Royaume de vent et de colères

Après avoir eu un beau coup de coeur pour Boudicca l’année dernière, j’ai eu envie de découvrir le premier roman de Jean-Laurent del Socorro, Royaume de vent et de colère, paru en 2015 chez ActuSF. J’ai profité des Imaginales pour craquer sur la sublime édition collector 2018. Ce roman a reçu le Prix Elbakin 2015 du meilleur roman de fantasy français et voici ce que j’en ai pensé…

« - C’est quoi ton nom?

Il reprend sa dégaine avachie et sa mine dépitée.

- Gabin. Comme gamin, sans « aime ». »

L’art de passionner

Si j’ai acheté ce roman, ce n’est pas pour son résumé mais bel et bien parce que je faisais complètement confiance à l’auteur pour m’embarquer alors même que l’époque du roman ne me passionne pas du tout. Royaume de vent et de colères est en effet un roman qui à un ancrage historique fort pendant le 16ème siècle (guerres de religion, St Barthélémy, etc.) et notamment la fin du 16ème siècle dans la République de Marseille, époque qui, si elle est digne d’intérêt, ne m’attire pas plus que cela comme décor. Et pourtant… par sa plume envoûtante et immersive, par son talent de dresser des portraits forts et marquants et par sa maîtrise de l’ambiance, Jean-Laurent del Socorro m’a fait changer d’avis en me passionnant pour ce pan de l’histoire. J’ai dévoré ce roman avec délice, portée par une plume envoûtante, d’une grande beauté littéraire et des intrigues palpitantes. Les chapitres très courts et l’alternance de personnages et de points de vue accélèrent le rythme et nous empêchent de lâcher le roman. Le côté historique est bien présent, sans être aucunement rébarbatif ni trop complexe car l’Histoire se raconte sans peine à travers les histoires humaines de nos 5 protagonistes principaux. Le petit aspect fantastique s’intègre également parfaitement à l’intrigue et n’entache en rien l’impression de réalisme qui s’en dégage. Il permet même d’élargir le champ des sujets abordés.

« Je prends un cierge et m’installe sur le prie-Dieu qu’une femme enceinte vient de libérer. Elle a sans doute prié pour la sauvegarde de sa famille. Tu aurais mieux fait de prier pour toi, pour que tu ne meures pas en couches, pour que ton mari ne te batte plus et pour que tu puisses toi aussi aller te saouler à la taverne pendant qu’il gardera vos cinq enfants. Prie pour ta liberté, et pour celle de nous toutes, soumises à des règles imposées par les hommes qui ont rendu nos vies moins précieuses que celle de l’âne qui fait tourner la roue du moulin. »

Des sujets forts et des personnages coup de coeur

Le roman se déroule sur une petite poignée de jours et alterne les points de vue de 5 personnages forts et immédiatement attachants pour des raisons toutes différentes. Mon plus gros coup de coeur va à Axelle, tenancière de l’auberge, ancienne mercenaire, femme forte et courageuse qui a vécue dans la colère. Mais je les ai tous aimé, Victoire pour son côté féministe, Gabriel pour sa loyauté, Armand pour son amour, et bien sûr Silas pour son charisme (et ses pommes). Même les personnages « secondaires » sont tous développés, attachants et marquants, Gabin en tête. Ce sont tous des personnages inoubliables qui m’accompagneront encore longtemps. Leurs personnalités fortes et leurs histoires passées et présentes permettent à l’auteur de développer de nombreuses thématiques importantes dont, entre autres, la religion, l’addiction ou bien encore la maltraitance. Les messages portés par le récit sont d’une grande justesse et les valeurs véhiculées sont très belles. Alors forcément, avec cet attachement immédiat, on ne peut que se passionner pour leurs destins. L’édition s’accompagne ici de deux nouvelles dans l’univers du roman, deux nouvelles également magnifiques qui ont prolongé le plaisir de lecture. Mon seul regret finalement? Que ce soit trop court! Je suis définitivement fan de la plume de Jean-Laurent del Socorro et j’ai hâte de lire son prochain roman.

« On ne tue pas des gens juste parce qu’ils ont la tête dans les étoiles et qu’ils dessinent. Ou alors, il faudrait tuer tous les enfants du monde. » - extrait de la nouvelle « Le vert est éternel » 

En bref, Royaume de vent et de colères est un coup de coeur. Je n’ai rien à reprocher à ce roman qui m’a embarqué pleinement dans l’histoire de ses 5 personnages inoubliables au coeur de la grande Histoire rendue passionnante par la plume d’un auteur de talent. Lisez-le (il est même sorti en poche pour les petits budgets!).

« En 1596, deux ans avant l’édit de Nantes qui met fin aux guerres de Religion, Marseille la catholique s’oppose à Henri IV, l’ancien protestant. Une rébellion, une indépendance que ne peut tolérer le roi.

À La Roue de Fortune se croisent des passés que l’on cherche à fuir et des avenirs incertains : un chevalier usé et reconverti, une vieille femme qui dirige la guilde des assassins, un couple de magiciens amoureux et en fuite, et la patronne, ancienne mercenaire qui s’essaie à un métier sans arme.

Les pions sont en place.

Les troupes royales arrivent devant la ville.

Le mistral se lève.

La pièce peut commencer. »

(Illustration de couverture: © AMMO)

[Lecture n°33/36 (pour l'échelon 3) pour le Challenge de Littérature de l'Imaginaire édition 7 de Ma Lecturothèque]