Mascarade

Je vous parlais, il y peu, d’un roman policier historique teinté de jazz, premier roman d’un certain Ray Celestin, et qui s’intitulait Carnaval. Ayant adoré me plonger, grâce à l’auteur, dans la Nouvelle-Orléans de 1918, j’avais très hâte de poursuivre l’aventure dans le Chicago de 1928 avec cette suite, intitulée Mascarade et publiée aux éditions du Cherche Midi. Oh, juste un petit conseil, n’hésitez pas à lancer la musique en fin d’article pour lire la chronique (et le livre), ça vous mettra dans l’ambiance… Et puis c’est tellement beau!

[NB: Si Mascarade fait suite à Carnaval, il n’est pas nécéssaire de lire le premier avant le second, les deux histoires étant bien distinctes à l’exception de la récurrence des personnages principaux.]

La plongée dans une époque

Si, à la base, je ne suis pas ultra friande des romans historiques, je dois avouer qu’après deux coups d’essai, Ray Celestin est en mesure de changer cela. L’ambiance de Mascarade est si parfaitement transmise qu’elle en devient quasi-palpable. Tout comme c’était le cas pour Carnaval, il suffit d’ouvrir le livre pour se retrouver dans un lieu à une époque donnée et en ressentir les parfums, les sonorités, etc. J’étais vraiment plongée dans ce Chicago de 1928 enfumé et en plein bouleversements. Je sentais l’odeur des alcools frelatés de la prohibition, je percevais l’ambiance sulfureuse des soirées dans les clubs, le jazz en pleine explosion, la modernité qui s’installe à grande vitesse, et bien entendu le côté mafieux et gangster si envoûtant et iconique de l’époque. Si historiquement il y a quelques « raccourcis », argumentés et expliqués par l’auteur en fin de livre, l’ambiance de la fin des années 20 est, quant à elle, respectée. L’époque historique est en effet parfaitement retranscrite et c’est avec délice que nous nous y plongeons. Ressentir aussi vivement une telle période n’est possible que par le biais d’une plume riche et travaillée. Ray Celestin sait retranscrire un décor, une atmosphère, une époque, et il le fait avec une grande élégance. Par contre, tout comme pour Carnaval, le lieu et la date ont joué un grand rôle dans mon plaisir de lecture, la ville devenant à nouveau un personnage à part entière et il est donc possible, si la période ne vous intéresse pas du tout, que vous n’y trouviez pas votre compte.

« Que faisait-on des débris de rêves? Est-ce qu’on les ramassait pour les recoller et en faire quelque chose d’autre ou bien est-ce qu’on laissait les éclats joncher le sol pour s’écorcher les pieds dessus jusqu’au sang? »

Une histoire palpitante

Bon, vous allez me dire, c'est bien beau d'avoir une époque bien retranscrite mais ça reste un policier, et donc l'enquête elle vaut le coup aussi? Et bien oui, j’ai encore une fois grandement apprécié l’affaire proposée par l’auteur dans ce second roman. Reprenant les ingrédients qui fonctionnaient bien du premier livre, il conserve une construction où nous suivons alternativement différents protagonistes qui se croisent dans le récit, offrant un rythme soutenu à l’ensemble. De plus, sa construction en partie qui se distinguent par des différences rythmiques, comme une partition de jazz, est tout simplement géniale et contribue à l’ambiance si particulière du récit. J’ai été captivée par l’enquête, plus haletante que ne l’était celle de Carnaval encore dont le rythme, plus lent et moins maîtrisé entraînait quelques temps morts. Mais peut-être que Chicago, où les gens vivent à un rythme plus rapide, tout comme la musique qui y est jouée, est juste sur un autre tempo que ne l’était La Nouvelle-Orléans après tout. J’ai aussi adoré retrouvé les personnages que j’avais tant aimé comme Ida dont l’évolution était particulièrement attendue pour moi et ne m'a pas déçue. Et puis qui dit Chicago fin des années 20 dit Al Capone… et là mon petit coeur s’emballe parce qu’enfant j’étais fascinée par cette homme si charismatique (si, si rappelez-vous, je faisais des poèmes sur lui... oui j'étais une enfant étrange). Il joue ici un vrai rôle et c’est juste super jouissif de le voir mis en scène sans qu’il soit non plus idolâtré ou fantasmé, mais réaliste. J’ai aussi eu un gros coup de coeur pour les petits nouveaux à entrer en scène, comme Dante dont le charisme transpirait des pages. Ray Celestin a un réel talent pour la construction psychologique de ces personnages, qui, si ils sont nombreux, n’en sont pas moins travaillés et complexes. Et comme on s’attache  à plusieurs d’entre eux, qu’on a envie de savoir leur destin, on enchaine les chapitres pour vite connaître leurs parcours et on dévore les presque 600 pages sans même s’en rendre compte.

« […] le jazz venait des ouragans de la Nouvelle-Orléans que des légions de gens du Sud en haillons avaient ramenés dans le Nord, cachés dans les pistons des trompettes et le creux des contrebasses, et quand ils jouaient, ils libéraient ces tempêtes et toute cette énergie d’un simple souffle des lèvres sur une embouchure, d’une pression des doigts sur un clavier, d’une torsion de corde. »

En bref, Mascarade est un second roman tout aussi bon que ne l’était Carnaval et qui a même gagné en maturité au point de vue de la gestion rythmique du récit. L’ambiance du Chicago de 1928 est parfaitement retranscrite et l’enquête ne souffre d’aucun temps mort, nous embarquant dans un rythme endiablé de lecture. A conseiller aux amateurs de polars, de romans historiques, d’histoires de gangsters et de jazz.

« 1928. Chicago est la cité de tous les contrastes. Du ghetto noir aux riches familles blanches, en passant par la mafia italienne tenue par Al Capone, la ville vit au rythme du jazz, de la prohibition et surtout du crime, que la police a du mal à endiguer. C’est dans ce contexte trouble qu’une femme appartenant à l’une des plus riches dynasties de la ville fait appel à l’agence Pinkerton. Sa fille et le fiancé de celle-ci ont mystérieusement disparu la veille de leur mariage. Les détectives Michael Talbot et Ida Davies, aidés par un jeune jazzman, Louis Armstrong, vont se charger des investigations.

Au même moment, le corps d’un homme blanc est retrouvé dans une ruelle du quartier noir. Le meurtre en rappelle un autre à Jacob Russo, photographe de scènes de crime, qui décide de mener son enquête.

Quel est le lien entre ces deux affaires ? Y a-t-il un rapport avec le crime organisé ? Car la vieille école d’Al Capone et de la contrebande d’alcool est menacée par de jeunes loups aux dents longues qui, tels Lucky Luciano ou Meyer Lansky, n’hésitent pas à se lancer dans le trafic de drogue.»

(Illustration de couverture : ©Joanna Thomson)

West End Blues par Louis Armstrong et ses Hot Five (1928):

Dans la même série de livre:

- Carnaval