Houston, Houston, me recevez-vous?

Alice Bradley Sheldon est une autrice qui écrivait sous le pseudonyme de James Tiptree Jr. et que j’avais terriblement envie de lire après avoir découvert son nom, et sa bio (et je ne peux que vous inviter à la découvrir vous aussi tellement elle est intéressante) lors d’un quizz sur le meilleur Discord avant la fin du monde. Publié en mai dans la formidable collection Une Heure-Lumière des éditions Le Bélial’, Houston, Houston, me recevez-vous ? est une novella de l’autrice que je me suis empressée de me procurer. Elle fut lauréate du prix Hugo et du Nebula. Voici ce que j’en ai pensé…

« Trente centimètres et cinquante kilos en plus, et je serai comme eux. Je serai l’un d’eux. Un alpha. »

Attention, ça va secouer !

Une chose est certaine, Alice Bradley Sheldon n’écrivait pas des choses légères ! Avec cette novella, attendez-vous à vous faire secouer par un texte mature et assumé. C’est assez direct, assez dur, très piquant sur les questions de masculinité et surtout, l’autrice n’hésite pas à y aller franchement pour passer des messages. On est bien loin d’une ballade tranquille dans l’espace, vous l’aurez compris. J’ai personnellement eu quelques difficultés à passer au-dessus d’une scène qui appuyait là où ça faisait mal mais j’ai trouvé le parti pris de cette écriture plutôt audacieux et indubitablement marquant. Si vous avez une sensibilité particulière sur certains sujets (repris en CW en fin de chronique), vous voilà prévenus. Son idée est aussi simple que géniale : confronter trois hommes issus d’une culture très patriarcale et masculiniste à un monde de femmes où les notions de supériorité, de sexe ou hiérarchiques ont été abolies, en plus de nombreux autres éléments. Un choc qui crée évidemment quelques tensions quand la remise en question de tout ce qui leur semblait acquis jusqu’à la définition d’eux-mêmes en tant qu’hommes est mis à mal. L’autrice explore ainsi les stupidités d’un monde patriarcal qui coince les hommes dans un stéréotype de mâle dominant violent et grossier (qui est un problème aussi pour les hommes) mais également les dérives d’un fanatisme religieux à outrance. Elle interroge notre manière de penser le monde, sur les critères de domination, de propriété et de pouvoir, en proposant une alternative surprenante.

« Bien sûr que vos inventions nous sont utiles et que nous apprécions votre rôle dans le schéma de l’évolution. Mais vous devez bien voir quel est le problème. Si j’ai bien compris, ce dont vous protégiez les gens, c’était surtout des autres mâles, n’est-ce pas?»

Un style qui ne peut pas convaincre tout le monde

Bien que le propos soit très intéressant et la manière de le proposer efficace, j’avoue avoir eu quelques difficultés avec cette lecture. Le format de la novella n’aide peut-être pas dans le sens où il est impossible pour son autrice de creuser un peu plus ses thématiques et de mieux nuancer ses personnages. On est ainsi dans un registre plutôt manichéen, à l’exception peut-être du personnage principal, et cela donne un texte qui manque d’un soupçon de finesse. Son style franc et brusque participe aussi à cette impression. Certains trouvent cette écriture géniale, d’autres sont plus déstabilisés. Je suis de ce deuxième groupe malheureusement. Je garde tout de même une forte impression de ma lecture, un véritable choc procuré par cette courte intrigue qui pointe, malgré son côté très franc, des failles dans nos rapports sociaux qui n’ont malheureusement pas perdu de leur actualité. Et c’est très réussi ! J’aurai aimé aborder plus longuement son autre proposition de société aux accents utopiques qui pose quelques jalons de réflexion qu’on a envie de poursuivre.

En bref, Houston, Houston, me recevez-vous ? me restera en mémoire pour son style très direct et sa proposition d’une intrigue qui pointe les failles d’une société trop masculiniste et les dérives d’une humanité tourné vers la domination. Pas mal secouée par l’intrigue, j’ai cependant eu plus de mal à accrocher à la plume. Il n’en reste pas moins que ce texte est un coup de poing qui remet les idées en place et pousse à l’action, notamment pour la défense des droits de femmes malheureusement toujours remis en question. Je reste néanmoins convaincue que James Tiptree Jr. alias d’ Alice Bradley Sheldon est une voix à lire.

« À bord du Sunbird ils sont trois : le major Norman Davis et le docteur Orren Lorimer, sous la houlette du capitaine Bernhard Geirr. Des hommes, des vrais, l’élite de la Nasa lancée dans une mission à ce jour inédite : effectuer le tour complet de notre étoile. Mais après une tempête solaire d’une rare intensité, l’équipage a la désagréable surprise de constater que personne ne réagit à ses appels de détresse… Houston ne répond plus. Jusqu’au moment où le Sunbird capte enfin un message. Un autre astronef, le Gloria, orbite dans les parages et semble à même de secourir les trois astronautes. Or, ce que Lorimer, Davis et Geirr ignorent, c’est que les vrais ennuis sont sur le point de commencer. Des ennuis dont ils sont bien loin de mesurer la portée, tant leur monde s’apprête à basculer vers… autre chose.»

(Illustration de couverture: © Aurélien Police)

[Diversité: ps métis.se, ps lesbienne]

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