Des milliards de tapis de cheveux

Publié pour la première fois en 1995 et traduit en français en 1999 pour les éditions L’Atalante, Des milliards de tapis de cheveux est une œuvre majeure de l’auteur allemand Andreas Eschbach qui fut récompensé du Grand Prix de l’Imaginaire en 2001. Republié en 2019 avec une postface inédite de l’auteur, c’est un roman que j’avais très envie de découvrir. Suite aux avis enthousiastes des lecteurs et lectrices participant au Hold my SFFF challenge dans lequel il était conseillé, j’ai décidé de me lancer. Et voici ce que j’en ai pensé…

« L’art ne devient art qu’à partir du moment où il touche d’autres personnes. Si je joue sans que nul ne m’entende, cela ne fait aucune différence que je joue ou non.»

Une intrigue qui se tisse au fil du temps

Partant d’un élément d’intrigue très étrange, à savoir la confection de tapis de cheveux humains tressés par des tisseurs qui ne pourront réaliser qu’une seule de ces œuvres sur toute une vie de labeur, le roman ressemble ensuite à un assemblage de micronouvelles. Chaque chapitre fait ainsi intervenir différents personnages, différentes histoires et, de façon progressive, un univers de plus en plus étendu où des liens de cause à effet et d’imbrications vont peu à peu se tisser aux yeux du lectorat jusqu’à nous offrir une fresque grandiose. Malgré cette pluralité et ces changements de points de vue récurrents, le roman forme bel et bien un tout dont la construction est admirable. On regrette juste un manque d’émotion qu’impose l’alternance constante des personnages, ce qui n’empêche pas certains récits de nous toucher, même s’ils sont abordés brièvement (celui de Ludkamon, ou celui du retour des étoiles par exemple…). De même, la lecture ne paraît pas celle d’un recueil mais bien celle d’une œuvre globale qui nécessite cet effet d’élargissement du plan pour tout intégrer et maintenir, bien évidemment, notre attention. Car le mystère des tapis de cheveux est la trame de toute cette œuvre finement tissée. Néanmoins, là n’est pas le seul intérêt du livre, loin s’en faut ! Car c’est dans la pluralité que l’auteur parvient à exploiter pleinement son univers de space opera fascinant jusqu’à un final que je trouve grandiose.

« Noeud après noeud, jour après jour, une vie durant, les mains de l’exécutant répétaient sans cesse les mêmes gestes, nouant et renouant sans cesse les fins cheveux, des cheveux si fins et si ténus que ses doigts finissaient immanquablement par trembler et ses yeux par faiblir de d’être si intensément concentrés - et pourtant, l’avancée de l’ouvrage était à peine perceptible.»

De l’obscurantisme au sens de la vie

Au travers des histoires multiples de ce roman, Andreas Eschbach aborde de nombreux sujets, parfois de manière approfondie par la pluralité des points vue. Il y a notamment une réflexion assez riche sur le totalitarisme et l’obscurantisme dans cette société impériale fondamentalement dystopique. Mais ce qui m’a le plus intéressé c’est la question du sens de la vie. Que ce soit les tisseurs, qui n’envisagent pas qu’une autre existence que la leur soit possible, celle à laquelle ils sont destinés par héritage, ou tous les autres rouages de ce grand univers, la question centrale est celle du sens de l’existence. Liberté, déterminisme, obligations, sacré, l’auteur explore différentes pistes de réflexion très intéressantes autour de ce thème. Et comme le tout est abordé avec subtilité au sein d’un récit passionnant et d’un univers impressionnant, on prend vraiment beaucoup de plaisir à la lecture.

En bref, Des milliards de tapis de cheveux est une œuvre majeure qui mérite pleinement les critiques très positives reçues. C’est un roman impressionnant par sa construction narrative et passionnant par ses réflexions et son univers. L’assemblage de divers fils d’histoires pour former une grande fresque est vraiment remarquable. Je ne regrette qu’un petit manque d’émotions et d’attachement que la pluralité de personnages et de récits empêche.

« Nœud après nœud, jour après jour, toute une vie durant, ses mains répétaient les mêmes gestes, nouant et renouant sans cesse les fins cheveux, comme son père et le père de son père l’avaient fait avant lui...

N’est-ce pas étrange qu’un monde entier s’adonne ainsi au tissage de tapis de cheveux ? l’objet en est, dit-on, d’orner le Palais des Étoiles, la demeure de l’Empereur. Mais qu’en est-il de l’Empereur lui-même ? N’entend-on pas qu’il aurait abdiqué ? Qu’il serait mort, abattu par des rebelles ?

Comment cela serait-il possible ? Le soleil brillerait-il sans lui ? Les étoiles brilleraient-elles encore au firmament ?

L’Empereur, les rebelles, des milliards de tapis de cheveux ; il est long le chemin qui mène à la vérité, de la cité de Yahannochia au Palais des Étoiles, et jusqu’au Palais des Larmes sur un monde oublié...»

(Illustration de couverture : © Vincent Madras - Conception © leraf)

D'autres avis sur la blogosphère: Nevertwhere, Au pays des Cave trolls, TmbM, Le chien critique, La geekosophe, Le dragon galactique, 233°C, Les pipelettes en parlent, ...

[Lecture n°5/72 (pour l'échelon 5 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 9 de Ma lecturothèque]

* Lecture pour le challenge ABC de l’Imaginaire 2021 de Mariejuliet : lettre E *