Le laboratoire des imaginaires : Destructions et… 1er rappel

À l’automne 2024, suite à un financement participatif, les éditions Goater publiaient le premier numéro, ou 1er rappel, d’un recueil entre revue et anthologie du Laboratoire de l’imaginaire composé d’articles d’études d’œuvres SFFF (livres, jeux, séries, films, pièces de théâtre) et de trois nouvelles de fiction inédites sur un thème. Dirigé par Marie Kergoat et Jaïlys Duault, ce premier rappel s’intitule Destructions et… et s’intéresse donc principalement au genre apocalyptique et post-apocalyptique. Et voici ce que j’en ai pensé.
Avant d’entrer dans le détail de ma lecture, je tiens à préciser que, bien que je sois lectrice de SFFF (et de beaucoup de post-apo) depuis pas mal d’années, un peu joueuse et blogueuse depuis également un bon moment, je n’ai aucun bagage d’études littéraires ou culturelles poussées. J’ai donc lu ce recueil avec toute mon ignorance et cela aura forcément influencé mon ressenti. Vous le verrez, en effet, il y a quelques articles à côté desquels je suis complètement passé parce que je ne connaissais pas l’œuvre ou n’avais tout simplement pas le bagage nécessaire. Voici mon ressenti de la lecture de chaque partie de ce premier rappel. Je vous en fais un petit condensé/résumé en final.
« Est-il encore possible d’avoir peur et de rêver à la fois? »
Après une introduction de Marie Kergoat et Jaïlys Duault expliquant le projet et le programme de cette revue un peu particulière, nous enchaînons sur une préface de Frédéric Le Blay qui questionne le sens du thème dans une prose inspirante qui laisse entrevoir la richesse de l’étude de cette question des Destructions et de ses suites.
La première partie, intitulée Horreurs insondables s’attaque à la partie angoissante des destructions. On y trouve, tout d’abord, une analyse de Marie Kergoat sur la « Trilogie de l’Apocalypse » de John Carpenter, explorant la maîtrise de la peur du maître de l’horreur, mais aussi les thèmes sous-jacents de ces films. N’étant pas une connaisseuse de ces œuvres pourtant mythiques (parce que si j’aime lire l’horreur, la voir me fout trop les choquottes), j’ai néanmoins apprécié l’explication et j’ai pu la relier à d’autres médiums horrifiques de ma connaissance. Décortiquer la manière dont la peur de la fin, de l’anéantissement, se tisse permet un regard plus poussé sur ce qui fonctionne dans le genre.
Nous enchaînons ensuite sur une des trois nouvelles de fiction de l’ouvrage et non des moindres. Estelle Faye signe ici Ode à la mer furieuse. C’est un récit magistralement écrit (une évidence avec Estelle Faye), où résonne à la fois une ode à la nature et à la mer dans toute la force et la liberté qu’elle véhicule, mais aussi un texte féministe plein de colère et de révolte. L’ambiance y est maîtrisée, le décor parfaitement immersif. Un petit délice, comme toujours avec l’autrice.
La deuxième partie s’intitule Urbanités: sur les décombres des villes et s’attaque justement à cette figure de la ville omniprésente dans le registre post-apo, à la fois lieu de déliquescence et de ruines, mais aussi de contrôle. Cette seconde partie débute par une étude du livre La banlieue du turfu de Makan Fofana par Joan Grandjean. Je n’ai pas lu l’ouvrage (visiblement assez étonnant et inclassable) dont il est fait mention mais j’ai trouvé l’analyse passionnante. J’y ai vu l’écho d’Utopie radicale d’Alice Carabedian qui invite à imaginer autre chose de positif pour que cela advienne. Mais ici transposé à ces territoires qu’on cloisonne et qu’on abandonne progressivement, à savoir les banlieues. J’ai été épaté par le projet et par la réalité concrète qui en découle et j’ai eu envie de découvrir cet ouvrage qui semble contenir beaucoup de réflexions passionnantes et d’enseignements.
Ensuite, direction le monde du jeu vidéo avec une étude autour de la trilogie Syberia par Clément Sabathié qui s’intéresse à l'imagerie métallique de l’œuvre. Si cette fois j’ai la référence en tête, j’avoue avoir particulièrement ressenti ici mon manque cruel de bagage analytique pour comprendre l’article. Très pointu, très riche en références, notamment philosophiques, mais aussi en théorie du jeu, l’analyse m’a malheureusement laissé de côté.
Apolline Christakis nous propose ensuite un article sur les urbanités malades en étudiant l’esthétique des villes dans les récits post-apo dystopiques français des années 70. J’ai beaucoup aimé cette analyse, qui, si elle n’est basée que sur trois livres, démontre vraiment la tendance d’une époque du genre et les tropes qui en découlent encore aujourd’hui. De la déliquescence des villes à l’enfermement et au contrôle des individus, en passant par une rébellion quasi-impossible, le genre post-apo de l’époque a été vraiment symptomatique des angoisses de la société des années 60/70 et a longtemps marqué les œuvres futures inscrites dans ce registre.
« Les voix. Il y a des voix dans le grondement des flots. Des dizaines, des centaines de voix de femmes. Des noyées, des naufragées, des femmes qui ont vécu sur les flots, qui se sont battues sur les falaises, contre la misère, contre le vent… Elles hurlent leur douleur et leur hargne et leur colère.»
