Yardam

Alors qu’elle vient de remporter le Prix imaginales des Bibliothécaires 2019 pour l’excellent Mers mortes, Aurélie Wellenstein publiait en mars dernier son nouveau roman, Yardam, chez Scrineo. Récit de dark fantasy adulte se déroulant en huis-clos, Yardam a visiblement beaucoup bouleversée l’autrice lors de son écriture et cela a évidement attiré mon attention. Le roman est sélectionné pour le prix Bob Morane pour le premier trimestre 2020 et voici ce que j’en ai pensé…

« D’où qu’on la regarde, Yardam présentait un profil sévère, d’une verticalité glaçante. Des pinacles pointus couronnaient chaque maison. Les clochetons ouvragés ornés de bourgeons ou des feuilles enroulées délicatement taillées dans la pierre, ressemblaient à des lames de couteaux crantés dressées sur le ciel noir.»

Plongée dans la folie

Aurélie Wellenstein nous avait habitué à des romans qui font voyager ses personnages, Yardam, au contraire, est un roman en huis-clos dans une ville mise en quarantaine. Le récit est même un double huis-clos en quelques sortes car le personnage principal est lui-même enfermé dans sa propre folie. Prisonnier de démons intérieurs, qui sont images de la dépression autant que de la maladie mentale, Kazan est un personnage des plus troublants qui, malgré ses nombreux travers et son côté insaisissable, semble aspirer le lecteur dans ses tourments. L’ambiance oppressante personnifiée par la ville elle-même autant que par ses habitants sombrant peu à peu ajoute à ce sentiment de malaise déjà provoqué par Kazan. L’autrice nous plonge au coeur de la folie humaine et les dérives d’une humanité au bord de l’implosion sans épargner les lecteurs. Certains passages sont violents (ce qui n’étonnera pas les lectrices/lecteurs d’Aurélie Wellenstein) mais c’est surtout l’ambiance crépusculaire inquiétante qui marque durablement. Quand on sait qu’un.e autrice/auteur cohabite avec ses personnages, il est facile d’imaginer un parallèle avec l’épidémie sévissant à Yardam et je n’ose imaginer l’horrible cohabitation avec Kazan et ses troubles. Pas étonnant que cette écriture fut éprouvante et cela se ressent à la lecture comme si une chape de malaise s’étendait, au-delà des mots, dans l’âme-même de l’histoire.

« Ses démons étaient comme des serpents qui, les uns après les autres, avaient planté leurs crochets dans son cerveau. Depuis des années, ils tordaient leurs anneaux luisants dans ses entrailles, autour de son coeur et de ses poumons; ils lui remontaient le long de la gorge, lui emplissant la bouche d’un goût de bile, et bavaient leur poison dans tout son corps, dans toute sa tête.»

Une histoire troublante

Ce roman nous plonge au coeur d’une épidémie (rassurez-vous, c’est si différent de ce qu’on vit que vous ne risquez aucun parallèle avec le Covid si cela vous fait peur) mais aussi et surtout dans une quête de soi. Kazan doit s’accomplir, s’accepter pleinement, embrasser sa nature profonde. Mais encore faut-il survivre dans un lieu vicié, violent et avec un risque d’exploser permanent. Yardam est un roman sombre, original, troublé et troublant. L’intrigue semble parfois redondante, portée par l’errance d’un personnage paumé qui tourne en rond. Il y a aussi quelques longueurs liées à ces tourments et on a parfois le sentiment que l’exercice d’une intrigue plus statique a été complexe pour l’autrice. Mais l’ensemble a un côté captivant indéniable. La plume d’Aurélie Wellenstein nous envoûte en effet complètement du début à la fin malgré les quelques défauts de l’intrigue. Le seul frein à l’immersion pour moi tient à la difficile empathie pour les personnages tant leurs personnalités sont troublées et difficiles à saisir. Les sentiments sont si exacerbés, les relations parfois animales si malsaines qu’il est impossible de comprendre pleinement les personnages côtoyés et donc de s’y attacher vraiment.

En bref, Yardam est un roman troublant qui nous plonge au coeur de la folie dans une ambiance oppressante et une intrigue aussi captivante que dérangeante. Un titre qui semble marqué un jalon dans la bibliographie d’Aurélie Wellenstein et qui me hantera longtemps. 

(Petit aparté pour les libraires et bibliothécaires: mettez-le bien en rayon adulte, il y a beaucoup de scènes très graphiques, notamment sexuelles.)

« À Yardam, la folie est sexuellement transmissible.

Dans l’espoir d’endiguer l’épidémie, la population est mise en quarantaine, isolée du reste du monde.

Le virus n’a pas épargné Kazan. À l’image de la ville qui s’enfonce dans le chaos, il sombre lentement.

Pour s’en sortir, il serait prêt à toutes les extrémités, y compris à manipuler Feliks et Nadja, un couple de médecins étrangers venu s’enfermer volontairement dans la cité pour trouver un remède. Dans son désespoir, il va accomplir le pire… »

(Illustration de couverture: © Aurélien Police)

> Lire un extrait < (© Scrineo)

[Lecture n°34/60 (pour l'échelon 4) pour le Challenge de Littérature de l'Imaginaire édition 8 de Ma lecturothèque]