Paideia

Publié le 2 février dernier aux éditions La Volte, Paideia est le premier roman adulte de l’autrice Claire Garand. Roman de science-fiction présenté comme à rebours de codes du genre, il interroge le libre-arbitre et la question de la maternité. Voici ce que j’en ai pensé…

[NB: Un grand merci aux éditions La Volte pour m’avoir proposé de recevoir cet ouvrage.]

« Ne pas choisir notre destin nous empêche-t-il de le vivre avec fierté ?»

« Voici le haut, voici le bas »

Entrer dans Paideia c’est d’abord plonger dans un univers où les repères nous manquent. C’est suivre une narratrice jamais nommée, en huis-clos dans une station orbitale avec son couple parental et son animal. Le temps? Un jour, avant la Descente. Vers où? Comment? Pourquoi? Frontière floue aussi entre réalité et simulation, entre rêves et destinée, Paideia nous jette dans le cosmos sans câble de sécurité avant de nous égrener progressivement des informations. C’est un roman qui n’est pas complexe mais qui demande au départ un petit effort à la lecture le temps de stabiliser nos repères. Repères flous aussi concernant ces petits filles de 7 ans dont l’intelligence dépasse largement tout ce que nous connaissons et dont les corps semblent déjà adultes et prêts à devenir mères. Enfants et femmes à la fois, génies et pourtant si enfantines parfois, le roman nous fait comprendre avec justesse toute l’ambiguïté de leur situation. La narratrice est aussi bien plus. Géniale pour nous, imbécile pour ses « camarades » car moins intelligente qu’elles selon l’échelle de Breuil-Rostocka, coincée dans une destinée mais rêveuse passionnée qui a soif de liberté. Elle est multiple, intense et touchante.

« Tout bien réfléchi, j’aurais aimé y plonger malgré l’effroi que le cosmos suscitait en moi. C’était même ce que je désirais le plus au monde: explorer le néant, le tamiser à la sonde et en extraire ses planètes pépites.»

Libre-arbitre et destinée

Paideia s’écrit à la première personne du singulier, nous mettant au cœur de la vie de la narratrice anonyme, victime des harcèlements et violences sordides des autres (oui, il faut s’accrocher) tout autant qu’au cœur de ses rêves et cauchemars. Ses émotions à fleur de peau, démonstration de son statut d’enfant souvent, nous attachent à elle. Sa ténacité et sa volonté d’être plus que ce qu’on veut lui imposer, tant pour sa vie que pour son corps, font d’elle aussi une jeune femme remarquable qui lutte avec acharnement pour avoir le droit à une existence propre. Questionnant avec force la notion de sacrifice du libre-arbitre pour le bien commun, Paideia appuie sur l’absurdité des obligations et l’importance de l’accomplissement personnel pour atteindre, peut-être, un semblant de bonheur. Avec une plume poétique et puissante, Claire Garand signe ici un roman remarquable qui surprend, bouscule pas mal et marque les esprits. Elle y souligne aussi avec brio que la maternité n’est pas une étape obligatoire que que chacune et chacun devrait pouvoir choisir pour son corps. Le final, d’une fulgurante certaine aurait peut-être mérité une coupure plus nette selon moi. Mais l’ensemble est vraiment très bon.

« Bien sûr, tout cela n’est qu’un conte, et comme tous les contes, il ne dit qu’une partie de la vérité, peu importe laquelle, seul l’avenir nous occupe.»

En bref, Paideia fera partie de ces romans qui marquent par la force de leur propos et l’intensité de leur narration. Il demande un petit effort le temps de trouver ses repères et se lit parfois le souffle court face à la violence et à l’exacerbation des sentiments de la narratrice, mais emporte sans faillir jusque’à un final fulgurant. C’est un puissant cri d’amour pour la liberté de choix.

« Dix petites filles dans dix stations en orbite autour de la Lune, derniers espoirs de l’humanité morte sur une Terre empoisonnée.

À l’instar d’un classique de la SF spatiale, tout commence comme une renaissance triomphante du projet humain mais au final, rien ne se passe comme prévu.

Parce que l’une d’elles rêve d’arpenter les planètes, qu’elle est le souffre-douleur des autres, et surtout parce qu’elle est moins intelligente (4,2 seulement sur l’échelle de Breuil-Rostocka alors que les autres sont 4,5 ou 4,6). Ainsi, pour se faire accepter de ses condisciples, elle relève un défi stupide et découvre ce qu’on leur cache : leur destin de futures mères de l’humanité, sur la Lune terraformée, où elles passeront toute leur existence.»

(Illustration de couverture : © Anna Parraguette)

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[Lecture n°15 (16/84 points avec les bonus pour l'échelon 5 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 11 de Ma lecturothèque]