Et que désirez-vous ce soir

Publiée le 21 août dans la collection La Dentelle du cygne chez L’Atalante, Et que désirez-vous ce soir est une novella de Premee Mohamed. L’autrice nous a déjà embarqué dans le post-apo avec La migration annuelle des nuages (et sa suite) et dans une fable glaçante avec Comme l’exigeait la forêt. Ici, elle nous plonge dans un univers cyberpunk dystopique qui démarre par une résurrection magnifiquement illustrée en couverture par Thomas Dambreville. Et voici ce que j’en ai pensé…

« Elle ne rendra pas la justice. Mais c’est ce qui s’en approche le plus, parce que personne ne s’en charge plus, les soi-disant autorités ne concernent pas les gens comme nous, sauf quand parfois elles nous choisissent comme exutoires.»

C’est le quatrième texte que je lis de Premee Mohamed et je suis à nouveau surprise par sa capacité à écrire dans des genres et styles assez différents tout en conservant une vraie personnalité par son écriture si particulière. J’ai également eu le plaisir de retrouver ici l’esprit révolté de Ce qui se dit par la montagne et l’ambiance oppressante et malsaine de Comme l’exigeait la forêt mais retranscrits dans un tout nouvel univers cyberpunk qui se dévoile entre les lignes comme parfaitement inégalitaire, injuste et sordide. Premee Mohamed tisse, par une plume tranchante et subtile, les contours de ce monde qu’on aimerait, une fois de plus, voir développé plus longuement dans un format roman plutôt que novella. Il convient presque de relire certains passages plusieurs fois pour saisir pleinement ce qui se dessine en toile de fond et qui sous-tend les réactions des personnages. Je conserve donc, à nouveau avec Premee Mohamed, une légère frustration de ne pas avoir pu explorer un peu mieux ce qu’elle nous propose, tout en ayant conscience que les non-dits sont tout de même fort signifiants dans ce récit et n’empêchent en rien l’immersion. 

« On dit toujours: des oiseaux dans une cage dorée. Mieux vaut la cage que le four.»

On y suit Joyau, courtisane d’une maison close pour clients fortunés et qui fut témoin de la résurrection de l’une d’entre elles, son amie, qui revenue d’entre les morts a soif de vengeance. Avec elle, on comprend les contours de leur cage dorée, les humiliations et soumissions constantes qu’ielles doivent subir pour espérer survivre dans un monde définitivement sordide. En s’interrogeant sur le risque-bénéfice d’une vengeance, le récit plonge avec justesse dans les nuances d’une situation malsaine où ce qui nous détruit est aussi ce qui nous protège. Formidable réflexion sur la liberté, la valeur d’une vie et l’injustice sociale, Et que désirez-vous ce soir explore avec brio le mécanisme d’une domination, la difficulté de bousculer ce qui se reproduit depuis des siècles de façon mécanique mais aussi notre capacité à accepter l'inacceptable quand on n'a aucune autre option de replis. Il y a plusieurs niveaux de lecture dans ce court texte puissant qui m’aura emporté sans faillir. J’ai également beaucoup apprécié qu’on ne suive pas l’héroïne vengeresse qui n’a rien à perdre mais plutôt son amie, encore prisonnière de la peur. Cela rend l’histoire moins spectaculaire mais beaucoup plus juste. Un choix narratif pertinent et audacieux.

« Nous avons accepté sa résurrection plus facilement que sa soif de vengeance: qu’en conclure à notre sujet?»

En bref, Et que désirez-vous ce soir est une novella très réussie qui interroge avec brio les mécanismes de la domination dans un récit nuancé et brillamment écrit qui dévoile, entre les lignes, les contours d’un monde inégalitaire dystopique fort intéressant. Je reste un peu sur ma faim concernant le développement de cet univers au vu du format, mais également conquise par cette autrice et sa plume si particulière, qui dénonce encore une fois avec brio les injustices sociales.

Résumé :

« Jour de deuil : Joyau et les autres courtisanes de la Maison Bicchieri pleurent la perte de leur collègue et amie Winfield, tuée de sang-froid par un client haut placé.
Mais lors de ses obsèques, elle revient à la vie. La morte qui ne l’est plus.
Joyau n’arrive pas à s’en réjouir. Au contraire, elle est terrifiée. La douce, charmante, docile Winfield est désormais animée d’une implacable volonté de se venger des puissants qui abusent de leurs privilèges. Et malgré la haine que Joyau nourrit envers les oppresseurs, malgré son désir de rébellion, malgré l’affection qu’elle porte à Winfield, elle a tout à perdre si son amie renverse la Maison Bicchieri. Car cela signifierait : être de nouveau livrée à la rue, à la merci de ses criminels et des purges gouvernementales.»

(Illustration de couverture : © Thomas Dambreville)

- Livre reçu en service de presse. Publication non rémunérée. Merci aux éditeurs. - 

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[Lecture n°27 (38/60 points avec les bonus pour l'échelon 4 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 13 de Ma lecturothèque]