1984

Est-il encore besoin, surtout en ce moment, de présenter 1984 de George Orwell? Ecrit en 1948, ce roman SF d’anticipation évoque un régime totalitaire imaginé par l’esprit génial de son auteur, inspiré, lui-même, par les régimes staliniens et nazis. Il fut publié en français chez Gallimard en 1950 et a connu, depuis, de très nombreuses rééditions. C’est dans l’édition France Loisirs, datant de 1984, que je l’ai parcouru pour la deuxième fois.

« Ils ne se révolteront que lorsqu’ils seront devenus conscients et ils ne pourront devenir conscients qu’après s’être révoltés.»

L’inévitable classique SF

Mon but, dans cette chronique, n’est pas vraiment de critiquer l’œuvre (qui est par ailleurs de très belle qualité, avec une plume magistrale et envoûtante) mais plutôt de vous expliquer pourquoi il faut lire 1984 si ce n’est pas encore fait, ou pourquoi il faut la relire pour en avoir une lecture toute nouvelle face à l’actualité de notre monde.1984 est un « must-read », un classique fondateur dans le domaine de la science-fiction d’anticipation avec des références qui, aujourd’hui, se versent continuellement dans la culture commune. Big Brother est, par exemple, devenu une figure emblématique. Ce roman est un grand classique du XXème siècle, multiplement adapté sous divers formats. C’est un livre inévitable qu’il faut lire parce qu’il a les qualités d’un grand classique sur la forme et surtout sur le fond. Certes, il n’y a pas beaucoup d’action, ne vous attendez pas à un rythme trépidant. Il impose plutôt des réflexions riches et diverses, variant à chaque lecture qu’on en fait. Il s’agit plus d’une fresque frappante de ce que le monde peut devenir (ou est en train de devenir?) et c’est en ce sens qu’il me paraît inévitable, voir même essentiel.

« Leur embrassement avait été une bataille, leur jouissance une victoire. C’était un coup porté au Parti. C’était un acte politique.»

L’essentiel

Orwell, dans 1984, transmet des messages extrêmement puissants sur divers sujets par la description de la société ultra totalitaire qu’il imagine, et qui n’est pas si farfelue. Il évoque les privations de liberté, à travers, notamment, la surveillance continue. Cette société de surveillance absolue est souvent reprise pour illustrer les dérives de notre monde, Big Brother étant souvent personnifié dans les réseaux sociaux, les écoutes téléphoniques, les localisations via nos outils numériques, etc. Cette perte de l’intimité, du privé, est aujourd’hui extrêmement prégnante et George Orwell l’imaginait en 1948 ! N’est-ce pas du génie ?!! Il évoque aussi le fait que l’appauvrissement culturel et intellectuel permet de mieux contrôler les foules. Cet appauvrissement passe notamment par une réforme de la langue, vidant de toute substance les mots pour créer un langage aseptisé ne permettant aucune vie, aucune poésie, aucune pensée contraire. Il permet la prise de conscience nécessaire que les mots ont un réel pouvoir et que les réduire à néant contribue à l’annihilation de la singularité de chaque humain. Le pouvoir de contrôler la population passe aussi par la peur, celle des autres mais surtout celle pour soi. Ce régime inspiré des régimes totalitaires du début du XXème siècle est glaçant de réalisme et souligne les travers de notre monde qui tend à cette situation. Il évoque également cette tendance de plus en plus dangereuse à croire que l’homme est tout puissant et peut nier la nature. Cela ne vous rappelle personne ? Imaginer tout cela à la moitié du XXème siècle était extrêmement fort, car tout ceci se déroule aujourd’hui… Et en ce sens, lire 1984 devient un acte de résistance, ou tout au moins, d’éveil de la conscience.

« Si tous les autres acceptaient le mensonge imposé par le Parti - si tous les rapports racontaient la même chose - le mensonge passait dans l’histoire et devenait vérité. « Celui qui a le contrôle du passé », disait le slogan du Parti, « a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé. » »

#Resist

Relire 1984 aujourd’hui a été une expérience encore plus marquante que le lire à l’adolescence pour moi. Certains éléments que je ne parvenais pas à intégrer pleinement m’ont aujourd’hui « sauté à la figure » tellement l’écho avec la réalité était puissant. J’ai d’abord été très marquée par un passage assez anecdotique où Winston, le narrateur, rapporte une scène de liesse au cinéma. Il décrit la joie et l’excitation de spectateurs regardant des émigrés se faire fusiller et se noyer alors qu’il traversait la mer pour tenter d’entrer dans l’Océania (le territoire de ce régime). Cela m’a littéralement fait pleurer de colère parce que ce racisme exacerbé commence à devenir de plus en plus courant chez nous. Le refus de l’étranger est mis en avant de façon dangereuse depuis quelques années et cette scène ainsi que la citation suivante ont eu une résonnance d’autant plus particulière en moi :

« Si les contacts avec les étrangers lui étaient permis, il découvrirait que ce sont des créatures semblables à lui-même et que la plus grande partie de ce qu’on lui a raconté d’eux est fausse.»

Ensuite, il y a le refus de la science et la volonté de contrôler tout ce que le discours scientifique dit… et là, bien sûr, comment ne pas penser à la censure de Trump ? Quand Winston dit que la liberté est de pouvoir dire 2+2=4 même si le Parti dit autre chose, cela n’a jamais eu autant de force dans mon esprit.

« Il n’y aura ni art, ni littérature, ni science. Quand nous serons tout-puissants, nous n’aurons plus besoin de science. »

La manipulation de la vérité dans ce Parti est totale. Il modifie les chiffres et le passé selon ses besoins et contrôle ainsi tout ce qui fut et tout ce qui est. Cet élément me paraissait dingue à la première lecture, il m’a aujourd’hui fait vraiment peur. Cette omnipotence va même au-delà en contrôlant les croyances des gens ou encore leur sexualité. Tout est déjà là, certains éléments encore de façon discrète, d’autres de façon évidente, comme la haine comme moteur de pouvoir. 1984 permet une prise de conscience frappante et terrifiante qui vous secoue l’esprit. Lisez-le et réveillez-vous. Aimez-vous, prenez des décisions, vivez libres, lisez, écrivez, résistez !

« Le progrès de notre monde sera la progrès vers plus de souffrance. L’ancienne civilisation prétendait être fondée sur l’amour et la justice. La nôtre est fondée sur la haine. Dans notre monde, il n’y aura pas d’autres émotions que la crainte, la rage, le triomphe et l’humiliation. Nous détruirons tout le reste, tout.»

« De tous les carrefours importants, le visage à la moustache noire vous fixait du regard. BIG BROTHER VOUS REGARDE, répétait la légende, tandis que le regard des yeux noirs pénétrait les yeux de Winston... Au loin, un hélicoptère glissa entre les toits, plana un moment, telle une mouche bleue, puis repartit comme une flèche, dans un vol courbe. C'était une patrouille qui venait mettre le nez aux fenêtres des gens. Mais les patrouilles n'avaient pas d'importance. Seule comptait la Police de la Pensée. »

* Question du jour: C'est quoi, pour vous, la liberté? *