La reine en jaune: et autres contes horrifiques

Recueil de nouvelles comportant 5 grandes histoires et autant de « fragments », La Reine en jaune de l’auteur suédois Anders Fager a été publié en 2016 en français dans la collection Horizons pourpres des éditions Mirobole (il existe maintenant en poche chez Pocket). Présenté comme un recueil horrifique aux accents « Lovecraftien », il avait retenu mon attention depuis. L’auteur étant invité aux Imaginales cette année, l’occasion était trop belle pour la louper. Voici donc ce que j’en ai pensé…

« Les monstres se tiennent à distance. Ils ont peur de l’ennui. Ils savent que le temps est pire que tout ce dont ils sont capables. L’ennui est plus puissant que la terreur. La douleur se couche face à une éternité d’ennui. »

Des références classiques et une construction qui mérite un effort

La Reine est en jaune est un recueil composé de 10 textes, 5 longues nouvelles et autant de fragments inter-nouvelles. On y retrouve, un peu partout, des clins d’oeil évidents à l’univers de H.P. Lovecraft mais aussi à de nombreux autres textes gravitant autour de cet univers et devenus, eux aussi, classiques du genre de la nouvelle horrifique. Anders Fager utilise ainsi des codes mais fait également appel à des créatures et des mythes qui rendent hommage à toutes ces oeuvres. Si le connaisseur sera ravi, le novice, lui, sera peut-être un peu perdu. Je dois moi-même avouer avoir dû recourir de temps en temps à des recherches annexes pour situer une divinité dans l’oeuvre de Lovecraft et comprendre ainsi pleinement es enjeux du récit. La construction de ce recueil risque, elle aussi, de freiner certains lecteurs. En effet, les premiers textes conservent des zones floues sur lesquelles il convient de ne pas s’arrêter. Heureusement, tout le génie d’Anders Fager est d’avoir pensé son recueil dans un univers cohérent, en interaction. Ainsi, les réponses manquantes arriveront forcément à vous, mais plus tard, dans un autre récit ou fragment. Il suffit de s’accrocher un peu au départ pour ensuite admirer le tableau dans son ensemble. Personnellement, c’est un procédé que j’admire beaucoup et qui est ici maîtrisé.

« La mort traverse le village de pêcheurs de Bodskär. La mort arrive affublée de bonnets noirs et de vestes de treillis. Elle est enveloppée de poudre, de sang et d’une puanteur salée. Elle est féroce. Impitoyable. »

Un recueil moderne et un brin subversif

Les différents récits de ce recueil sont à la fois du registre Lovecraftien, interrogeant la monstruosité et folie humaine à travers des mythologies et créatures étranges, et à la fois du registre de la critique sociale avec un regard plutôt moderne et cynique sur notre monde actuel. La nouvelle du chef d’oeuvre de Madame Witt est l’exemple le plus frappant, s’intégrant dans le monde de l’art moderne et de la célébrité futile. Sachez aussi que chez Anders Fager, on parle autant de monstres que de sexe, les récits n’hésitant pas à bousculer un peu le lecteur par leur aspect légèrement subversif tout comme le fait My Witt avec son art. Cependant, les nouvelles que j’ai préféré sont celles que je rapproche le plus de H.P. Lovecraft, notamment le Fragment II et Quand la mort vint à Bodskär qui est un récit assez remarquable dans son genre. Je préfère vous en laisser la pleine surprise. J’ai aussi bien apprécié La Reine en jaune ou encore Le voyage de grand-mère qui ne manquent pas de mordant. Le début du recueil a été un peu plus difficile pour moi, à cause des zones floues mais aussi dans l’attente de la révélation sur la construction narrative. Je ne regrette cependant pas de m’être accroché et je ressors plutôt ravie de ma découverte.

En bref, ce recueil de nouvelles ne plaira peut-être pas à tout le monde par ses clins d’oeils assez précis aux mythologies horrifiques classiques et sa construction particulière. Mais il convaincra les amateurs du genres, les amoureux de Lovecraft et des univers qui gravitent autour, et les courageux qui ne se sont pas découragés sur les premiers récits. Pour ma part, j’ai beaucoup aimé!

« La beauté du diable pour l’écriture, le génie du mal pour la construction… Anders Fager revisite les grands thèmes du fantastique pour créer sa propre mythologie contemporaine à travers des histoires qui font surgir un univers fiévreux peuplé de forces maléfiques, ou le monstre n’est jamais celui qu’on croit.

A Trossen, les résidents de la maison de retraite se regroupent au troisième étage pour des rites venus d’un autre âge ; Les deux frères Zami et Janoch escortent Grand-Mère pour un long voyage – Grand-Mère qui gronde parfois, ou montre les crocs ; pour My l’artiste, la femme bafouée, le chef-d’oeuvre ultime ne peut se concevoir sans sacrifices ; à Bodskär, dans la baie plongée dans les ténèbres, quelque chose émerge des flots…

Découvrez un Lovecraft version trash et rock ‘n’ roll pour une véritable et très angoissée chronique sociale. »

(Photographies de couverture: © iampuay, Noppanisa Chantawongvilai / Conception graphique : © Chloé Madeline)

> Lire un extrait < (© Mirobole éditions)

[Lecture pour le Challenge #HMSFFF - Juin 2019: monstres & créatures]

[Lecture n°26/36 (pour l'échelon 3) pour le Challenge de Littérature de l'Imaginaire édition 7 de Ma Lectorutothèque]