Interview avec Laurent Astier

Laurent Astier a accepté de me rencontrer, pour ma toute première interview lors de la Foire du Livre de Bruxelles, et je le remercie de m’avoir accordé un peu de son temps. Nous avons parlé de sa toute dernière bande-dessinée La Venin, tome 1 Déluge de feu, dont il est le scénariste et le dessinateur. Elle est parue le 9 janvier chez Rue de Sèvres  et la série comptera 5 tomes.

> Ma chronique du premier tome <

Pouvez-vous nous dire en quelques mots qui est Laurent Astier?

Je fais de la BD en professionnel depuis 2001 et j’ai réalisé un peu plus d’une vingtaine d’albums. Je ne les compte plus! J’ai commencé par la série Cirk chez Glénat, une série d’anticipation qui était un projet qui datait de mes 17 ans et que je devais évacuer. Après Cirk, j’ai fait beaucoup de polar avec Gong (Glénat), Aven (Glénat) avec mon frère (Stefan Astier) au scénario ou encore L’affaire des affaires (Dargaud) qui est du registre de la BD journalistique mais que j’inscris aussi dans le polar car même si je reprenais la matière écrite par Denis Robert pendant son enquête, celle-ci s’était déroulée avant notre collaboration. 

En alternance il y a eu aussi Cellule Poison qui est une série en 5 tomes chez Dargaud pour laquelle je suis auteur et dessinateur. J’ai aussi fait Comment faire fortune en juin 40 (Casterman) avec Fabien Nury et Xavier Dorison. Et enfin Face au mur (Casterman) en deux tomes qui est dans une suite logique de ce que j’ai fait Cellule poison mais dans un univers très masculin et carcéral. Et maintenant il y a La Venin (Rue de Sèvres).

Vos BD précédentes sont plutôt dans le registre noir, polar, alors que La Venin est du pur western. Pourquoi ce changement de registre? Le western était une envie de longue date?

C’est une envie d’enfance en fait. Avec mon frangin, on dessinait comme tous les enfants, sauf que nous on ne s’est jamais arrêté. Rapidement, au delà du dessin, on a commencé à faire de la BD tous les deux. Lui était plutôt sur des récits de chevaliers alors que moi, depuis tout petit, je dessine des cowboys et des indiens. Le western c’est aussi mes premières lectures. Je lisais du fumetti avec Blek le roc, Tex Willer, La route de l’ouest… toutes les grandes séries italiennes de cette période. Et puis je suis tombé sur Blueberry (de Jean-Michel Charlier et Jean Giraud chez Dargaud) et je pense que c’est cette lecture qui m’a forcé à attendre longtemps avant de faire du western. 

Blueberry vous a mis la pression?

Oui, c’est qu’en terme de scénario Charlier fait des merveilles. Je les ai relu pour préparer La Venin et c’est assez fou de remarquer que, dès le premier tome, des personnages très secondaires qui ne font que passer sur quelques cases deviennent par la suite des personnages très importants pour l’histoire. Charlier réussit à réinvestir des personnages qu’on ne pensait que témoins d’une scène. En terme de construction de scénario c’est impressionnant. Et en terme de dessin on atteint des sommets. Le premier Blueberry que j’ai lu c’était Ballade pour un cercueil (tome 15) et je le considère comme le sommet de toute sa carrière. Il y avait un petit livret pour commencer l’album avec des vraies-fausses photos de Blueberry d’époque où il racontait l’historique du personnage. C’est quelque chose qui m’est resté et que j’ai réutilisé dans La Venin.  Mais c’est certain que lire Blueberry m’a forcé à patienter quelques années avant de me lancer.

Comment avez-vous réalisé cette BD, avez-vous d’abord eu des idées visuelles avant le scénario ou bien aviez-vous le scénario en tête avant de réaliser les premières esquisses?

Tout a commencé avec deux/trois dessins d’Emily qui est un hommage au personnage de Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l’Ouest. Et autour de ce personnage-là j’ai commencé à imaginer l’histoire. Quand on est auteur complet, il faut toujours se départir de son rôle de dessinateur et ne surtout pas imaginer l’histoire de manière visuelle même si une partie film nous vient obligatoirement en tête. Quand j’écris, j’essaye toujours de l’écrire comme si quelqu’un d’autre allait être le dessinateur, d’avoir une trame lisible par n’importe qui. Ce travail d’écriture m’avait manqué sur les premiers albums que j’ai fait. Pour Cirk je travaillais directement sur story board sur base d’une histoire qui tenait sur un ticket de métro. Mais cette démarche nous piège car les dialogues ne deviennent qu’un accompagnement de l’action. Alors que le fait de les écrire en s’éloignant de l’aspect mise en scène donne aux dialogues ont un rythme propre différent de celui de la narration, et c’est ce mélange qui fonctionne. Les dialogues viennent alors apporter autre chose, ils vont au-delà de l’action pure et cela permet de donner des niveaux de lecture différents et de donner une plus grande intensité au récit.

La Venin c’est aussi et avant tout l’histoire d’une femme forte dans un Western, et si je comprends bien, Emily était une évidence pour vous dès le départ? Parce que c’est rare un tel personnage en western!