La troisième partie Ruines du monde, ruines du corps et de l’esprit débute avec un article de Marc Ang-Cho sur le post humanisme et l’ambition d’utopie dans Schismatrice de Bruce Sterling. Aucune surprise avec Marc Ang-Cho dans le fait que c’est très clair, très instructif et parfaitement accessible même sans avoir lu l’œuvre dont il est question. L’analyse fine de ce roman et de ses questionnements bioéthiques et sociaux est vraiment très intéressante. Et bien sur, j’ai désormais envie de lire cette œuvre. Trop fort le Chroniqueur.
Ensuite, Paul-Antoine Colombani plonge dans les jeux The Last of Us et Shadow of the Colossus pour un regard sur l’herméneutique des décombres. Cette fois, j’ai bien les références! L’article est cependant très pointu. Il analyse en profondeur le rôle des ruines, ce qu’elles sont et ce qu’elles deviennent dans le jeu par l’action des joueurs et joueuses. C’est plein de philosophie, riche de sens et ça donne très clairement envie de se replonger dans ces deux pépites. Mais attention, ça demande vraiment un effort de concentration pour comprendre le cheminement de pensée. La connaissance des œuvres dont il est question m’a vraiment aidé à apprécier la richesse des réflexions. Elles me sont d’ailleurs restées en tête et m’ont permis de briller en société lors d’une discussion sur The Last of Us. Et ça, c’est formidable.
Ensuite, nous découvrons un essai de Nicolas Boutin sur deux œuvres visuelles, Pièces de guerre (théâtre) et The Leftlovers (série), pour un article intitulé L’effondrement qui cède. J’avoue être encore une fois passé à côté de l’article. On y parle de choix au moment de la destruction, de ce qu’on sauvegarde et de ce qu’on abandonne. Mais pour le reste, je n’ai pas tout saisi, possiblement par manque de connaissance des œuvres utilisées.
Seconde nouvelle de fiction du recueil: Passer dans tes quatre estomacs d’Oriane Guiziou-Lamour. C’est un très court récit de quelques pages à peine qui parle de métamorphose, d’abandon, de passion dévorante… Et c’est assez perturbant. Peut-être un peu trop brusque dans son déroulé, un peu trop rapide pour qu’on ait le temps de se saisir de l’ambiance et de ce qui s’y passe. C’est cependant un récit qui marque par son style et par son propos volontairement malaisant.
Et c’est ensuite la dernière partie de ce premier numéro intitulée Palimpseste et qui débute par l’article Écrire par le feu, un exercice créatif d’étude littéraire d’Antoine Paris sur les textes de Nueva Valladolid. Il s’agit à la fois d’un article artistique et analytique, prenant part sur divers textes volontairement tronqués par les flammes pour être analysés dans leurs manques et y redonner un sens. C’est une démarche que je ne connaissais pas, mais qui permet de saisir la construction des récits, mais aussi nos biais d’interprétations. Audacieux.
On enchaîne ensuite sur la troisième et dernière nouvelle de fiction et dernier élément composant ce 1er rappel du Laboratoire de l’Imaginaire. Il s’agit de Somos las nietas de las brujas que nunca quemaron de Jaïlys Duault. Et quelle fin! J’ai un coup de cœur pour cette nouvelle qui respire la rage et le renouveau, qui donne à voir une figure qui dépasse son humanité pour renaître des cendres et de la crasse. C’est violent, organique, horrifique, mais aussi tellement puissant. Une petite claque finale qui clôture à merveille l’ouvrage et donne à voir, à travers les flammes, l’espoir des révoltes et du changement. Elle fait admirablement écho à la nouvelle d’Estelle Faye, de l’eau aux flammes. J’ai adoré.
« […] peut-être que la sororité, c’est le bûcher.»
En bref, ce premier recueil du Laboratoire de l’Imaginaire est une œuvre surprenante à plus d’un titre et riche de réflexions. J’ai évidemment plus accroché aux nouvelles inédites qu’aux articles, à quelques exceptions près, par manque de connaissance des œuvres étudiées et par manque de bagage analytique. Je ne suis pas certaine que ce soit suffisamment attractif pour le grand public, parce que fort pointu, mais nul doute que les chercheuses et chercheurs du domaine trouveront ici une pépite. Je ne regrette cependant pas d’avoir encouragé ce beau projet autour d’un thème qui me tenait à cœur et j’ai passé un très bon moment hors de ma zone de confort. Un deuxième volume est censé paraître autour de la question des marges. Et bien que tout ne m'ait pas convaincu ici, c'est encore une fois un thème passionnant qui est annoncé et je serai probablement de l'aventure.
« De John Carpenter en passant par Sybéria, La banlieue du Turfu, les urbanités malades ; des ruines du monde à la rencontre des œuvres de Bruce Sterling, de The Leftovers ou d’Edward Bond face au problème de Hume, des chercheur.euse.s ont souhaité s’associer au sein d’un Laboratoire des imaginaires pour délivrer réflexions, études, essais, englobant tous les expressions : film, série, littérature, jeux vidéos… »
(Illustration de couverture : © Arnaud Julien)
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[Lecture n°13 (17/60 points avec les bonus pour l'échelon 4 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 13 de Ma lecturothèque]
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