Nos futurs
Publié sous la direction de Aline Aurias, Roland Lehoucq, Daniel Suchet & Jérôme Vincent, l’anthologie No(s) futur(s) contient dix articles de vulgarisation scientifique et dix textes de fiction qui se couplent deux par deux autour d’un des Objectifs de Développement Durable du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat). Publié par les éditions ActuSF cet été, il s’agit d’un recueil que j’attendais avec beaucoup d’impatience. Voici ce que j’en ai pensé…
« Il y avait toute la mort du monde dans le regard du môme qui essayait de vivre.» (Estelle Faye)
Une belle idée
Aborder les risques des changements climatiques et encourager la réflexion sur les actions que nous pouvons faire pour freiner le massacre de notre environnement et s’adapter aux changements à venir à travers des oeuvres de fiction et des articles de vulgarisation scientifique est une idée lumineuse. Car si la fiction a ce pouvoir de mettre en scène les avenirs souvent dystopiques et apocalyptiques qui nous attendent, l’apport de parties scientifiques permet de comprendre concrètement ce qui se joue, de réfléchir à partir des faits et des données dont nous disposons et de saisir l’ampleur de ce que nous pouvons faire. Le parallèle science et science-fiction est donc très enrichissant, nous apprenant beaucoup par des parties de vulgarisation claires qui nourrissent notre analyse et nos réflexions et nous émouvant par les parties de SF qui versent sur ces faits de l’émotion, de l’immersion et de la poésie. Certaines parties de cette anthologie sont particulièrement complémentaires, trouvant un bel écho, une articulation forte, entre faits et fiction, notamment la partie sur la « ODD: Réduction des inégalité / Levier: Transport » de Audrey Berry et Chloé Chevalier qui ont décidé d’aborder le sujet sous le même angle, ou encore la partie « ODD: Lutte contre les changements climatiques / Levier : Carbone » d’Isabelle Czernichowski-Lauriol et Jean-Marc Ligne où la fiction met en application ce que la partie scientifique nous a enseigné. Parfois le lien est moins évident, mais dans l’ensemble l’accord est assez remarquable. J’ai parfois regretté cependant que le thème soit abordé de manière plutôt restreinte (le format court demandant de facto de faire des choix). Par exemple, la partie « ODD: Énergies fiables, durables et modernes à un coût abordable / Levier énergie » se concentre, sur la partie scientifique de Matthieu Auzanneau, sur le pétrole, biais imposé par la spécialisation de son auteur mais qui exclue toutes les autres formes d’énergies pourtant assez centrales dans les enjeux climatiques. Côté scientifique, l’ensemble reste malgré tout assez intéressant et les parties plus prévisionnelles ont fait naître en moi de nombreuses réflexions. Bien sûr, les thèmes ont des intérêts divers pour moi mais cela ne doit pas jouer sur mon avis global. J’aurai particulièrement apprécié la vulgarisation très plaisante à lire de François Moutou sur l’Accès à l’eau salubre ou celle de Marie-Jeanne Husset, Anne Barre et Véronique Moreira sur l’égalité des sexes qui m’a beaucoup appris sur l’écoféminisme. J’ai aussi beaucoup aimé le message de Jane Lecomte qui propose de regarder la biodiversité non en fonction de son utilité pour l’humain mais comme une obligation éthique, finissant ainsi ce recueil sur une note qui m’a particulièrement ému.
« Le genre humain est très fier d’avoir maîtrisé le feu il y avait environ 400 000 ans. À l’orée de 2020, la fumée qui obscurcit le ciel au-dessus de l’Australie, et dont le nuage relie le Brésil à la Nouvelle-Zélande, doit nous rendre modestes, tant vis-à-vis de la notion de maîtrise que de celle de l’imagination. » (François Moutou)
Des nouvelles de qualité
Parmi les dix nouvelles de fiction au casting impressionnant, je n’ai trouvé que des textes de qualité. Certes, certains m’auront moins plu que d’autres, parce qu’ils s’inscrivent dans des univers dont je n’ai pas les références (celle de Raphaël Granier de Cassagnac par exemple) ou parce que, subjectivement, elles m’ont moins touché, mais toutes, indubitablement, sont agréables à lire au minimum. J’ai décidé de vous parler plutôt de celles qui, pour moi, sortent du lot.
Conte de la pluie qui n’est pas venue d’Estelle Faye est une petite merveille. Sous la plume magnifique de l’autrice, ce récit d’anticipation est haletant, présente un univers qu’on a envie de parcourir plus et nous offre en prime une belle réflexion par un final qui pose la question de la moralité entre la survie des humains et celle de la nature.
Home de Laurent Genefort est une récit d’anticipation qui propose un univers qui encourage les bons comportements écologiques plutôt que de punir. Analyse plutôt intéressante de cette « utopie » qui ne convient pas à tout le monde. Une bonne base de débats!
Trois poneys morts de Chloé Chevalier est mon petit coup de coeur de cette anthologie. Il y a dans dans cette nouvelle une poésie superbe qui m’a envoûté tout en diffusant un message magnifique sur fond d’une anticipation en parfaite cohérence avec la partie scientifique. C’est très riche comme texte, autant en enseignements qu’en plaisir.
2030/2300 de Jean-Marc Ligny m’aura particulièrement marqué. C’est une nouvelle qui appelle à l’humilité, à la modestie et à la prudence. Joliment écrit, ce récit est très agréable à parcourir et me donne envie de découvrir plus l’auteur.
Sanctuaires de Pierre Bordage est en bonne place en fin d’ouvrage, présentant une note apaisante au sein de sanctuaires naturels qui donne à rêver. Cette nouvelle conclue l’anthologie sur une note d’espoir, fragile certes, mais à encourager.
En bref, Nos futurs est une belle anthologie, parfois légèrement inégale selon les thèmes ou les parties, mais de qualité dans son ensemble avec parfois quelques textes superbes, tant en vulgarisation qu’en fiction. Un recueil enrichissant qui nous apprend beaucoup et nous souligne l’importance de la fiction pour alerter sur les enjeux climatiques.
« Nos Futurs est une anthologie de textes destinés à sensibiliser, à informer et à produire des récits autour des enjeux du changement climatique.Ce livre part d’un double constat :D’une part, la transition écologique au sens large, et les changements radicaux qui l‘accompagnent, intéressent et préoccupent un public de plus en plus large, qui cherche des moyens de se saisir du sujet.D’autre part, alors que l’homme est un animal d’histoires, nous manquons de récits pour nous approprier ces futurs, souhaités ou subis. Certes, le GIEC (Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’Evolution du Climat) produit régulièrement un panorama des conséquences à long terme du changement climatique qui permet d’imaginer à quoi le monde risque de ressembler. Mais ces rapports, s’ils font référence et sont fondamentaux pour une prise de décision éclairée, ne sont que peu lus par le grand public et peinent à atteindre les imaginaires.C’est pour ça que nous avons formé dix binômes auteur-chercheur qui se saisiront de dix thèmes parmi ceux étudiés par le GIEC, et dont le choix a fait l’objet d’un sondage auprès d’un large public (voir page sondage, voir page choix des thèmes). L’ambition est de présenter ces dix thèmes sous un double éclairage : celui de la fiction, pour explorer les possibles, et celui de la vulgarisation scientifique, pour expliquer l’état des connaissances. En rassemblant ces vingt textes, issus de la rencontre entre auteurs et chercheurs, l’objectif est de donner à voir la différence et la complémentarité entre ces deux approches qui vont être indispensables pour s’approprier les bouleversements qui s’annoncent. »
(Illustration de couverture: © YAK / Fondation ELYX)
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