Sois jeune et tais-toi
Publié en 2023 aux éditions Payot, Sois jeune et tais-toi est le premier essai de Salomé Saqué paru en poche chez Payot également en 2024. Après avoir lu son formidable et nécessaire pamphlet, Résister, je me suis enfin penchée sur ce titre qui m’attirait depuis longtemps et voici ce que j’en ai pensé…
« Jamais une génération n'a été comme la mienne au pied du mur. Il ne s'agit évidemment pas de dire que nous souffrons davantage ou de tenter vainement d'établir une échelle de valeur absurde dans la charge que chaque génération a eu à supporter depuis que le monde est monde. Si d'autres avant nous ont souffert - et bien davantage, indiscutablement -, la nouveauté est ailleurs : dans la responsabilité que nous, humains, avons dans la catastrophe à l'œuvre, et dans son irréversibilité. »
Avec cet essai, le but de la journaliste est clair : elle ne veut pas écrire un énième livre favorisant la guerre générationnelle mais éclaircir, par les faits, les bases non-fondées des critiques virulentes aujourd’hui faites à la jeunesse et souligner l’importance d’une lutte de toutes et tous pour leur offrir l’espoir d’un avenir. Elle-même jeune, elle prend ici la parole mais la donne également, ponctuant cet essai de très nombreux témoignages reçus de ces jeunes, issus de différents milieux, qui perdent espoir, à raison. L’essai est construit en trois parties. La première s’attache à expliquer, par des données objectives, que la situation économique, sociale et politique actuelle est très différente de celle des générations précédentes. Difficile aujourd’hui d’être autonome, les chiffres du chômage des jeunes explosent, la précarité de l’emploi aussi et ces nouveaux majeurs sont souvent très dépendants de leur famille, les aides de l’État étant bien insuffisantes pour eux, ne serait-ce que pour trouver à se loger. C’est une partie qui clarifie beaucoup de choses et illustre combien sont hors-sols les réflexions du type « ils n’ont qu’à se bouger » « traverser la rue pour un travail » ou encore « les jeunes ont tout pour eux ». Elle dit avec pertinence qu’aujourd’hui il vaut mieux « hériter que mériter » car l’effort n’épargne plus. L’époque faste de la jeunesse des baby-boomers est loin, il est temps d’en prendre conscience et de changer les choses.
« […] depuis quand sommes-nous censés nous résigner face aux injustices et aux dysfonctionnements de ce monde - et en l’occurrence, nous résigner à voir le monde s’effondrer ?»
Dans la seconde partie, Salomé Saqué revient plutôt sur les critiques de la soit-disante fragilité des jeunes et leur apparent désintérêt. Elle prouve, là encore avec maints faits et maintes données scientifiques, pourquoi les jeunes perdent espoir en l’avenir et sont angoissés et comment ils s’informent et s’intéressent au monde qui les entoure. De la menace anxiogène des attentats augmentée par une course à l’attention et au sordide dans les médias au Covid-19 qui a montré la défaillance de nos sociétés en passant par la menace de la guerre et le sujet central du climat, Salomé Saqué pointe toutes les angoisses fondées d’une jeunesse bien informée. Elle montre aussi la responsabilité du traitement médiatique des sujets, l’impact des réseaux sur une jeunesse qui s’informe autrement et le désespoir qui, parfois, les pousse à l’action. Je dois avouer avoir été très touchée sur cette partie, notamment bien sûr sur l’éco-anxiété qui est effectivement très marquée chez moi. Si j’ai connaissance de ces données, je pense que c’est une partie que j’ai envie de faire lire à mes parents, pour qu’ils voient le monde comme je le vois. Parce que les faits sont là, clairement explicités, et qu’il me semble impossible de ne pas comprendre, à l’issue de cette lecture, pourquoi les jeunes ont besoin de l’action des autres générations pour continuer d’y croire.
« Ce qui compte, ce n'est pas l'inaction passée, c'est ce que vous allez faire après avoir lu ces pages.»
Enfin, dans une troisième partie, Salomé Saqué revient sur l’engagement des jeunes aujourd’hui. Elle évoque bien sûr tout le pan politique, montrant là encore entre faits et témoignages, où les jeunes votent et pourquoi est-ce en rupture avec ce qui existe. Mais elle parle aussi assez justement de leur abstentionnisme dont elle donne diverses raisons pertinentes dont la défiance vis-à-vis d’un État avec qui ils ne partagent plus de valeur. Elle évoque tant la répression policière qui crée une défiance que l’envie d’agir, de faire des actions concrètes pour garder espoir. Elle nous parle brillamment des formes d’engagement d’une jeunesse qui n’est décidément ni égoïste ni fainéante mais qui utilise d’autres moyens de résistance que leurs aînés. Elle parle enfin de leur rapport au travail, de cette recherche de sens constante y compris dans le job exercé et de leur besoin de faire quelque chose d’utile pour leur avenir. C’est une partie qui redonne espoir, qui donne aussi des pistes d’action et invite toutes les générations à lutter ensemble. Dans tout l’ouvrage c’est d’ailleurs quelque chose de marquant : la volonté d’y croire. Salomé Saqué parle ici de sujets difficiles, d’angoisse, de désespoir. Et pourtant, toujours en toile de fond, il y a un souffle d’espoir, une invitation à agir, à se soutenir et faire front commun. C’est aussi instructif que vivifiant. Elle a cette lucidité de ne pas nous dire que ce sera simple parce que les faits sont là. Elle n’est ni idéaliste ni naïve mais nous fait parfaitement réaliser le caractère absurde des critiques faites aux jeunes et de l’inutilité de cette guerre des générations alimentée par des médias de plus en plus gangrenée par l’extrême-droite. Et si on peut regretter que certains aspects/sujets autour de la jeunesse ne sont pas abordés dans cet essai (l’autrice le regrette d’ailleurs elle-même), on est ici face un travail formidable, sourcé et nécessaire sur une jeunesse bien trop souvent raillée et incomprise.
En bref, j’ai un coup de cœur pour Sois jeune et tais-toi. C’est un essai important, tant pour les jeunes qui trouveront ici de multiples échos à leur ressenti et leur vécu que pour les générations plus âgées qui comprendront mieux ce que vit la jeunesse et, j’ose l’espérer, auront envie d’agir avec elleux. C’est clair, sourcé et touchant par les témoignages relayées et c’est une de ces lectures qui insufflent de l’espoir malgré tout. Lire Salomé Saqué ça donne envie de changer les choses.
« « Jamais une génération n’a été comme la mienne au pied du mur. »
Les jeunes seraient « paresseux », « incultes », voire « égoïstes et individualistes ». Ces jugements négatifs répétés à l'envi par une partie des plus âgés sont non seulement infondés, mais surtout délétères pour l’ensemble de la société. Ils omettent que les politiques publiques tournent le dos aux jeunes, que ces derniers rencontrent des difficultés plus rudes que leurs aînés à l’entrée dans la vie professionnelle, que le chômage les guette même à la sortie de longues études, que le changement climatique compromet leur avenir et que la dernière pandémie leur a volé leurs plus belles années. Pour ces raisons rigoureusement documentées dans ces pages, la voix des jeunes est essentielle, et leurs aînés doivent urgemment prêter attention à leurs difficultés. C’est là toute l’ambition de ce livre : contribuer d’une part à ce que les voix portent, d’autre part à ce que les oreilles entendent.»
(Photographie de l’autrice en couverture: © Clémentine Schneidermann)
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