Les Âmes de feu

Publié en 1920, Les Âmes de feu est un roman d’anticipation de l’autrice et scientifique Annie Francé-Harrar qui est tombé dans l’oubli jusqu’à récemment. Bénéficiant pour la première fois d’une traduction française assurée par Erwann Perchoc en 2024, il est désormais publié aux éditions Belfond depuis le 26 septembre. Et voici ce que j’en ai pensé…

« La nature était belle au-delà de toute description, dans sa solitude vaste et étrangère. Mais les humains n’avaient plus besoin d’elle. Ils n’étaient pas menacés. Au contraire. Moins la nature consommait d’air, plus les métropoles y gagnaient. Alfred devait-il partir en guerre contre la race humaine? Il serait probablement pris pour un imbécile convaincu qu’un arbre ou un oiseau avait plus d’importance. »

Une forme d’utopie qui atteint ses limites

Les Âmes de feu est un récit de science-fiction écrit en 1920, avant même que le terme « science-fiction » ne soit créé pour le définir. Son autrice a puisé dans son expérience de biologiste pour dresser les contours d’un effondrement écologique dans une société futuriste. Elle installe son propos dans un univers d’anticipation qui semble tenter d’atteindre une certaine forme d’utopie. L’humanité vit, pour la majorité, au sein de villes propres, sécurisées, saines et riches. Le travail n’est limité qu’à quelques heures et les tâches les plus dures sont confiées à des robots. Le savoir et la recherche, appelés Culture, prennent le pas sur le côté actif de l’humanité qui évolue en fonction. C’est ici l’aboutissement d’une société technologique qui essaye de s’affranchir complètement de son rapport à la nature pour préserver l’humanité de tout effort physique. Sans détailler pleinement son propos sur le fonctionnement de certaines technologies, ce récit reste néanmoins plutôt crédible et signe un imaginaire visionnaire sur de nombreux aspects. L’autrice parvient notamment parfaitement à illustrer la difficulté d’un retour à des pratiques dites plus « archaïques » pour vivre quand le modèle de société finit par menacer toute vie. Elle est également parfaitement lucide sur ce qu’il advient d’une société dite « ultra civilisée » et raisonnable quand la panique entre en jeu et détruit tout ce qui devrait caractériser cette humanité sage. C’est le récit passionnant d’une tentative utopique qui se heurte à ses limites et constate la difficulté d’un changement de cap pour sa survie. 

« Ils suffoqueraient dans ce cloaque qu’ils avaient eux-mêmes créé par vanité et folie.»

De la vieille SF qui n’a pourtant pas tant vieilli

Si le récit conserve cette ambiance si particulière de la « vieille SF », avec son univers parfois caricaturale, ses non-dits volontaires et sa vision futuriste caractéristique, il y a dans la plume d’Annie Francé-Harrar une modernité intéressante qui rend sa lecture toujours intéressante en plus de son propos malheureusement encore très actuel. En effet, sur l’aspect écologique au centre de l’intrigue, l’autrice décrit avec beaucoup de justesse la capacité humaine à détruire son environnement, mais décrit aussi l’appauvrissement des ressources naturelles et les conséquences immanquables d’un épuisement de la vie des sols. Du réchauffement du climat à l’impossible décomposition des sols comme signe premier de l’extinction de toute vie, la logique scientifique derrière n’a pas pris beaucoup de rides et c’est à la fois épatant et effarant de voir ça en 1920… Le texte lui-même se lit aisément, l’intrigue sous tension emporte sans faillir dans un récit au rythme plutôt soutenu. On est loin des longs passages lents de textes de SF de l’époque. Notons également une vision bien moins patriarcale (même si elle le reste en partie) dans ce texte que chez des contemporains masculins de l’autrice qui, eux, ne sont jamais tombé dans l’oubli. Vous l’aurez compris, Annie Francé-Harrar méritait cette redécouverte. 

En bref, Les Âmes de feu est un très bon récit de science-fiction, captivant et haletant en plus d’être visionnaire. Sa description précise d’un effondrement écologique est encore très actuelle mais l’autrice y propose en plus un univers intéressant où l’utopie technologique atteint ses limites. Une bien belle découverte d’un texte très réussi qui se lit sans peine. 

« En étudiant des échantillons de sol récoltés à proximité des métropoles, Henrik avait suivi la progression de la catastrophe. La bactérie, aussi petite qu’utile, était anéantie en périphérie des usines. De sorte que, si des matières en décomposition se retrouvaient dans le sol, elles ne pouvaient plus être transformées en matière vivante. Les plantes et les animaux souffraient de la faim à leur tour. Seuls les humains, dans leurs tours, dans leurs habitats approvisionnés en air purifié, avec leurs aliments artificiels, pouvaient surmonter cela et y survivre. Eux seuls.»

(Illustration  de couverture: © Carlijn Kingma)

- Livre reçu en service presse. Publication non rémunérée. Merci aux éditeurs. - 

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