Les furtifs

Finaliste du Prix Imaginales des Bibliothécaires, titre de science-fiction best-seller aux avis parfois dithyrambiques, Les furtifs est le dernier roman d’Alain Damasio publié en 2019 aux éditions La Volte après 15 ans d’absence depuis le génial La Horde du contrevent. J’ai enfilé ma casquette de jury et je me suis lancée dans sa découverte, à la fois intriguée et anxieuse de découvrir ce titre que les médias qualifient comme étant « plus que de la SF »…

Une écriture rebutante

Parlons peu, parlons bien: je ne suis pas arrivée au bout de ce roman de 688 pages que j’ai abandonné après 203 pages lues avec beaucoup de difficultés… Outre un manque de rythme qui crée un ennui profond, c’est surtout le style d’écriture qui a été totalement rebutant pour moi. L’auteur sait jouer avec les mots, indéniablement, mais il en abuse parfois de manière insensée comme pour « faire bien » au point de créer le résultat alambiqué à souhaits d’une branlette intellectuelle qui aurait mijoter pendant 15 ans au point de devenir indigeste. Il alterne également les styles d’une phrase à l’autre, passant d’une plume littéraire « classique » à des formulations inélégantes ou encore à des tentatives d’écrire « jeune » et « connecté » qui sont plus ridicules qu’efficaces. J’apprécie généralement les plumes singulières ou les styles affirmés. Mais encore faut-il que ces choix soient signifiants et pas juste décoratifs. Parfois, l’auteur change même de temps de conjugaison de manière perturbante et inutile, ajoutant encore à la confusion comme ici:

« Sahar s’est refermée d’un coup. Je m’apprêtais à parler, elle coupera court, d’un geste. Se redresse sur son siège. Sécherait ses yeux qui seraient maintenant vert d’eau, plus lumineux. »

S’ajoutent à ce gloubligoulba des polices d’écritures spécialement créées pour ce livre qui ajoutent des symboles (points, apostrophes, etc.) autour des lettres et qui perturbent grandement la lecture au point d’être particulièrement agaçants car parfaitement inutiles. Certains passages sont agréables à parcourir, exempts de tous ces défauts, mais ces travers reviennent inlassablement, parfois au point de créer de parfaits moments incompréhensibles.

« Zilch apprécierait, en connaisseur, zip, zap, happe point, happe pas. Sur sa plasmap clignoteraient les capteurs de l’avenue, en volume et couleurs, je n’y serais qu’un point, qu’un point  - - point t’y es - - - pointillé… Hop, happe pas, échappe. Une esquive, hanche, calte, manche, qui multiplierait arcs, lags et lignes brisées #notag […] »

L’art de s’écouter écrire

Pourtant, le roman n’est pas à jeter entièrement à la poubelle. Certains éléments de l’univers sont plutôt intéressants et les réflexions philosophiques et politiques sont clairement interpellantes dans leur dénonciation de notre société actuelle. J’ai apprécié le message porteur de liberté (aux limites de l’anarchie tout de même) et la mise en avant du contact humain. Le deuil est aussi un sujet plutôt bien exploité (en tout cas sur les premières 200 pages). Malheureusement, le message prend souvent le pas sur l’histoire et sur la construction de l’univers. L’auteur semble finalement beaucoup s’écouter aux détriments d’un roman qui lui sert en quelque sorte de décor en carton pour évoquer ses pensées et son message politique manquant parfois de finesse. Et de fait, l’univers manque cruellement de cohérence, que ce soit sur les aspects centraux (quel intérêt pour une marque de racheter une ville qui n’est pas un investissement rentable et sans l’obtention d’un pouvoir puisque un Etat est maintenu?) ou sur des détails, notamment au niveau des technologies. De plus, les éléments les plus intéressants ont déjà été lus/vus ailleurs de manière plus approfondie. On se retrouve donc dans un monde peu crédible, terriblement manichéen avec une histoire un peu prétexte au discours portée par des personnages difficiles à apprécier (hormis Sahar) ou stéréotypés. Quelques passages sont agréables, quelques éléments sont bons et méritent de s’y arrêter mais l’effort est trop important et la lecture ne doit pas être une souffrance. Heureusement, finalement, que je n’ai pas pu l’acheté aux Imaginales comme prévu parce que l’auteur avait décidé de ne pas venir aux horaires où le public l’attendait…

« Ressouder est un impératif pour ce qui reste de notre Etat à l’agonie. Et rien ne ressoude mieux un peuple qu’une menace commune.»

En bref, Les furtifs a été une lecture désagréable dont l’abandon m’a finalement soulagée. Entre un auteur qui s’écoute et écrit de manière insensée, un univers incohérent et une histoire fade, je n’ai pas trouvé suffisamment de positif pour avoir envie de m’y accrocher. Je peux comprendre que certains apprécient et je ne les critique aucunement. Ce n'est juste pas du tout pour moi.

« Ils sont là parmi nous, jamais où tu regardes, à circuler dans les angles morts de la vision humaine. On les appelle les furtifs. Des fantômes ? Plutôt l’exact inverse : des êtres de chair et de sons, à la vitalité hors norme, qui métabolisent dans leur trajet aussi bien pierre, déchet, animal ou plante pour alimenter leurs métamorphoses incessantes.

Lorca Varèse, sociologue pour communes autogérées, et sa femme Sahar, proferrante dans la rue pour les enfants que l’éducation nationale, en faillite, a abandonnés, ont vu leur couple brisé par la disparition de leur fille unique de quatre ans, Tishka – volatilisée un matin, inexplicablement. Sahar ne parvient pas à faire son deuil alors que Lorca, convaincu que sa fille est partie avec les furtifs, intègre une unité clandestine de l’armée chargée de chasser ces animaux extraordinaires. Là, il va découvrir que ceux-ci naissent d’une mélodie fondamentale, le frisson, et ne peuvent être vus sans être aussitôt pétrifiés. Peu à peu il apprendra à apprivoiser leur puissance de vie et, ainsi, à la faire sienne.»

(Illustration de couverture: © Stéphanie Aparicio)

- Finaliste du Prix Imaginales des Bibliothécaires 2020 -

[Lecture n°5/60 (pour l'échelon 4) pour le Challenge de Littérature de l'Imaginaire édition 8 de Ma lecturothèque]

Ce livre faisait parti des présélectionnés du Prix Littéraire de l’Imaginaire Booktubers app 2020 #PLIB2020 #ISBN9782370490742 #ISBN:9782370490742