pessimiste sur l’humanité. Je trouve qu’on est une espèce dégeulasse et qu’on est capable des pires trucs. Mais après, il ne faut surtout pas rester sur cette position-là parce que sinon c’est terminé. Il est hors de question de rester léthargique et de ne pas se battre. Il faut au contraire mettre tout ça de côté, il faut arriver à dépasser ça et à continuer, chacun avec ses moyens. On a trop tendance à dire « c’est la faute des politiques », « c’est la faute des riches » mais je pense que chacun d’entre nous peut faire quelque chose, en valeur avec son éthique pour nous permettre de continuer à vivre dans ce monde qui périclite. Si on est en accord avec ses valeurs écologiques et sociales, il reste du positif. 

Le monde animal et sa protection sont aussi très présents dans ta bibliographie. Est-ce que c’est essentiel pour toi de l’inclure dans ton écriture?

Oui! Même dans Le désert des couleurs il y a aussi des animaux qui sont présents et très très importants. J’ai écris un seul roman sans animaux, Yardam, et ça m’a beaucoup manqué même si j’adore ce roman d’un autre côté. Il est vraiment centré sur l’humain sans dimension animale. Là, celui que j’écris actuellement, il y a un grand cerf blanc et les personnages ont une part animale hyper importante avec laquelle ils doivent composer donc je suis de nouveau bien. Pour moi, c’est mon équilibre. Je dis toujours, en plaisantant, mais pas que, que ma muse est un loup. Une lecture très importante pour moi, déterminante, que je conseille à tous tes lecteurs c’est Femmes qui courent avec les loups (de Clarissa Pinkola Estés chez Grasset ou Le livre de poche). C’est un essai psychanalytique mais aussi un peu de développement personnel. Ça vous montre comment vous reconnecter à la femme sauvage qui est en vous. Quand on écrit, on se reconnecte à la femme sauvage, aux loups. Et on court avec les loups. Et c’est très beau. 

 

Fin septembre, tu as sorti une première BD, La baleine blanche des mers mortes chez Drakoo avec Olivier Boiscommun. Comment s’est créé cette BD?

C’est l’éditeur, Christophe Arleston, qui a une démarche très originale. Il va chercher des auteurs de romans pour écrire des scénarios de BD. C’est un pas de côté qui est fait. J’étais dans le pool des auteurs qu’il est venu chercher et j’ai eu une première idée inédite qu’on est actuellement en train de travailler. On en est à la colorisation et ça sortira l’année prochaine. C’est une histoire qui n’est pas du tout liée à mes romans cette fois mais qui est sur des attentats surréalistes dans une Venise de fantasy et qui traite de la question du trauma. 

La baleine c’était en fait une deuxième idée qui est finalement sortie avant avec les décalages de travail de l’illustration. J’ai dit à Christophe Arleston que j’étais très attachée à l’univers de Mers mortes. Je le trouve très intéressant et il y a beaucoup à y raconter. Je ne voulais pas faire l’adaptation du roman parce que j’ai déjà dit ce que je voulais y dire mais j’avais envie d’un préquel qui se passe à Paris, une histoire courte  qui parle un peu d’autres choses tout en mettant un scène un des personnages principaux, Bengale, dans une autre attitude. Il est plus jeune, il n’a pas encore pris les armes. Christophe a beaucoup accroché à cette idée et il m’a proposé de travailler avec Olivier Boiscommun. On a envoyé le livre à Olivier qui a adoré et qui a dit « Oui, je suis super chaud pour le faire ». Ça lui a beaucoup parlé dans son univers personnel, ça entrait en résonance avec ce qu’il aime porter. Donc on a travaillé ensemble et c’était très intéressant parce que c’est vraiment une autre aventure, une autre façon de travailler. Ce que je trouve très amusant dans la BD c’est que ce ne sont pas les couleurs qu’on imagine quand on lit le roman. Dans le roman, les mers mortes sont très grises, très éthérées, très sombres et Olivier a fait le pari de la couleur, de la flamboyance. Ça donne un autre éclat, une autre dimension aux mers mortes mais le message est bien là, il reste le même. On a les premiers retours lecteurs qui arrivent et les gens sont vraiment touchés par le message que porte la BD. 

Il y a mis un peu la couleur qu’y voit Chrysaora, personnage qu’on découvre dans la BD et qui elle, voit les marées fantômes comme quelque chose de beau.

C’est une très belle analyse ce que tu dis! C’est vrai qu’elle est fascinée par les mers mortes.

Outre cette BD, est-ce que tu aimerais voir tes univers adaptés de d’autres manières, que ce soit le jeu de rôle, l’animation, le film, etc.?

Oui. J’étais une grande joueuse de jeu vidéo. Je me suis vraiment construit avec ça. Quand on est gamins, c’est aussi une manière de développer son imaginaire fantastique. Il y a de merveilleux jeux de fantasy notamment. Et je pense que Le roi des fauves pourrait faire un chouette jeu vidéo. Mers mortes pourrait être adapté en animation. Il y a des choses à faire. Le transmédia est intéressant.

 

Tu en as déjà un peu parlé mais quels sont tes projets en cours/à venir? Il y donc un projet de BD pour l’année prochaine et le roman avec le grand cerf blanc. Peux-tu nous en dire un peu plus ? 

La BD, Le meneur de louve, se déroule donc à Venise. Elle est illustrée par un dessinateur italien qui s’appelle Emanuele Contarini. Elle sortira chez Drakoo en 2022. J’ai également signé pour un troisième projet ici en septembre qui va être génial, je suis hyper enthousiaste. J’ai eu envie de revenir à des récits d’enfance, pour les plus jeunes, avec à la fois des héroïnes bad ass, des animaux qui parlent et un peu dans l’imaginaire. Donc je vais bosser avec une mangaka espagnole et on va faire un récit sur 4 filles qui se transforment en chevaux. Ça va être super chouette, elle travaille super bien, je suis très contente. On va bosser ça dans l’année à venir, pendant 1 an et demi et ce sera pour 2023. 

Côté roman, je travaille actuellement un diptyque de dark fantasy mais je ne peux pas encore dire quand ça sortira. 

 

Hormis Femmes qui courent avec les loups, est-ce que tu veux nous partager un autre coup de coeur?

J’ai adoré Squid game, comme beaucoup de monde. 

En roman, ce n’est pas récent mais mes romans déterminants ce sont les Hunger Games. Je kiffe les battle royales mais je ne suis pas la seule! C’est un roman qui a été capital pour moi. Dans le même genre, il y a aussi Marche ou crève de Stephen King. C’est un coup de coeur absolu. Je l’ai relu plein de fois. C’est une histoire avec un pitch de fou mais surtout un roman très psychologique. Stephen King va construire tous ses personnages en profondeur dans cette histoire extrêmement violente. C’est passionnant! 

 

Tu as une longue histoire avec les Imaginales. Si tu devais les résumer à un seul mot ce serait lequel?

Retrouvailles.

 

Merci beaucoup pour ce moment!

Et pour ce qui est des retrouvailles aux Imaginales, rendez-vous du 19 au 22 mai 2022!

 

Comments

Ah passionnante aussi cette interview !
J'adore lire et écouter cette autrice parler de ses inspirations, de son œuvre, de ses projets... J'aime bcp sa thématique du voyage. Ca me parle beaucoup.

Ca me rappelle quand je l'ai rencontrée aux Imaginales, j'ai adoré discuter avec elle. Tu as dû passer encore un super bon moment !

Chaque fois que je la rencontre c'est un grand moment donc j'ai vécu cette interview matinale comme un instant privilégié *-*

Add new comment