Malboire

Malboire est un roman d’anticipation de Camille Leboulanger paru en 2018 aux éditions L’Atalante dans leur collection La Dentelle du cygne. C’est dans le cadre de ma participation au Prix Imaginales des Bibliothécaires 2019 (dont il est un des 5 finalistes) que j’ai pu découvrir ce titre qui me faisait déjà de l’oeil depuis quelques temps, notamment grâce à la critique de Maks sur son blog Un bouquin sinon rien. Et voici ce que j’en ai pensé…

« Ceux de la boue n’ont pas de mémoire, car ils ne connaissent pas le temps ; ils n’ont pas de temps, car ce ne sont pas des hommes, à moins que ce ne soit l’inverse. »

Une fable écologique essentielle

Malboire nous présente un monde dont la terre est désolée, où les cultures peinent à survivre, où les animaux tombent malades et où l’eau est une denrée plus que rare que seule la pluie peut apporter. Cette terre malade que le poison, appelé Malboire a envahi est le résultat d’une catastrophe écologique due à un épuisement des ressources de la part de ceux du Temps Ancien…: nous. Camille Leboulanger signe ici un roman d’anticipation glaçant d’un point de vue écologique. Il nous rappelle, par le biais de ce récit, combien les ressources naturelles sont précieuses et fragiles à la fois. L’histoire ne s’acharne cependant pas à nous accuser, mettant en scène des personnages dont la volonté principale est la survie au présent, mais surtout dans l’avenir. De même, Malboire illustre certes les tendances violentes et animales de l’humanité en situation extrême, mais également la bonté et la volonté de vivre en paix d’une partie des hommes. Malboire, c’est aussi une histoire qui questionne le renoncement et l’abandon, la croyance aveugle et l’ignorance, l’humanité et la violence, le tout sur fond d’un amour pur et profond. C’est donc un roman très riche et original.

« Ils avaient dû être bien aveugles, si convaincus de l’inéluctabilité et de l’imminence de leur propre mort, à en perdre toute pensée pour ceux qui viendraient après eux. »

Des héros pas comme les autres

Malboire est aussi une forme de road-trip ou quête initiatique. Et c’est armés d’un espoir virulent et quasi inaltérable que nos héros vont entamer un voyage tortueux dans le but incertain de faire vaincre la vie. Mais ces héros sont bien éloignés des standards habituels. Personnes simples, ignorantes même parfois, traînant leur crasse et l’odeur nauséabonde du marais de Malboire où ils évoluent, ils sont bien loin des héros étincelants. Et pourtant, malgré leurs failles, notamment celles du narrateur qui peut parfois devenir agaçant, on s’attache à leur espoir fou, à leur courage et à leur justesse. Mivoix est un personnage très marquant, flamboyante à tous les points de vue et pour laquelle le narrateur m’a transmis son admiration absolue. Dans cette quête, la géographie et leur psyché se confondent, les obstacles du terrain se fondent dans ceux de leur personnalité. Leur aventure n’est pas seulement complexe physiquement mais les pousse à grandir, évoluer, se dépasser pour sortir de la boue qui les entraîne au fond. Le tout est porté par une écriture élégante qui renforce l’intensité mystique de cette histoire. Je regrette juste quelques longueurs et j’aurai aimé parfois que notre héros sorte plus vite de ses failles. Mais j’ai surtout retenu l’originalité et la portée essentielle de cette histoire lorsque j’ai regretté d’avoir tourné la dernière page.

« Ce matin-là, sous un soleil sans pareil, elle m’a choisi comme je l’ai choisie. Elle plutôt que le reste. Je suis devenu le fou de la folle. »

En bref, Malboire est un récit post-apocalyptique aux allures de fable écologique et de road-trip initiatique très original. Il nous rappelle l’importance de préserver notre monde pour ceux à venir, le tout sur fond d’une histoire passionnante portée par des héros hors des cases mais fondamentalement flamboyants.

« Un coin entre mer et montagne. Une lande, longtemps après un désastre qui a laissé la terre exsangue et toxique. Ses rares habitants vivent les yeux tournés vers le ciel dans l’attente de la pluie, ou vers le sol où la mort les attend.

La faute au Temps Vieux dont les traces subsistent encore sous forme de micro-organismes, qui devaient faire pousser le maïs plus vite et plus droit, et de monstres autonomes qui continuent à labourer une terre depuis longtemps désertée par leurs concepteurs.

Heureusement, il y a Arsen, qui a gardé des souvenirs, un appétit d’avenir, et surtout un projet : forer le sol pour trouver de l’Eau potable sous la Malboire afin d’échapper au diktat de la pluie. Et il y a surtout Zizare, qu’Arsen a tiré de la Boue et recueilli, tout comme Mivoix, sa compagne. Il leur donne le goût de l’aventure et ne les retient pas lorsqu’ils partent, obnubilés par la rumeur d’un barrage derrière lequel se trouverait une immensité d’Eau... »

(Illustration de couverture: © Julie Manescau / design © Legraf)

[Lecture n°10/36 (pour l'échelon 3) pour le Challenge de Littérature de l'Imaginaire édition 7 de Ma Lectorutothèque]