Carnaval

Premier roman de l’auteur Ray Célestin, The Axeman’s Jazz a été publié pour la première fois en 2014 aux USA avant d’être traduit sous le titre Carnaval pour Cherche Midi en 2015. Il fut ensuite publié en poche l’année dernière chez les éditions 10/18 dans la collection Grands détectives. Mêlant les genres du roman policier et historique, Carnaval vous emmène dans la Louisiane de 1918 sur les traces d’un vrai tueur en série.

« Si cette ville était une personne, ce serait une pute sur le déclin.»

Jazz, swing, tensions raciales, corruption et vaudoo

Woaw! Carnaval c’est plus qu’un roman c’est un voyage. Un voyage dans le temps d’abord, puisqu’il nous plonge complètement dans la Louisiane de 1918/1919, avec ses tensions raciales, la jazz en plein boom, la prohibition à venir, la décadence qui devient illégale, ses fumeries d’opium et ses premières voitures. C’est aussi un voyage dans une ambiance parfaitement maîtrisée. Cette atmosphère brumeuse et dangereuse d’une ville pleine de corruptions et de mystères donne à ce roman une sorte de touche de vieux polar dans la brume. Le lecteur plonge de façon enivrante dans ce savant mélange de meurtres, d’enquêtes, de mafia mais aussi de musique. Cette ambiance est tellement maîtrisée qu’elle passe, pour moi, au-dessus même de l’histoire. Je lisais Carnaval pour m’envoler dans cette Nouvelle-Orléans de 1918. Il ravira ainsi à la fois des amateurs de romans policiers et des amateurs de romans historiques. La ville devient véritablement un personnage à part entière sous la plume envoûtante de Ray Célestin. On la ressent comme étant un être vivant dont les pulsations cardiaques seraient la musique incessante qui s’y joue. La ville est captivante, les descriptions des quartiers extrêmement immersives,…. Bref, avec Carnaval on a affaire à un roman qui vous embarque ailleurs de la première à la dernière page. C’est enivrant, c’est envoûtant, c’est addictif. 

« En Louisiane, les Noirs n’avaient guère le droit de faire entendre leur culture et les enterrements permettaient justement d’y donner libre cours en public et de traiter les opprimés avec pompe. C’était pour ça qu’elle fronçait les sourcils, parce que la seule fois où un Noir pouvait être traité avec grandeur, c’est quand il n’était pas plus là pour en profiter.»

Tous les ingrédients d’un bon livre

En plus d’une ambiance parfaite, Carnaval nous propose une histoire franchement captivante et bien ficelée. Non content de se baser sur des faits réels, à savoir l’existence du tueur en série « The Axeman », et allant même jusqu’à reproduire fidèlement sa lettre adressée à la presse, Ray Célestin nous propose sa version de cette histoire non résolue. Et pour cette enquête, nous n’allons pas suivre uniquement la police mais tout un panel de personnages dont les chemins vont s’entrecroiser tout au long du récit. Et quel panel! Loin de faire dans la facilité, l’auteur a fait de chacun un être très humain, avec ses forces, ses faiblesses, son histoire et ses secrets. C’est riche, tant d’un point de vue historique qu’humainement parlant. Nous suivrons donc un enquêteur dans l’illégalité car Blanc mais marié à une Noire, un ancien flic/mafieux au caractère très en relief, une femme trop noire pour être blanche, et inversement, qui cherche à dépasser son statut de femme et qui plus est, de femme de couleur ou encore un journaliste plongé dans les méfaits de l’opium et aux rêves brisés. Mais s’ajoute à cela Louis Armstrong lui-même!!! Et là, mon âme d’amatrice de jazz était en plein frétillements. Loin d’être juste une partie du décor, il devient un personnage principal à part entière et cela rend le livre d’autant plus savoureux. Je regrette juste que le personnage du journaliste ne soit pas plus creusé par rapport aux autres. Les protagonistes s’entrecroisent et ajoutent leur pierre à l’enquête à leur façon, c’est ensuite au lecteur de reconstituer le tableau d’ensemble. Et, même si l’histoire est passée un peu au second plan par rapport à l’ambiance elle-même, il faut admettre qu’elle est bien ficelée et que Carnaval est aussi un bon polar. A ce propos d’ailleurs, j’ai apprécié les quelques rapports de police qui ponctuent le texte pour nous annoncer un décès. Même si le rythme retombe un peu durant ces pages, cela rappelle la base véridique de l’histoire et donne un cachet supplémentaire au texte.

« Luca trouvait qu’il émanait de cet endroit perdu et humide une pesanteur et une tristesse, comme s’ils étaient à la lisière de quelque chose qui n’était pas simplement le bayou. L’endroit sentait la mer et l’enfer.»

Mais alors pourquoi ne pas lancer une alerte coup de coeur?

Même si j’ai passé un merveilleux moment de lecture, Carnaval passe très près du coup de coeur mais sans l’atteindre pour deux petites raisons. Tout d‘abord, bien que la plume m’ait vraiment envoûtée et qu’elle est sacrément maîtrisée pour un premier roman, j’ai noté de nombreuses répétitions qui m’ont un peu gênée. Je ne sais pas si cela est dû au texte original ou à la traduction cependant. Mais surtout, la fin m’a parut moins passionnante que l’ensemble du livre et mon enthousiasme est donc un peu retombé. J’ai trouvé en effet que l’ambiance de la tempête n’était pas aussi forte que le reste du livre et le rythme endiablé qui nous était imposé jusqu’ici, comme un bon jazz qui faisait swingué nos méninges, s’est un peu essoufflé sur la fin. Malgré tout, j’ai adoré la lecture et je suis époustouflée de sa qualité pour un premier roman. Vivement que je lise le prochain livre de l’auteur, Mascarade, paru en février 2017 chez les éditions Cherche Midi parce que j’ai très envie de plonger cette fois dans le Chicago de l’entre deux-guerres avec Al Capone en figure centrale (non mais Al Capone *_* !!! J’écrivais des poèmes sur lui petite… oui j’ai eu une enfance étrange, je sais ^^).

En bref, amateurs de policier et d’historique, plongez dans l’univers de Carnaval sans hésiter. Car si je vous dis Nouvelle-Orléans, 1918, vaudoo, jazz, véritable tueur en série, mafia et Louis Armstrong et que vous n’êtes pas déjà en train de regarder où acheter cette petite pépite alors c’est que nous ne sommes pas sur la même longueur d’ondes. Je ne pouvais rêver meilleur mélange personnellement. 

« En 1919, un tueur en série s’attaque aux habitants de La Nouvelle-Orléans en laissant sur les lieux de ses crimes des cartes de tarot. La panique gagne peu à peu, on évoque le vaudou, les rivalités ethniques sont exacerbées. Un policier, Michael Talbot, un journaliste, John Riley, une jeune secrétaire de l’agence Pinkerton, Ida, et un ancien policier tout juste sorti de prison, Luca D’Andrea, vont tenter de résoudre l’affaire. Mais eux aussi ont leurs secrets… Alors qu’un ouragan s’approche de la ville, le tueur, toujours aussi insaisissable, continue à sévir. Le chaos est proche. »

(Illustration de couverture : © Joanna Thomson)

* Question du jour: aimez-vous les ambiances de cette époque, entre chapeau de feutre, jazz et pièces enfumées? *