Carbone & Silicium

Fin août, Mathieu Bablet revenait en librairie avec une nouvelle bande-dessinée très attendue intitulée Carbone & Silicium. Éditée dans la collection du Label 619 de chez Ankama, ce one-shot de 272 pages remporte un immense succès critique. Il me tardait de découvrir cet auteur déjà très renommé depuis Shangri-La, et voici donc ce que j’en ai pensé… 

« C’est parce que l’humain est incapable d’agir en tant qu’espèce que les écarts de richesse se sont creusés, que personne n’a voulu faire suffisamment d’efforts pour sauver l’environnement et qu’on a laissé la violence du système gagner. Et tu sais quoi? Ça va recommencer, encore et encore.»

Une oeuvre dense

Tout commence par la création de deux androïdes aux traits et aux émotions humaines. Avides de découvrir le monde, ils tentent de s’évader mais seul Silicium y parvient. Chacun.e évoluera alors sur deux chemins différents à travers l’histoire d’une humanité en déclin, ne cessant pourtant de se retrouver comme les deux éléments indissociables dont ils portent le nom. Il est difficile de résumer Carbone & Silicium tant l’oeuvre va bien au-delà de ce qu’elle laisse présager. Outre une fuite constante des deux androïdes qui cherchent à vivre libre, la BD est aussi une fresque apocalyptique décrivant les dérives et destructions de nos société dans un cycle ininterrompu de violences sociales et de cataclysmes écologiques. C’est aussi une oeuvre philosophique, qui ouvre des pistes de réflexion à propos de la place de l’humanité, de notre égocentrisme, de l’inégalité inhérente à toutes nos sociétés ou encore à propos du nomadisme et de la sédentarité. L’oeuvre n’apporte jamais aucune réponse à ces questions mais propose de nous donner à voir plusieurs points de vue, notamment dans l’opposition de Carbone & Silicium, si différents et pourtant si indissociables l’un de l’autre. Cette densité crée parfois des longueurs, notamment au milieu de la bande-dessinée où l’éternel recommencement est un peu lassant. J’aurai apprécié que l’oeuvre s’attarde un peu plus sur l’évolution de la société et notamment l’aspect écologique plutôt que de se centrer parfois exclusivement sur le lien si intense entre Carbone et Silicium. Il convient donc de s’accrocher un peu, de comprendre entre les lignes la volonté de l’auteur de nous faire passer par ces étapes répétitives pour atteindre un final touchant bien que frustrant. À noter que la BD est dotée d’une postface d’Alain Damasio pour celleux que ça intéresse. Vous vous en doutez, je me suis abstenue de la lire, je ne suis pas masochiste (je vous taquine, calmez-vous!).

Des héro.ïne.s plus qu’humain.e.s et un travail fouillé d’illustrations 

Carbone & Silicium sont deux androïdes qui, de page en page, nous touchent irrémédiablement tant ils semblent vivre les émotions avec une intensité parfois plus forte que ne le vivraient les humain.e.s. Leurs douleurs profondes, leurs doutes, leur co-dépendance et leurs différences transcendent les pages. Carbone, plus intense, émeut et bouleverse par la rage qu’elle tente en vain de contenir de cycles en cycles, Silicium, errant et détaché de l’humanité, inspire malgré sa froideur apparente. On oublie rapidement qu’ils ne sont pas humains, mais on les considère rapidement comme plus qu’humains aussi par leur sagesse. L’illustration pourtant ne nous permet pas de douter, notamment vers la fin, de leur caractère technologique. Elle suit brillamment leur détachement progressif de l’humanité. En ce qui concerne le dessin d’ailleurs, pour être tout à fait honnête, je ne suis pas très fan du style de Mathieu Bablet, notamment pour ce qui est des personnages. Et pourtant, je ne peux que souligner la richesse du trait qui, de case en case, nous montre un soucis du détail impressionnant et une volonté de nous donner à voir à la fois la beauté du monde et sa fragilité. J’ai particulièrement apprécié son illustration des mondes virtuels, à la fois exotiques et envoûtants mais toujours très identifiables en opposition au monde réel. Le reste m’a laissé un peu de côté malheureusement…

En bref, Carbone & Silicium ne m’aura peut-être pas convaincue à 100% comme je l’espérais à cause d’un côté répétitif un peu lassant et d’un style de dessin qui, personnellement, ne me parle pas. Mais c’est indiscutablement un oeuvre riche, que ce soit dans le dessin très détaillé ou dans l’intrigue dense et enrichie de nombreuses pistes de réflexion à propos de l’humanité. C’est une BD que je conseille tout de même de découvrir pour son originalité et pour la fresque du monde en effondrement de laquelle j’ai retirer beaucoup de sagesse.

« 2046. Derniers nés des laboratoires Tomorrow Foundation, Carbone et Silicium sont les prototypes d’une nouvelle génération de robots destinés à prendre soin de la population humaine vieillissante. Élevés dans un cocon protecteur, avides de découvrir le monde extérieur, c’est lors d’une tentative d’évasion qu’ils finiront par être séparés. Ils mènent alors chacun leurs propres expériences et luttent, pendant plusieurs siècles, afin de trouver leur place sur une planète à bout de souffle où les catastrophes climatiques et les bouleversements politiques et humains se succèdent.»

(Illustration de couverture & extrait: © Mathieu Bablet)

[Diversité: ps asiatique - indien.ne, ps noir.e, pp noir.e]

- Lecture pour le Challenge #HMSFFF - Novembre 2020: Transhumanisme -