Notre part de nuit

Paru en 2021 aux éditions du Sous-sol puis en poche en début d’année 2023 chez Points ainsi qu’au format audio chez Audiolib, Notre part de nuit est un roman gothique horrifique de l’autrice argentine Mariana Enriquez. Récompensé par de très nombreux prix, notamment le Grand prix de l’imaginaire ainsi que le prix Planète SF des blogueurs, c’est un roman qui avait retenu mon attention. J’ai décidé de le découvrir en livre audio avec une lecture assurée par Féodor Atkine, Clara Brajtman et Françoise Cadol. Et voici ce que j’en ai pensé…

« Toutes les fortunes se bâtissent sur la souffrance d’autrui.»

Avalée par l’obscurité

Avant toute chose, si vous êtes une âme sensible, je vous suggère d’éviter la lecture de ce roman.  Il n’y a qu’à voir la liste de content warning en fin de chronique pour le comprendre. D’autant plus en version audio où la voix sombre et puissante de Féodor Atkine renforce encore plus l’ambiance oppressante de cette histoire et nous donne en pâture à son obscurité. Glauque, parfois très gore, c’est un roman gothique qui n’hésite pas à plonger dans l’horreur et qui déstabilise à plusieurs reprises en appelant aux monstruosités de l’humain, avec le fantastique en voile d’ombre supplémentaire. Mariana Enriquez nous décrit l’indicible, l’impossible et l’inavouable dans un style certes envoûtant mais surtout dérangeant. Elle nous propulse au cœur d’une famille très dysfonctionnelle où Souffrance et Douleur prennent une majuscule. Sacrifices humains, rites malsains, le roman déploie son ombre dans tous les domaines et suscite parfois un profond malaise dans sa description des atrocités commises. Bien que l’ambiance est réussie, j’ai regretté d’être si longtemps dans une forme d’incompréhension qui n’aura trouvé des réponses qu’à la moitié de l’écoute (qui dure tout de même 27h!). Un temps d’attente qui m’aura semblé fort long et qui entache très clairement mon ressenti global.

« Ce qu'il avait vu lui semblait désormais une illusion ; les voix, la chaleur étouffante et le cercle dessiné par terre, tout le fait penser à quelque chose d'obscur, de mortifère, aux araignées, aux vieux cimetières, au sol froid de la salle de bains le soir, au sang qui coulait entre les cuisses de sa mère et sentait le métal et la chair, aux chaînes que le vent faisait tinter la nuit dans l'usine désaffectée de l'avenue et dans la maison abandonnée, murée, de la rue Villarreal, au silence qui suivait une coupure d'électricité, aux rêves de mains froides qui se glissaient sous ses draps et lui caressaient le ventre, et à la tâche d'humidité au plafond qui, certaines nuits, lui rappelait un gros chat, et d'autres, un animal avec des cornes.»

Un roman de grande ampleur

Découpé en quatre parties, dont une première très longue, le roman alterne entre différents protagonistes et époques, dressant un panorama autant historique que familial, de la dictature militaire argentine aux années 70 londoniennes en passant par l’arrivée du Sida. En toile de fond, c’est tout un pan de l’histoire sud-américaine qui se déploie, ajoutant au propos et à l’épaisseur d’un roman déjà dense. Ces aspects prennent surtout place dans la seconde moitié du roman où l’alternance de points de vue et d’époque prend réellement le pas après la première partie très longue. Cela permet d’aborder des sujets plus divers et de mettre en contexte l’histoire des personnages, offrant ainsi un peu plus d’humanité. J’ai particulièrement apprécié l’hommage qui est fait à la poésie notamment, avec de nombreuses citations et références qui donnent envie de lire poètes et poétesses de toutes nationalités. Mais ça n’aura pas suffit à me faire oublier les longueurs, parfois inutiles, qui alourdissent le texte. Mes attentes étaient grandes face à l’enthousiasme général  à propos de Notre part de nuit mais elles n’ont pas été comblé. C’est un bon roman mais il n’est pas magistral selon moi. Peut-être que ses défauts sont renforcés par la version audio, bien que les narrations soient très qualitatives. Je crains cependant que j’aurai eu la même lassitude avec la version papier…

En bref, Notre part de nuit est un roman horrifique particulièrement oppressant et dérangeant qui nous plonge au cœur d’atrocités où les monstres sont bien humains mais où le fantastique s’invite comme une ombre supplémentaire. Vaste fresque historique et sociale par sa densité et son alternance d’époques et de points de vue, c’est un roman riche. Malheureusement, de vastes longueurs et une intrigue qui manque de rythme auront eu raison de mon plaisir de lecture et me laissent sur un sentiment en demi-teinte. C’est un bon roman, mais je ne rejoins pas les éloges dithyrambiques à son sujet.

« Un père et son fils traversent l’Argentine par la route, comme en fuite.

Où vont-ils ? À qui cherchent-ils à échapper ?

Le petit garçon s’appelle Gaspar. Sa mère a disparu dans des circonstances étranges. Comme son père, Gaspar a hérité d’un terrible don : il est destiné à devenir médium pour le compte d’une mystérieuse société secrète qui entre en contact avec les Ténèbres pour percer les mystères de la vie éternelle.»

(Illustration de couverture: © Alexandre Cabanel, L’Ange déchu, © The Picture Art Collection / Alamy Stock Photo)

> Content warning <

[Diversité: pp latinx, pp bisexuel.le, ps latinx, ps gay, ps bisexuel.le, ps daltonien.ne, ps borgne, ps handicapé.e physique - membre amputé]

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