Vies rebelles : histoires intimes de filles noires en révolte, de radicales queers et de femmes dangereuses

Le 20 septembre prochain, les éditions du Seuil publient dans leur collection L’univers Historique, l’ouvrage de Saidiya Hartman, Vies rebelles : histoires intimes de filles noires en révolte, de radicales queers et de femmes dangereuses. Publié en 2019 aux États-Unis, cet essai invite à la découverte d’anonymes du début du XXe siècle auxquelles l’autrice redonne vie via ses recherches dans les archives. L’ouvrage est préfacé par Audrey Célestine. Ayant eu la chance de le découvrir en avant-première, voici ce que j’en ai pensé…

« L’idée folle qui anime ce livre est que les jeunes femmes noires étaient des penseuses radicales qui imaginent inlassablement d’autres façons de vivre et ne cessèrent jamais d’envisager les multiples chemins susceptibles de mener à un monde différent. »

Redonner vie

Saidiya Hartman explique en début d’ouvrage sa démarche pour réaliser cet ouvrage. Elle a puisé dans les archives pour déceler les traces de vie de jeunes femmes noires anonymes du début du XXe siècle qui aspiraient à une autre vie. Elle s’est emparé des moindres brides, des rapports de police à ceux des sociologues en passant par les échanges privés, les articles de presse et les photographies d’époque dont beaucoup apparaissent dans l’ouvrage riche d’une iconographie fascinante. Elle les utilise, les amplifie, leur prête une âme. Par ce biais, elle a essayé de redonner de l’épaisseur à ces bribes d’histoires, elle leur a redonné vie en suggérant leurs pensées, leurs envies et leurs rêves. Dans un style qui parfois s’apparente au roman ou au récit de vie, elle leur redonne une contenance, une voix, elles qui furent toujours silenciées et réduites à leur statut de femme noire. Elle évoque leurs rébellions ordinaires, de celles qui veulent tout simplement vivre libres, obtenir un meilleur travail à celles qui assument leurs choix, leur sexualité et simplement leurs loisirs même si elles transgressent le cadre très restrictif que la loi leur impose. Elle leur offre une existence et, à nous, une porte vers une autre Histoire, depuis les marges. Et cette démarche d’offrir un autre point de vue sur le monde, nettement plus intéressant que celui des puissants, est essentielle.

« Elles ne laissaient pas leur voix se briser ni leurs yeux s’emplir de larmes devant la dure réalité, devant la cruelle arithmétique de la vie et de la mort. Seuls les mots nous et toujours là leur permettaient de prononcer à voix haute ces atrocités l’une après l’autre sans s’effondrer. »

La fresque d’une époque

Dans un monde post-esclavage, des lois Jim Crow aux émeutes et lynchages, la société dans laquelle ces filles évoluent leur donne l’espoir mais le piétine tout à la fois. Des cris de rage aux moments de joie, ces filles sont le flambeau d’une jeunesse qui aspiraient tout simplement à cette liberté promise mais toujours illusoire. À travers leurs histoires, l’autrice dresse ainsi le portrait d’une époque, d’une vie sociale dans les tenement, les quartiers noirs et les lieux de loisir. Elle illustre le racisme incessant d’une société qui n’arrive pas à accepter la différence de couleur de peau sous un prisme égalitaire. Son ouvrage, par ses multiples chapitres, est d’une richesse folle sur l’histoire des États-Unis et ce racisme constant qui l’émaille. C’est aussi une illustration formidable des luttes féministes de la vie quotidienne, par ce besoin d’émancipation et la sororité qui caractérisent souvent ces « vies rebelles ». De chapitre en chapitre, Saidiya Hartman nous amène à leurs rencontres avec force et simplicité. On lit cet essai comme on lirait des petites brides de vie, on admire ces filles, on s’enrage des injustices subies encore et encore et on rêve, avec elles, d' un plus bel avenir. Car c’est aussi ça le propos du livre, une invitation à exister autrement  et à créer un monde plus juste en s’intéressant à ces vies et à leurs expériences de la notion de liberté.

En bref, Vies rebelles est un recueil formidable qui redonne vie aux femmes noires en marge de la société au tournant du XXe siècle. C’est un travail gargantuesque de recherches d’archives doté d’une âme qui illustre la rébellion ordinaire de jeunes qui aspiraient à sortir du carcan trop étroit où elles étaient réduites. C’est passionnant à parcourir, riche d’une iconographie magnifique et cela illustre non seulement un pan de l’histoire oublié mais aussi la manière avec laquelle un monde plus juste peut être amené à naître.

« Vies rebelles retrace des bribes d’existence de femmes noires, qui ont quitté le sud des États-Unis en quête d’une vie meilleure pour les villes du Nord-Est, New York et Philadelphie, entre 1890 et 1930, après l’abolition de l’esclavage.S’appuyant sur les sources de la police, les écrits des philanthropes et des réformateurs sociaux, les archives de la justice mais aussi sur les notes prises par le jeune W.E.B. Du Bois lors de ses enquêtes, Saidiya Hartman leur donne vie, rendant à ces filles et femmes leur statut de sujet, dessinant des portraits vibrants de Noires indisciplinées, reconstituant leurs désirs, leurs efforts pour trouver la joie de vivre, leurs aspirations à la liberté, leurs élans de vie, leurs pensées, leurs corps éprouvés mais libres, leur anarchisme.Il en résulte des histoires inoubliables, portées par une écriture exceptionnelle, qui transforment nos représentations des classes subalternes « déviantes » et de la condition noire dans les sociétés post-esclavage. Cette attention à l’infra-politique ouvre aussi d’autres généalogies aux radicalités noires et à la révolution des mœurs. Soixante-dix photographies rares et bouleversantes viennent illustrer la vie de ces femmes en marge de la société. »

- Livre reçu en service presse. Publication non rémunérée. Merci aux éditeurs. - 

[Diversité: pp noir.e, pp lesbien.ne, pp travesti.e, pp bisexuel.le]

Agression, Classisme, Meurtre, N-word, Racisme, Sexisme, Torture, Viol