Axiomatique
Nouvelle édition d’un recueil de nouvelles de Greg Egan publié le 10 mars dernier avec une bibliographie mise à jour par les éditions Le Bélial’, Axiomatique regroupe dix-huit nouvelles de hard-SF de l’auteur australien. Un auteur qui m’intimide beaucoup pour sa complexité et sa renommée proposé à la découverte dans un superbe écrin de Nicolas Fructus. Voici ce que j’en ai pensé…
[NB: Un grand merci aux équipes de Le Bélial’ pour cet envoi surprise!]
« Quoi que recèle ce futur immuable, je reste sûr d’une chose : ce que je suis est toujours un composant de ce qui l’a déterminé et continuera à le déterminer. Je ne peux demander de liberté plus grande. Ni de responsabilité plus importante. »
Un recueil impressionnant de qualité
Je vais être honnête avec vous. Quand j’ai reçu ce recueil j’ai été très stressée (au-delà de l’admiration de l’objet livre indécent de beauté!). Greg Egan est un auteur réputé exigeant aussi talentueux que difficile d’accès. Et bien que j’avais apprécié Cérès et Vesta de l’auteur dans la collection UHL, j’avais le sentiment que j’allais beaucoup peiné à la lecture des nouvelles d’Axiomatique et j’ai crains que l’équipe de Le Bélial’ ne soit tombé sur la tête en misant sur moi pour cette lecture. Je l’ai commencé, pensant le lire au fur et à mesure, le trainant peut-être sur plusieurs semaines, et puis je l’ai dévoré. Le recueil m’a scotché par sa qualité, mais aussi par son humanité. Car derrière des concepts scientifiques parfois ardus et l’ambition générale des théories développées, l’auteur nous offre des récits à la psychologie très poussée et aux réflexions très orientées autour de l’identité et des limites de l’humanité. Les textes, hormis deux plus difficiles d’accès, m’ont même paru relativement accessibles, ou à minima, suffisamment passionnant pour emporter à le lecture même sans saisir tous les aspects pointus des textes. L’ensemble est d’une qualité remarquable. Greg Egan a ce talent d’écrire des nouvelles qui contiennent beaucoup de thématiques, avec des personnages à la psychologie très juste et précise, tout en proposant de formidables réflexions sur les possibilités scientifiques et médicales. Une plongée au coeur de l’humanité, ses limites et ses définitions multiples dont je ressors impressionnée et ravie. Je n’ai qu’un seul reproche: le manque de diversité, notamment en tant que personnage principal où 16 textes nous font incarner un homme adulte hétérosexuel. Finalement, il faut croire que l’équipe du Bélial’ n’était pas tombé sur la tête en m’envoyant ce livre. C’était un pari osé mais finalement, si je suis capable de lire un recueil de Greg Egan et de l’apprécier autant, je pense que tout le monde est en capable! Maintenant, plongeons un peu dans chacune des 18 nouvelles.
« On dirait mon grand-père. Eux et nous. C’est ce genre de conneries qui a ruiné la planète au vingtième siècle. Tu penses pouvoir élever une clôture autour de ce pays et oublier tout simplement ce qui se trouve à l’extérieur? Dessiner une frontière artificielle sur une carte et prétendre que les gens de l’intérieur comptent, et que ceux de l’extérieur ne valent rien?»
Comment résumer cette nouvelle? Vaste question puisque j’avoue avoir commencé le recueil comme je le craignais: dans le flou. Ce texte instaure un vortex mêlant les différentes réalités et différents univers dans un chaos ambiant dans lequel un homme, et les multiples versions de lui-même, doivent stopper la personne à l’origine de cette défaillance. Avec cette nouvelle, Greg Egan répond parfaitement à l’image que j’ai de lui: un auteur à l’imaginaire foisonnant mais pas forcément accessible. Cela dit, je suis parvenu à suivre ce récit sous haute tension et ce malgré mon incompréhension.
Cette seconde nouvelle est beaucoup plus accessible bien que pointue. Elle propose une réflexion vraiment passionnante sur le libre arbitre et le déterminisme en instaurant un avenir où nous captons les comptes rendus de notre nous du futur, décrivant ainsi notre vie au jour le jour. J’ai beaucoup aimé ce récit qui questionne aussi avec force l’Histoire que nous connaissons, qui reste écrite par les gagnants et puissants.
