Bienvenue à Sturkeyville

En février 2020, les éditions Scylla publiaient un recueil de nouvelles signées Bob Leman grâce à un financement participatif. Bienvenue à Sturkeyville était né. Bob Leman est un auteur plutôt méconnu qui avait publié ces nouvelles-ci entre 1979 et 1987. Si certaines étaient parues en français, notamment dans la revue Fictions, deux des six récits ici regroupés sont des traductions inédites. Alors, est-ce que ça valait le coup de nous faire connaître cet auteur un peu oublié? Grâce à l’Opération bol d’air, voici ce que j’en ai pensé…

« Ici, on ne distingue pas le moindre son ni la moindre lumière.

Ici, tout n’est qu’amour. »

Sturkeyville ou la destination de vacances pas franchement idéale

Les six nouvelles regroupées ici sont des histoires fantastiques horrifiques qui ont toutes comme ancrage la ville un peu bourgeoise typiquement américaine de Sturkeyville. Une destination qui n’est pas franchement idéale tant elle attire les monstres et les malédictions pour troubler la vie de ceux qui y vivent paisiblement. On y croise en effet un ver géant, des vampires ou bien encore des créatures mystérieuses enfouies dans les eaux du lac quand ce ne sont pas les maisons elles-mêmes qui présentent un danger. Chaque récit, en apparence indépendant, fait lien avec les autres, non seulement par les lieux mais aussi par certains personnages, dressant un portrait global et terrifiant de Sturkeyville et des habitants de cette bourgade en apparence très banale mais aux évènements plus que troublants. De texte en texte, l’auteur nous propose un ensemble horrifique certes classique (n’est-ce pas normal pour des textes écrits entre 79 et 87?) mais diablement bien écrit. Bob Leman est un conteur né et ses nouvelles sont à la fois efficaces et plus subtiles qu’elles n’y paraissent. Il parvient à créer une ambiance toute particulière, à la fois anxiogène et captivante, qui donne à l’ensemble de ce recueil, où les récits s’équivalent par ailleurs tous en qualité, un cachet indéniable. 

« -Ce genre de trucs, ai-je affirmé au bout d’un moment, ça n’existe que dans les livres. Ou les films. Pas à Sturkeyville.

-Mais tu aimerais y croire n’est-ce pas?»

Des nouvelles passionnantes

Tantôt fascinantes, souvent dérangeantes et toutes un peu effrayantes, les six nouvelles du recueil s’articulent autour de thématiques récurrentes comme la transformation, les destins inéluctables et l’enfer perpétuel de nos vies. Si toutes sont vraiment de niveau équivalent (ce qui est rare dans un recueil!), j’ai une petite préférence personnelle pour certains récits. La saison du ver qui introduit le recueil est très oppressante et dérangeante et met en exergue les thèmes chers à l’auteur ainsi que son petit goût pour les twists finals. La quête de Clifford M., inédite en français, est la démonstration du talent de conteur de Bob Leman et de sa capacité à dresser des portraits saisissants d’humanité malgré la monstruosité. Viens là où mon amour repose et rêve, inédite également, est une nouvelle superbement écrite qui est aussi touchante que perturbante. Chaque récit apporte sa pierre à l’édifice et nous démontre les talents d’un auteur injustement oublié qui, certes, n’a pas été très productif (15 nouvelles en tout et pour tout) mais a offert des textes qui méritent d’être lus et connus tant ils sont bons. Remercions donc les éditions Scylla (et les contributeurs) de nous permettre de faire sa connaissance, le tout dans un écrin superbement illustré par Arnaud S. Maniak (pour les illustrations intérieures) et Stéphane Perger (pour la couverture). 

En bref, Bienvenue à Sturkeyville est un excellent recueil de nouvelles fantastiques horrifiques toutes excellentes qui raviront les amateurs du genre, les fans des univers lovecraftiens ou même ceux transportés par l’amour des monstres de Guillermo del Toro. Bob Leman mérite vraiment d’être découvert.

« Sommaire:

- Préface

- La Saison du ver

- La Quête de Clifford M.

- Les Créatures du lac

- Odila

- Loob

- Viens là où mon amour repose et rêve»

(Illustration de couverture: © Stéphane Perger)