La monture

Publié en 2002 et lauréat du prix Philip K. Dick l’année suivante, La monture de Carol Emshwiller est un roman de science-fiction pour lequel il aura fallu attendre 2021 pour en avoir une traduction française assurée par Patrick Dechesne pour les éditions Argyll. Roman atypique où l’humanité est devenue monture pour une espèce extra-terrestre, il avait piqué ma curiosité. Voici ce que j’en ai pensé…

« Il n’y a nul besoin pour vous ni pour aucun d’entre vous d’apprendre à compter. Et lire, pour quoi faire? Nous vous aimons bien musclés. La lecture n’endurcit pas les muscles. Nous préférons que vous vous ébattiez au manège.»

Condition animale et esclavagisme

En nous proposant une Terre où l’humanité s’est retrouvée au statut de monture pour une autre espèce, élevée et entraînée à la manière de nos chevaux selon des règles stricts et avec le même genre de récompenses et de punitions que pour les animaux, Carol Emshwiller crée un récit volontairement dérangeant. Le début du roman, notamment, avec le point de vue de cette autre espèce sur nous, provoque un sentiment de malaise et pointe avec force nos propres contradictions avec le monde animal et notamment les espèces qu’on utilise comme des outils. Mais puisque l’espèce humaine parle et donne voix à ses émotions, la situation touche aussi à la question de l’esclavage. En suivant Charley/Smiley, jeune monture promise à un avenir radieux de monture, on découvre la construction d’une relation esclave-maître et le conditionnement d’un être à un statut d’inférieur/de servant. En parallèle, le jeune Maître, lui aussi enfant, montre aussi l’endoctrinement de son éducation tout en le remettant souvent en cause par l’innocence de l’enfance et l’amitié qui se tisse entre eux deux. Volontairement dérangeant, le roman questionne sans imposer et propose ainsi, sous couvert d’une intrigue d’imaginaire assez classique, d’aborder deux sujets complexes avec originalité et intensité.

« Je veux toujours être bien entraîné et civilisé. Je déteste toujours la façon dont ils vivent ici. Je déteste être tout égratiné et tout sale, mais je continue à siffler des signaux que j’invente au fur et à mesure et à me jeter dans ce chaos. Je ne sais pas ce qui se passe et je ne m’en soucie même pas. Je veux y participer, tout comme je voulais être une des montures des gardiens. Je ne sais pas ce que je vais faire. Je ferai tout ce qui se présentera.»

L’initiation à la dure

Outre ses grandes thématiques, La Monture est également un récit initiatique double, celui de Charley, la monture, et du Petit Maître à qui il est destiné. Tous les deux, bien à leur place au départ dans cet ordre des choses un brin dérangeant, se trouvent confrontés, contre leur gré, à une autre façon de vivre auprès d’Humains sauvages en quête de liberté voire, pour certains, de vengeance. Le choc de la confrontation des différentes façons de voir le monde bouleverse évidemment les deux protagonistes enfants qui ne trouvent pas tout à fait leur place ni d’un côté, ni de l’autre. Leur initiation se fait ainsi brutale, dans la souffrance parfois et surtout dans le doute. C’est assez intelligent de nous confronter à des personnages en plein questionnement, nous permettant ainsi de comprendre toute la difficulté de trancher pour une situation ou une autre. Avec subtilité et sous une narration parfois déstabilisante, l’autrice nous invite ainsi à l’interrogation et au rejet de toute forme de domination quelle qu’elle soit. Et c’est ainsi qu’évoluent deux personnages parfois difficiles à saisir, parfois complexes à apprécier, dans une initiation à la dure pour sortir du chemin tout tracé qu’on leur imposait et trouver leur propre voie, leur propre identité, leur liberté. Et ce n’est pas dénué de beauté.

En bref, La Monture est un roman surprenant et volontairement malaisant qui permet, sous couvert d’une intrigue faussement classique, d’interroger notre rapport aux animaux mais surtout les questions de domination et de racisme entre les peuples. La narration peut parfois déstabiliser mais le roman n’en reste pas moins très intéressant en proposant un schéma qui ne tombe pas dans l’écueil du manichéisme. Notons qu’il sort en poche au mois d’avril pour celleux que ça intéresse! 

« Charley est un humain, mais Charley est surtout un animal apprivoisé.
Sur une Terre devenue leur monde d’accueil, les Hoots, des extraterrestres herbivores, ont transformé les humains en montures. Charley, jeune garçon sélectionné pour ses mensurations et ses capacités reproductives, est destiné à devenir l’une d’entre elles ; mieux encore, il est entraîné quotidiennement car promis à un futur dirigeant hoot, celui qu’il appelle Petit-Maître.
Cependant, sa rencontre avec Heron, son père libre et réfugié dans les montagnes, va chambouler son être, ses certitudes, sa destinée.»

(Illustration de couverture: © Xavier Colette)

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[Lecture n°23 (24/84 points avec les bonus pour l'échelon 5 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 11 de Ma lecturothèque]