Rossignol

Voilà bien longtemps que nous attendions une publication d’Audrey Pleynet dans la collection Une Heure-Lumière des éditions Le Bélial’. Car s’il y a bien une autrice francophone de SF qui excelle dans le format court, c’est elle. C’est maintenant chose faîte depuis mai dernier avec sa novella Rossignol. Voici ce que j’en ai pensé…

Extrait:

« Elle me parlait de la puissance de notre civilisation, de la force de notre caractère, de notre pureté de coeur. Ses tentatives pour me rallier m’excluaient d’autant plus. Aussi sûrement qu’elle avait exclu Lou’Ny’Ha de notre cabine. Sans le vouloir, ma mère ne faisait que souligner la différence de vécu entre elle et moi. Consolidait ce mur qui me semblait infranchissable. Je n’avais jamais foulé la terre d’une planète Humania.»

Mettre l’Univers en bouteille

Lire Rossignol, c’est découvrir tout l’Univers. Car au sein de cette station spatiale multiple et complexe, on croise de nombreuses créatures extraterrestres différentes, chargées de leur histoire, de leur culture, de leurs habitudes, de leurs croyances et de leur métabolisme. Elles illustrent toutes à leur échelle des mondes éloignés, des planètes plus ou moins hospitalières, des voyages et des histoires qui façonnent un monde complet et construit. Non contente de verser rien de moins que l’Univers dans un petit format comme on met des navires en bouteille, Audrey Pleynet imagine également la possibilité d’une forme de société utopique où la technologie permet la cohabitation de ce petit monde, ajustant les paramètres aux différentes morphologies, créant ainsi des échanges entre des êtres qui n’auraient pas été amené à se côtoyer ailleurs. Une sorte de station alpha où tout le monde est le bienvenu, accepté, même si tous les espaces ne leur seront pas forcément accessibles, les compromis des morphologies ayant évidemment quelques limites. Audrey Pleynet nous offre tout ça et bien plus en un tout petit format qui n’est pourtant jamais indigeste, jamais incompréhensible, toujours fluide et surtout, surtout, jamais prétentieux. Et je n’arrive même pas à comprendre comment elle a pu réussir un tel exploit.

Extrait:

« Je m’asseyais dans un coin, à même le sol, sans prendre la peine de trouver un siège qui correspondait à ma morphologie bipède, et je regardais émerveillée, puis somnolente, toute cette vie. Les murmures des souffles télépathiques de certaines espèces, même lointains, effleuraient mon esprit et me berçaient autant que le va-et-vient de la foule face à moi. Si je fermais les yeux, si j’oubliais les limites de mon corps, de mes membres sur le métal dur de la station, je me fondais dans ces voix, dans ce mouvement.»

Entre espoir et drame

La station qui nous est présentée dans cette novella est une société multiple qui semble impossible mais rayonne pourtant d’un espoir magnifique qui ne peut pas laisser indifférent les idéalistes comme moi. Elle rassemble des êtres si différents mais tournés pourtant vers leur vie en commun au sein d’une station à entretenir et à sauvegarder. Naissent ainsi des relations amicales et plus entre différentes espèces, entre incompréhensions à dépasser et réelles camaraderies. C’est beau. Et pourtant, ce joli vernis s’écaille face aux manigances en arrière-plan dans lesquelles notre protagoniste principale est plongée. On n’est pas ici dans un texte de Becky Chambers malheureusement et nous retrouvons des façons de penser qui sont plus intolérantes et font évidemment échos aux pires bassesses de l’humanité. Entre celleux qui souhaitent la mixité et celleux qui, au contraire, la rejette et souhaite le contrôle, Rossignol explore les difficultés de maintenir un monde si utopique tout comme la nécessité d’agir pour défendre ses valeurs d’ouverture. Même si cela s’impose à nous. C’est une novella d’une foisonnante richesse qui ne peut pas laisser indifférent et qui nous laisse, une fois la dernière page tournée, un air mélancolique en tête, teinté d’une forme d’espoir fou malgré tout. Je lui reprocherai peut-être une certaine frustration dûe au format. On aimerait se plonger plus longuement dans la station, mieux profiter aussi de son aspect utopique de prime abord pour en retirer un enseignement sûrement plus durable. Est-ce la volonté de dire beaucoup en si peu de pages qui crée cette frustration ou un choix ? Quoiqu’il en soit, la novella n’en reste pas moins impressionnante de maîtrise et de qualité. Et elle provoque beaucoup d'émotions.

En bref, Rossignol est une novella qui est immense par son contenu et sa richesse. Elle contient l’univers dans son ensemble et propose une société multiple et utopique avec ses failles et ses échecs mais aussi son espoir un peu fou. C’est un texte impressionnant par sa densité jamais contraignante. Un grand titre de la collection.

Résumé :

« Lointain futur. Espace profond.

Plus qu’une prouesse technologique, la station est une expérience. Politique, sociale, économique, philosophique. Ainsi, au sein de ce gigantesque assemblage minier peuplé d’espèces venues de tous horizons, les stationniens se définissent moins en fonction de leurs origines que de leurs pourcentages génétiques. Melting-pot utopique, la station offre de fait un refuge de tolérance unique au cœur de la Galaxie — une vie en symbiose gérée par les Paramètres qui adaptent l’environnement aux différentes morphologies, aux contraintes physiques, à toutes les essences du vivant. Ou du moins offrait… De profonds désaccords entre les Spéciens, favorables à la séparation interespèce, et les Fusionnistes, qui œuvrent pour davantage de métissage, cristallisent les tensions.

Au milieu de ces courants qu’elle ne maîtrise pas, une femme, stationnienne insignifiante, va devoir choisir son camp, et par là même, peut-être, peser sur le devenir de la station et sa myriade d’habitants.  »

(Illustration de couverture : © Aurélien Police)

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