La main gauche de la nuit (Cycle de L’Ekumen, #6 - Cycle de Hain, #4)

Paru en 1969, lauréat du prix Nébula et du prix Hugo, chef-d’œuvre encensé par la critique, La main gauche de la nuit est sans doute le roman le plus célèbre d’Ursula K. La Guin qui s’inscrit dans le Cycle de l’Ekumen et celui de Hain. Classique parmi les classiques, c’est un roman qui manquait à mon parcours de lectrice. Avec sa parution en format audio chez Lizzie en 2022, adaptée de l’édition 2021 de Robert Laffont dotée d’une préface de Catherine Dufour et d’une postface de Stéphanie Nicot, c’était l’occasion d’enfin le découvrir. C’est lu par Emmanuel Lemire, Pascale Chemin et Vincent de Bouard.

« Le premier Envoyé est toujours seul. Un homme d'un autre monde, c'est une curiosité ; deux hommes d'un autre monde, c'est une invasion. »

La peur de se frotter à un classique

Commencer un ouvrage si acclamé par la critique et si central dans l’histoire de la science-fiction est assez exaltant mais aussi terrifiant. Et je dois dire que le début n’a pas été pour me rassurer. Car malgré les idées très pertinentes de l’autrice pour développer ce monde, notamment du point de vue des particularités sociales et genrées des habitants de cette planète hostile, j’ai crains de m’ennuyer. Et pour être tout à fait honnête, ce fut le cas au début. Défaut qui vient aussi de cette connaissance qu’on a un peu toutes et tous de l’univers de ce roman et qui m’a ici spoilé le plaisir de la découverte. J’ai bien sûr été séduite par la plume, intéressée, évidemment, par ses êtres ambivalents sexuellement et non-binaires et à ce que l’autrice a essayé de faire passer comme messages sur cette proposition concernant nos propres biais de genre et notre conception des rôles genrés. Et ce, malgré un personnage principal aux pensées très sexistes, fier héritier du patriarcat hétérocentré terrien. Heureusement, ses conceptions réductrices et sexistes lui joue bien des tours! Mais ce qui m’a maintenu raccroché au texte au départ furent les extraits plus romancés, plus oniriques, des légendes et mythes de la planète qui viennent ponctuer notre voyage et qui sont empreints d’une certaine beauté dans l’instantané. L’ennui, malgré tout, avait fini par faire sa place. Avant d’être balayée par un bon coup de tempête de glace.

« Je connais des hommes, des villes, des fermes, des collines et des rivières et des rochers, je sais comment les rayons du soleil couchant éclairent à l'automne les mottes d'un certain champ labouré au flanc d'une colline. Que vient faire une frontière dans tout cela ? Ça ne rime à rien. Vérité en deçà, erreur au-delà - voilà que je cite vos grands hommes ! Pour aimer son pays, faut-il haïr les autres ? Si oui, le patriotisme n'est pas une bonne chose. »

Quand le froid ravive l’intérêt

J’ai bien fait de poursuivre mon écoute/lecture. Car non contente de profiter tout de même d’un beau voyage littéraire, teinté de mysticisme, d’ethnologie et de jeux de pouvoir, le roman a pris pour moi son envol sur le parcours final des deux personnages principaux face aux éléments. Entre échanges culturels, évolution des personnages dans ce partage et réflexions sociologiques, notamment sur le genre, c’est la partie du texte qui, pour moi, le rend grandiose. Parce que les questionnements de ces deux êtres intelligents et en errance est d’une richesse folle. Parce que c’est là qu’Ursula K. Le Guin en profite pour aussi faire passer des messages, quand les personnages sont prêts à les accueillir par l’évolution de leur lien, de leur psyché et de leur situation. Et c’est passionnant ! Et bien que la question de genre, évidemment assez centrale dans l’œuvre, retienne mon attention, c’est avec surprise que je me suis encore plus passionnée par la question des sociétés, du pouvoir politique et de la capacité (très limitée) des personnes en position de pouvoir à évoluer si c’est susceptible de les descendre de leur piédestal. Une grille de lecture qui s’enracine évidemment pour moi dans un instant T de nos sociétés mais qui reste néanmoins très présente dans le roman. Une belle critique des anciennes sociétés terriennes, de la monarchie à la bureaucratie URSS, qui ponctue le récit d’une dimension passionnante. Les postface et préface de cette édition apportent une mise en contexte et une lecture critique de l’œuvre qui nous permettent de mieux en apprécier tout le côté engagé et précurseur, notamment sur les questions raciales ou sur les lgbtphobies. 

En bref, La main gauche de la nuit est un classique indéniable de la science-fiction, offrant non seulement un roman de planet opera riche et bien écrit mais aussi des questionnements précurseurs notamment sur le genre. Engagé, piquant et, il faut le dire, un brin subversif sur certains aspects pour son époque de parution, La main gauche de la nuit est aussi un roman teinté de beauté. Je me suis néanmoins ennuyée au départ, connaissant sans doute un peu trop les choses à y découvrir.

« Sur Gethen, planète glacée, il n’y a ni hommes ni femmes, seulement des êtres humains. Des hermaphrodites qui, dans certaines circonstances, adoptent les caractères de l’un ou l’autre sexe.
Genly Aï, un ambassadeur venu de la Terre, est chargé de rallier Gethen aux autres planètes déjà réunies sous les couleurs de l’Ekumen. Mais mille obstacles se dressent devant lui. La tâche sera rude. Parviendra-t-il à mener à bien sa mission ?»

(Illustration de couverture: © Alice Peronnet)

[Diversité: pp noir.e, pp asexué.e, pp non-binaire, ps asexué.e, ps non-binaire]

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