Les dix mille portes de January

Avec son premier roman Les dix milles portes de January, l’autrice américaine Alix E. Harrow a tapé fort. Finaliste des prix Hugo, Nebula, Locus et World Fantasy Novel, acclamée par la critique à l’international, elle a rencontré un beau succès. Paru en français chez Hachette, le roman est aujourd’hui adapté en livre audio chez Audiolib avec une lecture de Zina Khakhoulia. L’occasion parfaite pour que je le découvre enfin…

« Oh que non. Les mondes n'étaient pas censés être des prisons, des lieux clos, suffocants et sûrs, mais de grandes maison pleines de coins et de recoins, de fenêtres ouvertes à tous les vents et aux averses d'été, de passages magiques au fond des placards et de trésors secrets cachés dans leurs greniers.»

Des portes, des livres, des mots

Le roman s’intitule Les dix mille portes de January, mais cette chère January reste bien éloignée des Portes pendant toute une partie du roman ce qui m’a tout d’abord déstabilisée avant de me laisser convaincre par la plume efficace de l’autrice, qui n’hésite d’ailleurs pas à s’adresser directement à nous, et la narration admirable de Zina Khakhoulia. Hormis un petit instant magique d’enfance qui fera basculer une grande partie de sa jeunesse, cette histoire est longtemps celle d’une jeune fille « entre deux », élevée par un riche collectionneur qui souhaite en faire une jeune femme modèle pendant que son père s’aventure de part le monde pour récolter des artefacts pour cet homme. Une demoiselle qui a soif d’explorations, qui aime les romans et la magie et qui se retrouve engoncée dans un rôle qui la limite et la contraint aussi sûrement qu’un corset. Mais lorsqu’elle trouve un petit livre bien mystérieux, c’est un autre récit qui se trouve enchâssé dans le roman, alternant alors entre l’histoire de January et celle de ce livre au style un peu ampoulé qui a l’air d’un conte mais dévoile progressivement tout un pan de l’histoire et fait évoluer l’intrigue de manière progressive. Une polytextualité qui permet à l’autrice de construire son univers et de faire évoluer January et sa propre histoire tout en nous parlant de ces fameuses dix mille portes. L’intrigue se tisse ainsi via ces deux récits aux styles légèrement différents, l’un, quasi onirique, frappé du seau des légendes mais marqué d’un style lent, et celui, haletant et captivant de January, un peu plus accrocheur. Et pour les lier: les mots et leur pouvoir.

« Ceux qui fréquentent assidûment les livres - ceux qui passent leurs après-midi de liberté dans des librairies vieillottes, ceux qui caressent furtivement le dos des volumes familiers - savent que le feuilletage est une étape essentielle du processus d'apprivoisement d'un nouveau livre. Le but n'est pas de lire les mots, mais lire le parfum qui s'échappe des pages dans un nuage de poussière et de pulpe de bois.»

Un roman très efficace et engagé

Bien qu’un peu frustrée par le manque d’aventures sur une grosse moitié du roman, je me suis rapidement laissée convaincre par l’écriture d’Alix E. Harrow, à la fois riche et évocatrice. Diablement efficace, elle est aussi très élégante à l’audio, parvenant à véhiculer de nombreuses images via des descriptions immersives. Son héroïne est également très bien écrite, évoluant au fur et à mesure du roman. C’est seulement grâce à la qualité de l’écriture que je me suis également laissée convaincre par les aspects romances du récit, qui, bien qu’un peu mielleux pour moi, sont d’une véritable beauté. Son histoire est rapidement teintée de féminisme mais aussi de critiques de la société inégalitaire du début XXème, marqué du racisme crasseux des puissants hommes blancs. Un lien avec notre époque n’est, hélas, pas fortuit. Assez virulent sur ces sujets, sans que ça n’empiète sur l’intrigue mais la nourrissant au contraire, le roman est un texte engagé plein du dynamisme de sa jeune héroïne. Elle devient l’étendard d’une jeunesse qui aspire à mieux et porte également un message d’ode à l’imaginaire, au rêve et aux écrits comme source d’aventures mais aussi de changements et de révoltes. Car oui, la magie dans ce roman vient des mots et de notre capacité à croire à l’impossible. Un joli message pour une autrice d’imaginaire qui rend hommage ici à de nombreux récits de genre qui aident, à minima, à sortir d’un quotidien difficile et à nourrir nos rêves.

En bref, Les dix mille portes de January est un roman très efficace et passionnant, porté par une plume riche et évocatrice qui nous transporte sans faillir. Malin dans sa construction narrative avec deux récits enchâssés, c’est un texte efficace teinté de féminisme, de critique du racisme et de révolte qui offre une belle ode à l’imaginaire et aux écrits. Très efficace à l’audio! 

« Imaginez qu’un jour, au milieu de nulle part, vous trouviez une Porte. Et que cette porte ouvre sur un monde inconnu. Un monde parallèle, d’où viendront votre destin, votre passé et votre futur. Voici January Ruddy, la découvreuse de portes, une curiosité en elle-même. Orpheline, gardée comme un objet précieux dans un manoir rempli d’autres objets précieux, une vie en lambeaux, pleine de trous.

Et puis un livre, soudain, découvert par magie. Un livre fascinant, tout imprégné du parfum de l’aventure, qui relate l’étrange histoire des dix mille portes secrètes qui jalonnent le monde. L’étrange histoire du monde de l’Écrit… Une histoire semée d'embûches, mais si étroitement tressée à la sienne… Car January ne le sait pas encore, mais tout ce qui s’écrit, devient vrai.»

(Illustration de couverture : © Studio POLI&CO)

[Diversité : pp métis.se, ps noir.e, ps bisexuel.le, ps gay]

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