L'oiseau moqueur

Après une première traduction en 1980 sous le titre L’oiseau d’Amérique, ce roman republié en 2021 chez Gallmeister dans la collection Totem sous le titre L’oiseau moqueur est une dystopie de Walter Tevis. Il existe aujourd’hui en format audio chez Lizzie avec une lecture réalisée par Éric Chantelauze et Anne-Sophie Nallino et c’est ainsi que j’ai exploré cette lecture (très) vivement conseillée par Baroona. Voici ce que j’en ai pensé…

Un roman initiatique mélancolique

L’oiseau d’Amérique est un roman dystopique devenu classique qui nous propose un futur assez proche du Meilleur des mondes d’Adolf Huxley par bien des aspects. L’humanité voit sa vie régulée par des machines et les drogues qu’elles distribuent. Chaque être humain est isolé des autres sur un principe d’intimité qui fait Loi, dans le but d’un épanouissement individuel absolu. Ce qui amène évidemment à la solitude, la dépression et le suicide de la population. Pour notre bien, les émotions sont proscrites, les relations tout autant, peuplant ainsi les rues d’êtres aux apparences de coquilles vides, comme mortes à l’intérieur. Difficile de ne pas y voir un reflet très actuel de notre société. Parmi eux, trois personnages. Spofforth, robot empreint d’humanité qui aimerait stopper sa vie éternelle mais ne le peut pas, et deux humains qui, au contact de l’un et de l’autre, vont reprendre le chemin de leur humanité et définir ce que veut vraiment dire « vivre ». Paul, personnage principal de ce roman, est un peu le Candide de Voltaire. Il prend peur à l’idée de s’écarter du monde qu’il connaît mais il ne peut empêcher sa curiosité et son envie de ressentir des choses. Par les expériences parfois douloureuses qu’il va devoir vivre, il grandira, s’épanouira, questionnera la notion de Vie et d’Humanité avec justesse pour, d’une certaine façon, se mettre à « cultiver son propre jardin ». Cet appel furieux pour avoir une raison de vivre parsème chaque page du roman, le patinant d’un sentiment mélancolique qui le rend aussi triste que beau. Il y a beaucoup de poésie dans la plume de Walter Tevis, un amour certain des mots aussi qui correspond parfaitement à son histoire. Et la lecture d’Éric Chantelauze sur les chapitres de Paul le retranscrit à merveille.

« Ce sont tous ces livres, même les plus ennuyeux et les plus hermétiques, qui m'ont aidé à comprendre ce que cela signifiait d'être un être humain. Et j'ai aussi appris, à travers le sentiment de sidération que j'éprouve parfois quand j'ai l'impression d'entrer en contact avec l'esprit d'une personne morte depuis longtemps, que je n'étais pas seul sur cette terre. D'autres ont ressenti ce que je ressens, ceux qui, à certaines époques, ont réussi à dire l'indicible. »

La lecture comme révélatrice de notre Humanité

L’élément déclencheur dans la vie de Paul est son accès à la lecture. Dans ce monde où lire n’est plus enseigné, la lecture provoquant des sentiments qui vont à l’encontre du principe d’intimité absolue, l’accès aux livres et aux films muets fait de Paul un être à part qui se trouve confronté à la vie d’avant, aux émotions des gens et à leur habitude de relations, notamment à la notion de famille. Sa sidération puis son émerveillement, notamment à la découverte d’un dictionnaire, sont particulièrement bien retranscrits dans ce roman. Le cheminement de pensée, accompagnant l’apprentissage de la lecture, changent irrémédiablement l’être qu’est Paul. Il quitte la vie robotisée pour une humanité à laquelle il a finalement toujours aspiré. La lecture, dans ce roman, est synonyme de liberté, d’épanouissement, voir même de survie. Elle porte les personnages, ouvre leurs horizons, leur offre des choix. Magnifique message que celui-là, auquel je ne peux qu’adhérer. Bien qu’ayant adoré cette lecture, je n’ai pas eu de coup de cœur cependant. Cela tient peut-être du format audio. J’ai eu, en effet, des difficultés à m’immerger dans les parties lues par Anne-Sophie Nallino. J’ai également trouvé que le roman proposait quelques longueurs et un style, parfois, un peu daté (rappelons que le texte date de 1980). Cela ne m’empêchera pas de vous le conseiller vivement, sous ce format ou sous un autre, car c’est une dystopie toujours très actuelle qui a beaucoup à nous enseigner sur nous-mêmes.

« Une lumière grise se répand sur ses terres où les indiens avaient jadis dormi sur des peaux de bêtes. Où, plus tard, les hommes blancs avaient semé la puissance irritable de leur pouvoir, de leur argent et de leurs désirs, construisant dans leur orgueil démesuré des bâtiments trop grands, remplissant dans leur folle impudence les rues de taxis et d’êtres anxieux pour finalement venir mourir dans la toxicomanie et l’égocentrisme.

L’aube arrive. Enfin. »

En bref, L’oiseau moqueur est un roman dystopique classique qui méritait amplement cette belle réédition chez Gallmeister tant ses messages restent actuels. Le texte, mélancolique, est magnifique et nous propose un récit initiatique juste et puissant qui redéfinit la notion d’Humanité et de Vie. Cri d’amour pour la lecture comme source d’émancipation, rappel puissant de l’importance des relations humaines, L’oiseau moqueur est un superbe roman que je suis très heureuse d’avoir découvert.

« "Pas de questions, détends-toi." C'est le nouveau mot d'ordre des humains, obsédés par leur confort et leur tranquillité d'esprit, déchargés de tout travail par les robots. Livres, films et sentiments sont interdits depuis des générations. Hommes et femmes se laissent vivre en ingurgitant les tranquillisants fournis par le gouvernement. Jusqu'au jour où un homme solitaire, Paul, apprend à lire grâce à un vieil enregistrement. Désorienté, il contacte le plus sophistiqué des robots jamais conçus : Spofforth, qui dirige le monde depuis l'université de New York. Spofforth se servira-t-il de cette découverte pour aider l'humanité ou la perdre définitivement ? »

(Illustration de couverture : © Alexander Wells)

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[Diversité : ps noir.e, ps asexuel.le]

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