Sweet Harmony

Après la trilogie de La Maison des jeux, Claire North revient dans la collection Une Heure-Lumière des éditions Le Bélial’ en ce début d’année avec un one-shot. Intitulée Sweet Harmony, cette novella de science-fiction nous emmène à la rencontre d’une jeune femme dont les nanos qui assurent sa beauté et sa santé commencent à défaillir. Voici ce que j’en ai pensé…

« Voici Harmony Meads, dix-neuf ans, en train de faire un choix à propos de son corps, de sa vie, pas à cause d’un mec obsédé par ses extensions, d’un connard persuadé que tout le monde était dans le même cas que lui, que nul n’avait besoin de préservatif - même s’il ne s’était pas soucié d’investir dans une extension pour ses testicules, se disait-elle -, mais bien parce qu’au bout du compte, elle voulait avoir le contrôle. 

Elle tapa sur « acheter ».

Ce fut ainsi que tout commença. »

Quand le paraître est tout

L’autrice dépeint ici un univers d’anticipation où, grâce à des nanotechnologies, l’humanité peut s’offrir une santé mais aussi sculpter son propre corps. Grâce à divers extensions en abonnements, Harmony, comme la plupart des gens, s’ajoute ainsi une peau parfaite, une libido au top, des jambes galbées, etc. Et c’est en jouant dans cette cour du faux où tout est perfection que les portes s’ouvrent à elle. Véritable dénonciation de la société du paraître, Sweet Harmony souligne avec force les préjugés et discriminations qui régissent déjà notre monde. Harmony, par artifices, devient la femme belle, bien habillée, confiante et désirable qui correspond aux critères de réussite. Et c’est quand tout s’effondre que la réalité de cette réussite artificielle la rattrape. Car le paraître à un double coût : celui de ne pas être apprécié pour qui on est et celui, financier, de pouvoir assurer cette belle façade. Difficile en effet de renoncer à notre place en société une fois celle-ci acquise…

« Voilà la vérité, la soudaine prise de conscience de la situation qui la frappe tel un bouton sur le menton, une explosion de sang et de pus dans la nuit, tandis que son corps s’ouvre et se répand sous les coups de la dure réalité: elle n’est fait que de chair et de tissus entre lesquels serpentent des fluides luisants, miroitants.»

L’horreur derrière la perfection

Dans cette société régie par le faux, la perfection de façade, le couple d’Harmony est le parfait exemple de ce qui, de loin, paraît absolument parfait, mais de l’intérieur est terrifiant. Claire North utilise habilement l’univers de sa novella pour parler aussi de la toxicité de cette perfection à outrance dans les relations. Quand on n’est jamais aimé pour ce qu’on est mais uniquement pour ce qu’on peut être (ici artificiellement), quand tout est perfectible à outrance, c’est le terreau idéal pour la manipulation et le contrôle d’une relation perverse. Si ce n’était que pour l’univers et l’idée de ce monde où tout s’achète, jusqu’à la santé, la novella aura déjà été passionnante et réussie. Mais en ajoutant cette histoire personnelle d’Harmony sur ce que peut cacher une façade parfaite, Claire North ajoute un bel impact à son texte. Ce récit de la construction de l’identité d’Harmony, tissé dans un va-et-vient de chapitre en chapitre, nous change d’ailleurs notre point de vue sur elle au fur et à mesure que se dessine son passé, déconstruisant là encore nos préjugés sur celle qui nous apparaît d’abord superficielle. L’autrice explore ainsi divers sujets, de la charge contraceptive aux attentes qu’on impose aux femmes dans nos sociétés dans un récit qui ne manque décidément pas d’humanité. Brillant.

En bref, Sweet Harmony est une très bonne novella qui interroge les faux-semblants, les préjugés et la société du paraître dans un récit d’anticipation qui va au-delà de ce qu’il semble proposer de prime abord. Le récit se dévore sans peine grâce à une construction en aller-retour passé-présent qui nous permet de déconstruire nous aussi nos idées reçues.

« Londres. Bientôt.
Jeune et belle, Harmony Meads est promise à un avenir radieux. Sa carrière d’agente immobilière pour yuppies file vers les sommets, et le couple qu’elle forme avec Jiannis fait sensation dans les soirées les plus courues de la City. Pourtant, Harmony a un problème. Là. Sur le menton. Juste un petit bouton. Pas méchant, trois fois rien, mais bien là. Or, ce bouton est une impossibilité. Ses nombreux abonnements à Fullife, son fournisseur de santé, assurent le parfait réglage de ses nanos, et sa kyrielle d’extensions — Derméclat, Réveil en Beauté, Fraîche et Guillerette, Fini le Dentiste, Puissant Maintien, Prenez le Contrôle — garantissent à Harmony l’éclat d’une jeunesse insolente, et une efficience maximum en toutes circonstances. Certes. Mais alors, ce bouton ? Ne pourrait-il pas s’avérer un symptôme ? Car être la meilleure version de soi-même a un prix. Un prix élevé, à vrai dire… Pour Harmony Meads, il se pourrait que l’heure de s’en acquitter ait sonné.»

(Illustration de couverture: © Aurélien Police)

> Content warning <

- Livre reçu en service presse. Publication non rémunérée. Merci aux éditeurs. - 

D’autres avis dans la blogosphère: L’épaule d’Orion, Les lectures du Maki, Au pays des cave trolls, Le syndrome Quickson, …

[Lecture n°6 (7/60 points avec les bonus pour l'échelon 4 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 12 de Ma lecturothèque]