[Diversité: pp bègue]
Une femme est retrouvée morte mais le plus étonnant est qu’elle possède une créature bien étrange dans sa cave dont la vie est aussi en danger. Je suis décidément surprise. Greg Egan nous offre une nouvelle de hard-SF qui emprunte au thriller et nous parle aussi d’art et notamment d’un certain tableau. Absolument passionnant, j’ai dévoré ce texte qui aborde des sujets différents des précédents tout en offrant une justification scientifique aux créations atypiques présentées. La fin est cependant un peu déroutante.
C’est l’histoire d’un lien entre deux sœur jumelles. C’est aussi l’histoire d’une catastrophe sanitaire qui impacte l’héroïne dont la vie est en danger. Récit plus intimiste et très humain, c’est une nouvelle tout à fait accessible qui questionne l’éthique médicale. Moins impressionnante que les autres nouvelles mais pas dénuée d’intérêt.
Un homme dont la femme a été assassinée souhaite vengeance mais reste freiné par ses valeurs. Cette nouvelle nous propose d’explorer la possibilité d’implants pouvant modifier notre personnalité temporairement ou définitivement (dans tous les domaines) et questionne à nouveau l’éthique de ceci. C’est une nouvelle encore une fois dans la veine du thriller qui colle une sacré claque par l’écriture psychologique très précise du personnage principal. Je suis bluffée par la puissance de ces quelques pages qui me hanteront longtemps.
La conscience d’un homme se réveille chaque matin dans le corps d’un habitant de la même ville et du même âge. Chaque jour depuis sa plus tendre enfance il imite le comportement d’un autre dont il n’occupe le corps qu’une trentaine de jours éparpillés sur l’année. Cette nouvelle frôle pour moi le fantastique, laissant la science pure et dure un peu de côté et propose un récit terriblement accrocheur dont on ressent pleinement le malaise de cette non-vie perpétuelle. Petit côté enquête là encore qui nous captive jusqu’au final vraiment très bon.
Un homme blessé par balle se réveille de l’opération en ayant l’impression de s’observer depuis le haut. J’ai été moins emballée par cette nouvelle dont les enjeux m’ont paru plus faibles que les autres et la narration moins impressionnante. Cela dit l’idée reste intéressante mais le développement moins épatant que le reste des nouvelles du recueil.
Woaw! Encore une jolie claque que je rapprocherai de la nouvelle Axiomatique puisqu’elle repose beaucoup sur la psychologie très précise du personnage et questionne les limites d’un homme quand on s’attaque à l’être aimé. Ou en tout cas à son image… Intéressante réflexion sous-jacente sur ce qui constitue notre identité, sur notre réalité aussi quand la technologie permet de créer une illusion d’immortalité. Vraiment passionnant.
L’humanité se voit doté, dès la naissance, d’un cristal qui collecte toutes les données de son cerveau pour pouvoir un jour prendre le relais, évitant ainsi la dégénérescence des scellâmes cérébrales. L’interrogation du personnage principal est celle de son identité propre. Questionnement qui parcoure tout le recueil. Suis-je cette personne? Suis-je le cristal? Quand j’aurai effectué le basculement, que restera-t-il vraiment de moi? Une interrogation riche et passionnante.
« Oui, nous sommes des monstres. Mais si nous avons des problèmes, cela vient du fait que nous sommes restés encore bien trop humains.»
Le récit d’axe sur deux éléments. D’une part, un échantillon prélevé sur un corps posé de nombreuses questions et suggère des théories folles. D’autre part, le quotidien d’une Australie où le racisme anti-immigration est très présent alors que les réfugiés climatiques n’ont plus de lieu de vie. Une double histoire qui questionne les frontières entre « eux » et « nous » à plusieurs niveaux. J’ai beaucoup aimé ce récit puisqu’il touche à des domaines qui m’interpellent et critique avec pertinence le racisme et l’exclusion. La fin ouverte est peut être un peu abrupte cela dit.
Nous voilà projeté dans une situation sous tension. Deux hommes marchent en pleine nature. L’un veut tuer l’autre. Une marche de réflexion sur la vie, une marche d’argumentation pour survivre et un final marquant. Une nouvelle courte et cinglante qui marque peut-être moins par son ambition mais dont l’ambiance oppressante reste en tête.
