Au bal des absents

Parmi les titres de la rentrée littéraire de septembre, les éditions du Seuil dans la collection Cadre noir ont publié le nouveau roman de Catherine Dufour intitulé Au bal des absents. Ce roman fantastique horrifique à base de manoir hanté a reçu un bel enthousiasme côté critiques (par exemple chez Lune, ou Le dragon galactique) à tel point qu’il est remonté dans ma PAL (à coups de binette!) pour passer devant les autres livres. Et voici ce que j’en ai pensé…

« Étrange, quand même, que les hantises touchent des châteaux, jamais des HLM.»

Hommage et détournement

Au bal des absents débute comme un classique des romans horrifiques. Un manoir ancien, des craquements, un reflet qui vous sourit et une jambe solitaire qui vous poursuit. La terreur, la vrai, dans une ambiance qui n’est pas sans évoquer Ça de Stephen King et tous les autres grands classique du genre. Une forme d’hommage de la part de Catherine Dufour qui multiplie les références aux romans et films horrifiques lorsque son héroïne, Claude, tente de trouver des réponses et des techniques dans ces oeuvres pour se débarrasser de l’entité qui hante le manoir. Plus qu’un hommage, c’est aussi un joli détournement que nous propose l’autrice, car au coeur de cette ambiance creepy à souhaits, on rit aussi beaucoup. Parce que Claude a décidé de ne pas se laisser faire et qu’elle met en pratique tout ce qu’elle lit/voit dans les oeuvres du genre, même les choses les plus absurdes. Parce que ça donne parfois des situations complètement dingues au son de prières et d’insultes mêlées. Et parce que Claude puise aussi dans ces références personnelles, notamment son parcours compliqué avec Pôle Emploi pour puiser des ressources et s’en sortir coûte que coûte. Obstinée, terrifiée mais féroce, Claude est un personnage écrit avec brio par la plume piquante de l’autrice qui nous balance un roman entre ambiance terrifiante, satire et critique sociale. 

« Oui, le vrai problème, ce n’est pas le fantôme dont l’apparition vous plonge dans une terreur indicible qui fait vaciller votre raison. Le problème, c’est le fantôme armé d’un tranchoir.»

Une critique sociale acérée

Bien plus qu’une simple histoire de manoir hanté, aussi géniale soit-elle, Au bal des absents est une aussi une critique sociale puissante. Claude a perdu son emploi, a été radiée de Pôle Emploi, elle n’a plus de logement et sa détermination face aux entités fantomatiques tient au fait que sans ce logement, elle doit survivre dans sa voiture en plein hiver. Elle se réfugie à la médiathèque et dans les bars au maximum, elle trouve un petit boulot, mais rien n’y fait, elle a besoin du manoir et elle doit se débarrasser de ce qui la rejette là-bas. Claude a souffert dans son parcours de vie, par seulement de cette misère mais aussi du patriarcat, c’est ce qui la rend aussi tenace malgré ses failles. Catherine Dufour nous offre un roman qui recèle aussi des messages de tolérances LGBTQI+ et de nombreux messages féministes entre petite remarque sur le fonctionnement de la société et jusqu’à un final particulièrement grandiose. Le roman, écrit au vitriol, est bien acéré. Sous couvert d’humour et de fantastique, Catherine Dufour balance sévère comme elle seule sait le fait. Et ça fait du bien bordel! 

« Le monde, au fond, n’avait jamais attendu d’elle qu’une chose: qu’elle disparaisse. Pire: qu’elle n’existe pas. Les pauvres, ça encombre. Les chômeurs, c’est des gêneurs. Colombe, au moins, y mettait les formes, et une sorte de soin.»

En bref, c’est un coup de coeur pour Le bal des absents, pour son ambiance creepy, son humour, la plume piquante de Catherine Dufour et la critique sociale. Entre hommage et détournement des classiques du genre, c’est un roman jubilatoire qui décape tout et lui aurait tout à fait sa place parmi mes meilleures lectures de l’année.

« Claude a quarante ans, et elle les fait. Sa vie est un désert à tous points de vue, amoureux et professionnel ; au RSA, elle va être expulsée de son appartement. Aussi quand un mystérieux juriste américain la contacte sur Linkedin – et sur un malentendu – pour lui demander d’enquêter sur la disparition d’une famille moyennant un bon gros chèque, Claude n’hésite pas longtemps. Tout ce qu’elle a à faire c’est de louer la villa « isolée en pleine campagne au fond d’une région dépeuplée » où les disparus avaient séjourné un an plus tôt. Et d’ouvrir grands les yeux et les oreilles. Pourquoi se priver d’un toit gratuit, même pour quelques semaines ? Mais c’est sans doute un peu vite oublier qu’un homme et cinq enfants s’y sont évaporés du jour au lendemain, et sans doute pas pour rien.»

(Photographie de couverture: © Dahlstrom / Getty images)