Macha ou l'évasion

En ce moment j’ai une envie furieuse de SF sous toutes ses formes, et c’est ainsi que je me suis tourné vers un petit roman d’anticipation jeunesse qui m’intriguait beaucoup à sa sortie en 2016 chez Syros car le futur ici décrit est idéal, à l’inverse de quasi tous les romans d’anticipation qui voient l’avenir en noir. Il s’agit de Macha ou l’évasion de Jérôme Leroy et voici ce que j’en ai pensé. 

« Comment voulez-vous qu’une société survive si personne ne connaît plus le nom des oiseaux? »

Une anticipation très actuelle

J’ai été quelque peu déroutée par le contenu du roman (bien que la quatrième de couverture le dit) en découvrant que finalement nous n’allions que peu nous attarder sur notre futur dans une période appelée la Douceur, ni même sur le chaos qui a contribué à la fin de la société actuelle, mais plutôt sur les prémisses de ce chaos qui ont un goût de déjà-vu puisqu’en plein dans notre vie actuelle. C’est donc un roman d’anticipation qui s’ancre pleinement dans le présent, reprenant les thématiques de notre actualité, le climat parfois tendu de nos sociétés, et les violences qui en naissent. Jérôme Leroy, par le biais de Macha, femme de 107 ans qui a vécu notre monde, son chaos et l’après, jette à travers le récit de vie d’une ado, un regard acerbe sur la société que nous connaissons. Il n’y va pas de main morte dans les jugements, pouvant éventuellement gêner une tranche de population d’extrême droite fortement visée mais le faisant avec beaucoup de justesse. Tout y passe, du racisme à la violence policière, de la révolte des jeunes des ZAD, à la révolte plus intime de Macha. L’auteur nous fait saisir l’urgence de notre situation, de ce vers quoi nous pouvons basculer, et espère, à travers son monde d’après, qu’un avenir meilleur est envisageable. C’est du coup un roman à la fois actuel et inquiétant, mais aussi plein d’espoir, bien que légèrement utopique aussi parce que cette Douceur semble vraiment trop parfaite pour être possible. C’est un roman qui donne tout simplement envie de s’évader, de fuir la situation présente et vivre nous aussi en plein rêve. Mais attention, Macha le rappelle, pour vivre le rêve, il faut des sacrifices et se battre avec la seule arme valable: l’espoir. Et si ce futur aux allures de grande fraternité hippy semble utopique, il n’en reste pas moins hyper original pour un genre de littérature qui ne voient souvent que le négatif et ça c’est clairement le point le plus attractif pour le livre.

« Ils rapportent à l’occasion des objets qu’ils trouvent étranges et dont ils ne comprennent pas l’utilité. Les plus anciens, comme moi, leur expliquent qu’il s’agit d’un grille-pain, d’un mixer ou d’un iPod, et ils rient franchement à l’idée que les gens du monde de la Fin aient eu besoin de ce genre de choses. Comme si on ne pouvait pas soi-même griller du pain sur des braises ou presser une orange sur une belle pierre taillée. Comme si la musique devait nous isoler alors qu’elle est faite pour nous réunir…»

Quelques regrets

Jérôme Leroy nous offre donc une histoire, sous la houlette d’une plume fluide et agréable qui se dévore sans peine, un récit très engagé, très orienté. Bon comme c’est vraiment en accord avec mes valeurs, je n’ai pas été gênée, mais je pense qu’un peu de nuances ou un double regard pourrait s’avérer intéressant pour les ados et éviter des amalgames du genre « les gauchistes ces  foutus hippy ». De la même manière, j’ai regretté un certain manque de profondeur dans l’univers. On passe assez vite sur la vie dans la Douceur, nous décrivant quelques détails mais sans en saisir tout le fonctionnement. Cela a empêché de mon côté une immersion totale. J’aurai aussi adoré comprendre comment nous sommes passé de notre société, celle de la Macha enfant et ado, à sa fin. Certes, si certaines pistes (larges) sont évoquées, le lecteur n’en saura pas plus la fin de notre monde et n’en connaît finalement pas toutes les conséquences. C’est vraiment un point que j’aurai voulu voir abordé. J’ai malgré tout passé un très bon moment avec Macha, j’ai d’ailleurs beaucoup aimé ce personnage assez insoumis et son envie de liberté. La lecture a été rapide, l’histoire étant bien haletante et ces quelques regrets n’entachent finalement pas vraiment mon jugement. A noter qu’il est conseillé à partir de 14 ans, certains passages étant quelques peu violents et certains sujets peut-être un peu ardus pour de plus jeunes lecteurs.

En bref, si Macha ou l’évasion n’était pas tout à fait ce que j’attendais, ce fut un roman d’anticipation très intéressant et vraiment agréable à lire qui nous permet de remettre en question notre société actuelle. 

« Le monde de la Douceur vient d’entrer dans sa quatrième génération. Dans la Douceur, il n’y a plus de téléphones portables, plus de pollution, la course au profit a disparu. Macha-des-Oyats, qui a cent sept ans, est née au tout début du 21e siècle. Elle est l’une des dernières personnes à avoir connu le monde de la Fin. Alors, pour les jeunes qui le lui demandent, Macha accepte de raconter : sa jeunesse, cette époque ultraviolente, sa fuite vers un idéal…»

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(Photomontage de couverture : ©Shutterstock / Tatiana Kabanova / Chaiwatphotos)