Oui il y en a très peu, il y a eu Angela d’Olivier Vatine avec un personnage féminin mais là on est plus dans la culture bad-ass. J’avais une autre envie. Ce qui m’avait dérangé quand j’ai revisionné Il était une fois dans l’Ouest, c’est que le personnage de Claudia Cardinale, qui me semble très intéressant, n’est pas du tout développé dans le film. Il manque quelque chose et je voulais donner voix au chapitre à un personnage de cet acabit. Et je ne voulais surtout pas qu’Emily soit la caution sexy ou érotique de l’histoire. Quand elle se déshabille c’est parce qu’elle a choisi de le faire. Et quand je la montre c’est parce que ça a un intérêt pour l’histoire purement. Ce n’est pas uniquement  pour la montrer nue et exciter le lectorat masculin. 

Je ne peux pas m’empêcher de rapprocher Emily de Claire/Clara de votre série Cellule poison pour leur position de femme dans un monde d’homme, leur capacité à prendre les armes et leur soif de vengeance. Est-ce un type de personnage qui vous tient à coeur?

C’est effectivement le même type de personnages. C’est drôle parce que j’ai l’impression, même si je change de genre,  de creuser le même sillon d’auteur avec des personnages féminins qui sont à la fois complexes, à fort caractère… Ça mériterait certainement une thérapie assez longue, mais du coup je fais cette thérapie en bande dessinée. Et je suis payé pour le faire ce qui est encore mieux.

De tous les personnages de tome 1, duquel vous sentez-vous le plus proche? Ou lequel rêveriez-vous d’incarner?

C’est une question piège… Autant quand j’ai écris Cellule poison j’aurai pu répondre de manière assez spécifique. Dans cette série-là,  le personnage qui m’a fait le plus réfléchir sur moi-même c’est le personnage de méchant, Zani. Dans La Venin je pense que j’ai grandi et évolué et j’entre dans la psyché de toute une galerie de personnages différents. Du coup, je ne sais pas… j’aurai envie d’être Emily par exemple.

On passe un tel bon moment avec le tome 1, du coup, le tome 2 c’est pour quand?

Le but est de créer un rendez-vous avec un album tous les ans. Je pensais faire des délais plus courts mais j’ai pris un peu de retard sur le tome 1 et j’ai du lever le pied à cause de soucis de santé. Du coup j’y vais plus calmement mais le but est de livrer le tome 2 début 2020. Créer une sorte de rendez-vous avec les lecteurs tous les ans en janvier me semble être une bonne idée donc pour le moment on va rester sur ce rythme-là.

Avez-vous d’autres projets à venir ou en cours?

J’avais eu envie d’accepter un autre projet et ça ne s’est pas fait. Mais c’est pour le mieux parce que La Venin prend du temps. Et le fait d’être auteur complet dessus m’oblige à tout bien penser. Dernièrement, j’ai réalisé le déroulé du tome 3 et 4 pour mon éditrice pour en discuter avec elle et qu’elle puisse m’indiquer les failles et les erreurs à éviter. C’est parfait pour avoir le recul nécessaire sur ce projet mais tout ça demande du temps. 

En plus, pour le dessin de La Venin je travaille sur format raisin (50x65cm). Le but est de travailler de manière très classique comme les auteurs que j’adore comme Victor De La Fuente ou Jean Giraud et également de pouvoir aussi faire des expos des dessins. D’ailleurs deux expos sont normalement prévues cette année. L’une pour le Festival des planches et des vaches (6 et 7 avril) près de Caen en Normandie dont je suis le président cette année et l’autre au festival BulleBerry à Bourges (5 et 6 octobre). 

Si vous pouviez collaborer avec n’importe quel auteur ou même dessinateur, avec qui rêveriez-vous de travailler?

Pour les dessinateurs, j’avais envoyé le scénario de La Venin à Ronan Toulhoat parce que j’adore son dessin et qu’on est un peu le même type de dessinateur en terme d’influences. J’aime bien aussi Stéphane Servain dont j’adore le boulot depuis très longtemps. Ce qu’il a fait sur Holly Ann (Casterman) est vraiment très chouette. 

En scénariste, j’ai déjà travaillé avec Fabien Nury et Xavier Dorison qui sont un peu des cadors dans la profession, donc c’est déjà pas mal. J’ai failli travailler avec Luc Brunschwig qui est pour moi un des plus grands scénaristes sur la place. Mais il ne faut pas trop lui dire sinon il y croit un peu trop (rires).

Le but de mon blog étant de partager des coups de coeur, avez-vous un coup de coeur récents livre, BD ou cinéma à nous partager? 

En ce moment je lis surtout des choses très orientées pour La Venin donc je ne peux citer que des vieux auteurs de 1880. Je suis en train de relire La lettre écarlate de Hawthorne qui a servi de référence dans le tome 1. En BD j’ai lu récemment le dernier Stern (de Frédéric et Julien Maffre chez Dargaud) que j’ai bien aimé. Je dois encore lire Retour à Killybegs (de Pierre Alary chez Rue de Sèvres) mais j’ai une énorme pile à lire qui ne descend pas comme je me suis lancé dans le storyboard de l’album et que ça me prend pas mal de temps. 

Je regarde aussi un peu des séries pour me détendre. Je pense qu’on fait partie de la génération happée par les séries. A l’époque de Cellule Poison j’imaginais d’ailleurs mon histoire comme des épisodes avec cette volonté d’écrire une BD comme les américains écrivent une série.

Merci beaucoup Laurent Astier et bonne continuation.

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