Requiem pour les fantômes

En septembre 2024, les éditions Denoël publiaient un nouveau roman de Katherine Arden dans la collection Lunes d’encre. Intitulé Requiem pour les fantômes, il s’inscrit dans l’époque de la Première guerre mondiale et propose un récit teinté de fantastique. Ayant adoré la Trilogie de l’hiver de l’autrice, il me tardait de me plonger dans ce titre et voici ce que j’en ai pensé…

« Je n’ai pas peur.

- Vous devriez. Il n’y a rien de noble, dans la douleur. C’est une sale affaire, moche, mesquine et insidieuse. Vous allez voir des hommes mourir avec moins de dignité qu’un chien, parfois en vous maudissant de ne pas avoir pu les sauver.»

Deux fils narratifs qui s’entrecroisent dans l’enfer de la guerre

Dans ce roman nous suivons le récit de deux personnages. D’une part Laura, infirmière démobilisée du front qui apprend la disparition de son frère et, d’autre part, le récit de ce frère et de ce qui lui est arrivé. Leur point commun: la guerre. Toile de fond terrible, cette première guerre mondiale est particulièrement bien rendue par l’autrice qui fait résonner les obus mais rend surtout palpable l’horreur qui transforme les hommes. Elle illustre avec force les traumatismes de cette époque terrible, la comparant à l’apocalypse et dans laquelle elle crée une figure diabolique mais pourtant pas plus monstrueuse que les décisions qui envoient tous ces gens à la mort. Ces deux fils narratifs s’entrecroisent et reflètent les mêmes blessures chez deux personnes bien différents. Laura et son caractère fort fait face mais faillit malgré tout lorsque sa carapace se fendille, là où Freddie, plus doux, semble avoir perdu pied mais s’accroche tout de même. La guerre les détruit tout autant l’un que l’autre ainsi que tous ceux qui y font face. Katherine Arden parle ici avec justesse de l’absurdité des guerres mais aussi de toute la contradiction de cette période. Du choc des siècles en ce début XXeme, du choc entre les tranchées et les dirigeants dans des châteaux, du choc entre ces mondes, ancien et nouveau, qui se heurtent brutalement. De cela, elle propose une histoire fantastique où, finalement, l’incursion de l’irréel dans le réel n’est pas le fait le plus étonnant. Dans une période où tous les repères vacillent et où la folie règne, quelques fantômes et autres légendes ne semblent, en effet, pas si surprenants.

« Aucun poète, vivant ou mort, n’eût pu imaginer un tel endroit dans la réalité, sur Terre, et leur langue même ne suffisait pas à le décrire.»

De la boue jaillit la beauté 

Si le roman contient beaucoup de désespoir et de noirceur, c’est aussi un récit où, de l’horreur absolue, jaillit beaucoup de beauté. Il y est question d’amour, de ce lien qui pousse à survivre pour l’autre, de continuer à se battre quand le monde semble s’effondrer. J’ai été très touchée par cette histoire. D’abord plutôt par le récit de Freddie, parce que le basculement du statut d’ennemi à celui d’humain victime tout autant que soi de la guerre est superbe et très juste. Mais par la suite, Laura, dont le caractère fait tout pour nous maintenir à distance, a également emporté mon affection parce qu’elle résonne fort en moi. Sa manière de tout cacher et pourtant de ressentir avec force, son courage qui a pourtant tellement besoin de soutien… Tous les personnages de cette histoire sont magnifiquement écrits. Et l’émotion l’emporte rapidement sur les quelques longueurs du début du roman, pour nous accrocher sans faillir à ces pages qu’on a du mal à quitter. Il y a de la poésie dans la plume de l’autrice ainsi qu’une maîtrise absolue des ambiances. C’est envoûtant et magnifique.

« Ils disent que les hommes perdent leur combativité lorsqu’ils dorment en sécurité. »

Winter s’esclaffa, un bruit horrifiant. « Ceux qui disent cela ne sont pas ceux qui dorment dans les cratères, n’est-ce pas?»

En bref, Requiem pour les fantômes est mon premier coup de coeur de l’année. Son histoire m’aura énormément touchée et son ambiance ainsi que ses personnages m’auront accroché à tel point que je ne voulais pas arrêter sa lecture. La dénonciation forte de la guerre, les deux fils narratifs envoûtants et l’amour qui jaillit dans l’horreur auront complètement ravie mon cœur. Une grande réussite par une autrice qui, décidément, ne me déçoit jamais. 

«Janvier 1918 : Laura Iven, après avoir été grièvement blessée, est revenue du front où elle était infirmière. Elle tente de retrouver sa vie d’avant à Halifax, au Canada, bien que son frère, Freddie, soit pour sa part resté dans les tranchées. Un jour, elle reçoit l’annonce de sa disparition, accompagnée de l’uniforme du jeune homme. Incapable de croire à la mort de celui-ci, Laura décide de repartir pour la Belgique.

Novembre 1917 : Après une explosion, Freddie Iven reprend connaissance sous une casemate retournée, coincé dans le noir avec un soldat allemand. Tous deux désorientés, ils vont devoir unir leurs efforts pour survivre. Mais, une fois dans le no man’s land, leurs chances seront infimes.

Freddie pourrait-il être encore en vie ? Laura parviendra-t-elle à découvrir ce qui lui est vraiment arrivé ? Et la rumeur selon laquelle les soldats qui le souhaitent oublieraient tous leurs souvenirs grâce à un mystérieux violoniste est-elle fondée ?»

(Illustration de couverture: © Pascal Guédin)

[Diversité: pp gay, ps gay]

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