Quand la nouvelle a commencé sur le désir d’enfanter, j’ai eu peur. Le non-désir d’enfant restant un sujet très mal traité. Mais heureusement, Greg Egan n’a pas insisté sur cette femme qui ne veut pas de bébé. On s’attarde plutôt sur un homme, encore, qui lui désire tellement un enfant qu’il va acheter un pack pour un infra humain qui s’éteindra au bout de 3/4 ans. Questionnements sur l’attachement, le deuil d’un enfant, l’amour et la souffrance qui y est liée, cette nouvelle est très marquante et d’une justesse impressionnante au niveau psychologique. Encore une fois.
Pour celle-ci, je suis complètement passée à côté. Trou de ver, réalité sans repères, la nouvelle m’a laissée de côté par sa complexité. Comme la première du recueil, je n’ai pas tout saisi mais cette fois je n’ai pas réussi à me raccrocher à l’ambiance ou à la tension. Un peu trop ardu pour moi.
Une femme a la possibilité de sauver la vie de son mari mais au prix de l’intégrité de son propre corps… Nouvelle encore une fois très précise en termes de psychologie qui interroge l’inégalité des sexes, mais aussi la limite entre nos valeurs et notre amour pour quelqu’un. Très marquant. Les questions soulevées sont très dérangeantes pour moi, parce que terriblement justes.
Terrifiante nouvelle. L’auteur nous place dans l’esprit malade d’un extrémiste religieux qui avait vu dans le SIDA un don de Dieu pour anéantir les pêcheurs mais fut déçu des possibilités de contournement de la maladie. Un texte effrayant au final atroce qui dénonce ces formes de croyances punitives. Une dérive extrême et glaçante dans un esprit malade. Remarquable et très accrocheur.
On retrouve l’univers de la nouvelle En apprenant à être soi pour questionner un peu plus notre rapport à l’autre et notre capacité à se mettre à la place de l’autre. Aux travers de divers expériences permises grâce aux technologies et au cristal, un couple tente d’expérimenter sa connaissance de l’autre. C’est déstabilisant mais très intéressant, posant encore une fois une formidable réflexion sur l’identité mais aussi sur la différence entre souvenirs et mémoire et sur l’intérêt de l’altérité dans une relation.
Superbe final pour ce recueil avec cette fois un monde bien étrange où les croyances attirent les personnes et les maintiennent sous une pensée unique délimitée en un lieu. Celles et ceux qui n’ont pas été « attrapé•e•s » errent en équilibre entre tous ces espaces attirant, vagabondant. Réflexions métaphysiques, questionnement sur le pouvoir qu’on a sur nos destinées, cette dernière nouvelle est très réussie et conclue admirablement le recueil par une porte laissée entrouverte pour nos propres conclusions.
En bref, Axiomatique est un recueil épatant de qualité et finalement passionnant à lire malgré des concepts plus ou moins ardus. Les nouvelles n’oublient jamais l’aspect humain derrière les développements scientifiques et proposent de multiples réflexions autour de la question de l’identité et des limites d’un être humain, tant concernant son corps que sa conscience. C’était finalement plus accessible que je ne le pensais!
« Des drogues qui brouillent la réalité et provoquent la conjonction des possibles.
Des perroquets génétiquement modifiés qui jouent En attendant Godot.
Des milliardaires élaborant des chimères, mi-hommes mi-animaux, par pure passion esthétique.
Des femmes qui accueillent dans leur ventre le cerveau de leur conjoint le temps de reconstruire son corps.
Des enlèvements pratiqués sur des répliques mémorielles de personnalités humaines.
Des fous de Dieu inventant un virus sélectif reléguant le SIDA au rang de simple grippe.
Des implants cérébraux altérant suffisamment la personnalité pour permettre à quiconque de se transformer en tueur…Premier volume de l’intégrale raisonnée des nouvelles que la collection « Quarante-Deux » consacre à celui que beaucoup considèrent comme le plus grand auteur de science-fiction contemporain, Axiomatique demeure un recueil majeur, un classique incontournable.»
(Illustration de couverture : © Nicolas Fructus)
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