Une époque formidable

Le 18 mars prochain, les éditions du Cherche midi vont publier le premier roman de l’autrice américaine Kiley Reid intitulé Une époque formidable dans sa traduction française. Roman contemporain et critique sociale autour des questions de racisme et de classes, Such a fun age a connu un grand succès critique outre-Atlantique à sa publication en 2019. Et voici ce que j’en ai pensé…

[NB : Merci à Benoît de la cherche midi éditeur pour cette proposition de lecture.]

" - Meuf, protesta Zara, ça aurait pu grave mal tourner.

- Z, ça va", s'esclaffe Emira avant de porter le dos de sa main à sa bouche et de se mettre à pleurer en silence."

Une lecture compulsive

Une époque formidable fait parti de ces romans qu’on commence en pensant lire une vingtaine de pages pour se faire un avis avant de réaliser qu’on en a dévoré une centaine sans même s’en rendre compte. La narration est particulièrement efficace et accrocheuse, avec des chapitres plutôt courts et une alternance de points de vue qui nous captive sans qu’il n’y ait besoin de nombreux évènements. Les révélations s’enchainent à un bon rythme, basculant sans cesse nos certitudes et interrogeant toujours différemment les conséquences de l’évènement de départ. Il est franchement difficile de se détacher de cette lecture qui, même si elle n’a pas suivi le chemin que j’escomptais, réussi à nous maintenir dans une attente et une sorte de tension dramatique maîtrisée. J’ai juste eu une légère baisse de rythme dans la partie 2 du roman qui s’intéresse à l’histoire de deux protagonistes gravitant autour de l’héroïne et qui me sont rapidement devenus très antipathiques. Leur histoire fait tellement superflue et la condescendance de l’une n’a d’égale que le malaise provoqué par l’autre que ça devient difficile de se passionner pour leur problème. Si ça sert indéniablement l’intrigue, on tombe un peu dans un drame à la Dallas qui peut étonner ou rebuter.

" Comment elle pourrait conserver son habileté de mère et de petite entrepreneuse en étant entourée par le genre de femmes qui bloquent la file au contrôle de sécurité parce qu'elles ont oublié de retirer leur veste."

Un racisme ordinaire et insidieux

Kiley Reid nous propose ici un roman qui gravite autour d’une question de racisme sans que ça se finisse en bain de sang ni en drame national. Non, avec intelligence, l’autrice nous parle au contraire du racisme ordinaire tout aussi violent. Elle nous parle aussi des récupérations des histoires des victimes que ce soit pour sa propre promotion sociale (vous savez ce fameux « Je ne suis pas raciste, j’ai une amie noire ») ou encore de fétichisme. Par cette narration qui gagne en intensité de pages en pages, elle démontre l’horreur abjecte de ces formes « banales » de racisme, insidieuses et quotidiennes. C’est plutôt malin ! Emira, la jeune héroïne de cette histoire est assez bien écrite d’ailleurs, tout en nuances. Cette jeune femme qui cherche encore son avenir est touchante par ses failles et par sa force et sa relation avec Briar, cette enfant adorable, curieuse et si seule est très touchante. Elles sont toutes deux victimes de celleux qui ne pensent qu’à leur image sociale au détriment des personnalités et identités extraordinaires qui les entourent.

En bref, Une époque formidable est un roman terriblement addictif qu’on lit de manière compulsive grâce à sa narration efficace et la montée en tension constante de l’intrigue. Pour son premier roman Kiley Reid frappe assez fort en parlant avec intelligence de racisme ordinaire au cœur d’une intrigue très télévisuelle et accrocheuse (une adaptation serait d’ailleurs en cours pour le cinéma). Un peu éloigné de ce que je pensais lire parfois, avec son côté très superficiel et la condescendance d’un des personnages, je n’ai pas un enthousiasme débridé pour ce titre mais c’est un bon premier roman !

« Philadelphie. Emira Tucker, jeune diplômée afro-américaine, s’occupe de Briar, la fille d’une influenceuse réputée. Un soir, dans un magasin avec l’enfant, Emira se fait prendre à partie par un vigile. Une jeune Noire et une petite fille blanche, ensemble, à une heure tardive : la situation est forcément louche. La scène, humiliante, est filmée par un passant. Pour tous ses proches, Emira devient alors la victime idéale. Celle que l’on doit prendre en charge, conseiller, aider et défendre. Mais très vite celle-ci est excédée par la bonne conscience facile que chacun se donne à cette occasion. Peu à peu, l’atmosphère devient irrespirable, puis explosive... et les illusions des uns et des autres volent en éclats. »

(Illustration de couverture : © Vi-An Nguyen)

[Diversité: pp noir.e ; ps noir.e]

Alcool, Classisme, Harcèlement, N-word, Racisme, Sexe