Résister à la culpabilisation : sur quelques empêchements d’exister

Mona Chollet est une autrice que j’aime beaucoup lire et écouter. C’est une autrice qui a le don de plonger dans des sujets de société et de proposer un point de vue à la fois personnel et sociologique féministe sur des thèmes comme l’habitat, le culte de la beauté ou encore les relations amoureuses. Elle revient cet automne avec un nouvel essai chez Zones intitulé Résister à la culpabilisation. Et voici ce que j’en ai pensé...

«[…] on tassasse - sans toujours bien le comprendre - le principe de la « présomption d’innocence » s’agissant des hommes accusés… Mais sans penser à accorder aux accusatrices une présomption de crédibilité.»

Dans cet essai, Mona Chollet s’intéresse cette fois à notre voix intérieure culpabilisante, cette voix qui nous rabaisse, nous dit qu’on n’en fait pas assez, qu’on n’est pas assez bien. Cette voix qui ronge particulièrement les femmes et les minorités et qui est héritée d’une société qui n’a eu de cesse de les rabaisser, réduisant leur estime de soi à peau de chagrin. Elle ne nous propose pas de faire taire cette voix et de dépasser nos limites comme la majorité des livres de développement personnel, mais plutôt à comprendre l’origine sociale de cette culpabilisation intériorisée. Car c’est sur le monde qu’il faudrait pouvoir agir pour que nous apprenions un peu plus à nous aimer et à nous laisser exister, tout simplement. Elle plonge avec justesse dans les racines religieuses de nos sociétés occidentales pour analyser l’origine de ce dénigrement, notamment des femmes et des enfants, d’un point de vue historique. Du péché originel accusant Eve de plonger l’humanité dans la déchéance à la peur propagée par l’Église, elle relate assez justement ce qui a participé, historiquement, à la la diabolisation des femmes, enfants et minorités. Et ce jusque dans les sphères du savoir, encore aujourd’hui sujettes aux violences sexistes et aux dominations patriarcales en sus de celles de classe. Par ce regard historique, elle nous aide à mieux saisir ce qui se joue en société et qui impacte notre vie intime.

« Nous devrions changer ce rapport masochiste et compulsif au travail et perdre l’habitude de mesurer l’intensité de notre engagement aux plumes que nous y laissons. Nous devrions questionner une mystique de la souffrance qui va trop souvent de soi - et qui est une aubaine pour les exploiteurs. Il faudrait préserver un noyau d’amour de soi qu’on ne se laisse pas arracher, qu’on protège, avec la certitude qu’on en a le droit, et même le devoir. »

Mona Chollet est une autrice brillante. Elle parvient toujours à relier son histoire personnelle, intime, avec un regard plus large sur le monde. Elle porte ici un regard sincère sur ses propres failles (avec une capacité d’auto-analyse sincère particulièrement rare) mais aussi sur sa tendance à culpabiliser. Elle ne nie pas ses défauts mais les analyse au prisme de la société avec une justesse déstabilisante qui nous amène, nous aussi, à la lecture, à nous regarder différemment. C’est un essai qui éclaire le monde et les mécanismes sociaux auxquels on ne fait plus attention et c’est leur connaissance qui nous permet d’agir dessus en tentant, à notre échelle, de basculer certains paradigmes. Pour cet essai, elle analyse différents aspects où se joue cette tendance à la culpabilisation. Elle évoque, entre autres, la double peine des victimes de violences sexuelles qu’on culpabilise constamment (et l’affaire Pelicot est en une triste démonstration). C’est un passage du livre qui m’a semblé particulièrement percutant et que je recommande chaudement. Mais elle parle aussi de la culpabilité qui pèse sur les mères qu’on presse à la perfection et qui se sente souvent démunie face à cette injonction fantasmée mais inaccessible. L’essai évoque également les enfants, souvent jugés tyrans alors qu’ils sont parfois simplement des êtres en souffrance qui ont besoin de notre soutien. J’ai également beaucoup apprécié les chapitres sur l’injonction à la productivité dans le monde du travail et l’injonction à la perfection dans le militantisme. Deux sujets qui résonnent forts pour moi et qui me font porté un regard neuf sur les pressions absurdes que je m’impose. Là encore, la résonance avec l’actualité est particulièrement puissante et nous permet d’éclairer ce qu’il faudrait changer dans la société.

En bref, Résister à la culpabilisation est un essai brillant, dense et pourtant accessible qui éclaire avec justesse notre capacité à nous limiter issue d’un grand héritage historique et du poids de la société. Tout autant intime que global, l’essai ne nous invite pas à nous dépasser mais à comprendre ce qui se joue pour s’autoriser un peu d’estime de soi et de douceur envers nous-mêmes (et envers les autres), tout en comprenant nos failles. C’est une lecture formidable que je vous recommande chaudement.

« Harcèlement, humiliations, insultes : nous sommes bien averti.es de ces fléaux de la vie en société et nous nous efforçons de lutter contre eux. Mais il y a un cas de figure que nous négligeons : celui où l’agresseur, c’est… nous-même. Bien souvent résonne dans notre tête une voix malveillante qui nous attaque, qui nous sermonne, qui nous rabaisse ; qui nous dit que, quoi que nous fassions, nous avons tort ; que nous ne méritons rien de bon, que nous présentons un défaut fondamental. Cette voix parle particulièrement fort quand nous appartenons à une catégorie dominée : femmes, enfants, minorités sexuelles ou raciales…
Ce livre se propose de braquer le projecteur, pour une fois, sur l’ennemi intérieur. Quels sont ces pouvoirs qui s’insinuent jusque dans l’intimité de nos consciences ? Comment se sont-ils forgés ?
Nous étudierons quelques-unes de leurs manifestations : la disqualification millénaire des femmes et, notamment, aujourd’hui, des victimes de violences sexuelles ; la diabolisation des enfants, qui persiste bien plus qu’on ne le croit ; la culpabilisation des mères, qui lui est symétrique ; le culte du travail, qui indexe notre valeur sur notre productivité ; et enfin la résurgence de logiques punitives jusque dans nos combats contre l’oppression et nos désirs de changer le monde. »

(Illustration  de couverture: © Expulsion du paradis (Genèse 3), gravure en acier, 1841)

- Livre reçu en service presse. Publication non rémunérée. Merci aux éditeurs. - 

[Pumpkin Autumn Challenge 2024 - Tableau Automne Douceur de vivre - Catégorie La délicieuse malaventure de Sadima : Féminisme - Genre - Déconstruction]