La tête légère

Romancière post-réaliste russe, Olga A. Slavnikova est une auteur réputée traduite en anglais et en français. Publié originalement en 2011, le roman La tête légère est paru en 2016 chez Mirobole éditions dans la collection « Horizons pourpres ». Je remercie vivement la maison d’édition pour ce service presse qui me faisait très, très, très envie, et tout particulièrement Sophie de Lamarlière pour sa gentillesse. 

[NB: Je le répète, le fait de recevoir un livre en service presse / partenariat n’influence en rien mon avis dessus.]

« D’innombrables messages, issus en apparence de sources variées, s’agglutinèrent dans l’esprit de Maxime T. Ermakov pour y faire naître la conviction que le dilemme russe formulé jadis par Dostoïevski - vaut-il mieux laisser le monde s’effondrer ou se priver de thé? - n’avait plus désormais qu’une seule résolution correcte: privilégier le thé. »

Surprenant, original, déroutant

Voici officiellement ma première « Alerte coup de coeur » pour 2017. Et oui, ça y est Mirobole a encore frappé! J’ai littéralement adoré cette lecture qui m’a fait passé par tout un tas de sentiments, de réflexions, de questionnements, et je sais d’avance que cette critique sera chaotique car je ne parviens pas clairement à dégager tout ce que ce livre a fait naître en moi. C’est comme une bourrasque littéraire dans mon esprit! Parce que La Tête légère est déroutant d’originalité. Olga Slavnikova nous propose un récit noir cynique et ironique où l’aspect fantastique ne vient qu’en toute petite touche pour souligner de nombreux travers de l’humain et de la société. Maxime Ermakov a une tête trop légère créant des problèmes par des liens de cause à effet: une seule solution pour arrêter les catastrophes qu’il engendre, il doit se suicider. Tout part de cette idée un peu loufoque pour le lecteur mais tragique pour Ermakov qui n’a absolument aucun désir d’en finir, et encore moins pour sa patrie. Bien que sombre dans son propos et dans certaines de ces réflexions, ce roman est pourtant parfois presque comique par son ironie et son cynisme. Il est aussi par moments quasi-épique, m’ayant fait vivre de grandes attentes angoissées, et par moments poétique, me touchant sincèrement. La Tête légère c’est quelque chose que je n’avais jamais lu ailleurs, surprenant mais passionnant. Le format aussi est perturbant puisqu’ici pas de chapitre! Mais c’est finalement plus logique ainsi et on passe vite outre.

« Je regrette, mais je suis prêt à payer pour de la qualité, une technologie bien léchée et des normes de production exigeantes. Vous et les gus dans votre genre, vous voulez que je dépense mon argent sur un truc fabriqué dans l’ignorance de ces normes, par des manchots, des écervelés et des branleurs, le tout aligné sur les prix du marché mondial, au nom du patriotisme.»

Ecriture magistrale pour un récit passionnant

Je ne vais pas vous mentir, en presque 500 pages, ce roman recèle peu « d’actions ». Et pourtant, à ma plus grande surprise, je n’ai pas ressenti d’ennui à une seule seconde. Il y a juste une légère longueur au récit sur sa mère. Car oui, on ne reste pas ancré dans le présent, on plonge aussi dans l’histoire de son enfance, de ses parents et grands-parents par le biais de réflexion fort passionnantes. Olga Slavnikova a une écriture magistrale, n’ayons pas peur des mots et elle rend le récit passionant. Elle construit des personnalités complexes qui dépeignent une Russie actuelle et passée, campagnarde et citadine. Son style est enivrant! Et à travers ce récit un peu fou, c’est une foule de sujets qui sont abordés. Elle questionne l’innocence humaine de façon profonde à travers un personnage accusé de tous les maux du monde, mais qui finalement est coupable de ne pas vouloir se tuer. Il y a du Kafka chez Olga Slavnikova. Elle interroge aussi la notion de liberté, celle de vivre comme nous le souhaitons, et l’égoïsme de vouloir vivre libre quitte à mépriser le reste du monde. L’auteur nous évoque la foi comme un étranger dans notre société, alors que la déchéance est devenu beaucoup plus courante et habituelle. Elle questionne le pouvoir des médias et d’Internet avec toute la manipulation de la foule pour pousser Ermakov au suicide, complètement réaliste et glaçante. Les gens ont besoin de coupable quand le monde ne tourne plus rond et lorsqu’il est tout désigné, c’est d’autant plus simple d’en vouloir à sa vie. Elle nous laisse des pistes de réflexions sur la solitude et le lien aux autres, sur l’intérêt du confort et de la liberté si nous sommes finalement isolés. A travers l’histoire insensée de Maxime T. Ermakov, le lecteur est poussé dans ses pensées, qui sont alimentées par différents discours durant le roman, lui proposant de choisir lui-même le sens de ce qu’il lit, de bannir Ermakov ou de le défendre par exemple. Je ne peux pas développer ces sujets plus de peur de vous gâcher ce qui se dit et surtout de vous influencer dans un sens ou dans un autre, mais sachez que chaque fois que je posais le livre, mon cerveau fusait dans tous les sens, et encore quelques heures après avoir achevé la lecture. C’est un livre qui marque, indubitablement. 

« Si tu as perdu ton mari, ton enfant, le monde devient différent, étranger, incompréhensible. Et si tu peux croire que ton mari et ton enfant sont vraiment morts, alors tu peux croire aussi à d’autres choses incroyables. Même aux démons, même aux soucoupes volantes. »

En bref, je ne pense pas avoir suffisamment fait passer le message par cette critique un peu confuse mais lisez La Tête légère parce que c’est un livre comme vous n’en avez jamais lu, véritablement passionnant et riche en réflexions! 

«Maxime T. Ermakov, publicitaire talentueux, est aussi l’heureux détenteur d’une tête très particulière. Un jour, les agents d’obscurs services secrets sonnent à la porte de son appartement moscovite : son anomalie physique perturbe l’harmonie du monde, il doit se suicider au plus tôt, geste qui pourra sauver des millions de gens. On lui remet donc une arme en le priant de se conduire en patriote. Mais le suicide n’entre pas dans les projets de Maxime, et les agents doivent insister : ils hantent son immeuble, colportent des rumeurs dans son quartier, investissent son bureau. Bientôt Moscou le traite en ennemi social, et un nouveau jeu vidéo fait fureur : il s’agit de tuer virtuellement Maxime T. Ermakov…

Olga Slavnikova questionne l’impossible innocence humaine dans ce roman terrible et absurde servi par une écriture magnifique mêlant cruauté, ironie et poésie. »

(Photographie de couverture: © nikolpetr)

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