Les graciées

Les graciées, roman de Kiran Millwood Hargrave, faisait parti des livres qui avaient retenu mon attention à la rentrée littéraire 2020. Il était alors publié aux éditions Robert Laffont dans leur collection Pavillons. Le manque de temps m’avait cependant empêché de m’y plonger jusqu’à sa parution en livre audio cette année chez Lizzie, lu par Lila Tamazit. Et voici ce que j’en ai pensé…

« Le chagrin ne peut nourrir un corps mais il peut le remplir. »

D’abord une vague, le retrait lent vers la mer puis la fureur d’un tsunami

Les graciées est un roman qui commence avec force. Une tempête, un dérèglement majeur, une catastrophe. Puis vient le temps suspendu, l’arrêt, celui du deuil, celui du déni, celui de l’attente. Certaines lenteurs parsèment alors le récit, prenant le temps d’installer le village, ses habitantes et surtout, de nous attacher à certaines plus que de raison à certaines d’entre elles. Un rythme assez lent qui nous permet de ressentir l’isolement de Vardø et de plonger pleinement dans la psychologie très réussie des personnages. Un temps d’attente, un « calme » avant la tempête. Et quelle tempête ! Les graciées est un roman qui nous emporte et nous dévore par son final grandiose. Une claque, entre fureur, injustice et passion, un tsunami d’émotions incontrôlable mais d’une justesse folle. C’est un roman de rage et d’amour qui nous parle d’humanité et de désespoir, le tout sur une terre gelée en pleine chasse aux sorcières (l’aspect historique est basé sur des faits réels). Un grand roman qui ne peut laisser indifférent par la finesse de son propos et la force de son âme.

« Je me souviens d'un temps où tu me disais que les runes te réconfortaient, un temps où les marins allaient trouver mon père pour qu'il lance ces os et leur indique le moment propice pour partir en mer. Tout cela n'est qu'un langage, Maren. Que tu ne le comprennes pas n'en fait pas l'œuvre du diable. »

Les mots justes

Kiran Millwood Hargrave nous offre un roman à la plume très agréable où chaque mot semble choisi avec soin pour mieux véhiculer du sens et impacter à la lecture. On est bercé par ses mots qui font de cette île un territoire que l’on ressent dans son froid mordant, sa boue et sa dérive vers l’obscurantisme des chasses aux sorcières. L’autrice dépeint admirablement (et douloureusement) bien les souffrances de ces femmes, que ce soit celle d’Ursa, soumise au joug de son mari, ou celles de toutes ces femmes livrées à elle-même et montrées du doigt pour leur indépendance. C’est un récit dur mais juste, qui ne cache pas les horreurs de l’histoire et trouve un écho cruel dans notre présent. Et c’est aussi un roman plein de beauté. Entre la boue, le froid et l’horreur des procès, Les graciées est empli d’instants de grâce justement, notamment dans les sentiments de Maren. Je ne regrette qu’un petit manque d’immersion dans la version audio, ayant parfois du mal à différencier les personnages qui prenaient la parole. Mais cela n’a pas empêché d’approcher le coup de cœur.

« Elle qui pensait avoir vu le pire depuis ce port, que rien ne pouvait égaler les horreurs de la tempête, comprend à présent combien il était naïf de croire que le mal ne pouvait provenir que du dehors. Depuis le départ, le mal était ici, parmi elles, perché sur deux jambes, répandant la rumeur de sa langue humaine. »

En bref, Les graciées est un roman magnifique, aussi cruel que beau qui nous offre une histoire pleine d’humanité et d’amour sur le fond historique et réel d’une chasse aux sorcières. Puissant, le roman nous happe et nous bouscule dans une final grandiose d’une justesse incroyable. Si quelques longueurs se font ressentir en début de roman, et si la lecture audio a manqué d’un peu d’intensité parfois, je reste subjuguée par ce texte et je vous le conseille vivement.

« 1617, Vardø, au nord du cercle polaire, en Norvège.

Maren Magnus-datter, vingt ans, regarde depuis le village la violente tempête qui s’abat sur la mer. Quarante pêcheurs, dont son frère et son père, gisent sur les rochers en contrebas, noyés. Ce sont les hommes de Vardø qui ont été ainsi décimés, et les femmes vont désormais devoir assurer seules leur survie.

Trois ans plus tard, Absalom Cornet débarque d’Écosse. Cet homme sinistre y brûlait des sorcières. Il est accompagné de sa jeune épouse norvégienne, Ursa. Enivrée et terrifiée par l’autorité de son mari, elle se lie d’amitié avec Maren et découvre que les femmes peuvent être indépendantes. Absalom, lui, ne voit en Vardø qu’un endroit où Dieu n’a pas sa place, un endroit hanté par un puissant démon. »

(Illustration de couverture : © Caracterdesign et ilbusca/Getty images - © Shutterstock)

D’autres avis sur la blogosphère : Little pretty books, Ma lecturothèque, Chez le chat du cheshire, Ma toute petite lecture, ...

[Diversité : pp lesbienne, ps lesbienne]

> Content warning <

* Lecture pour le #PAC Pumpkin Autumn Challenge 2021 de Guimause: Menu Automne Enchanteur - catégorie Princesse princesse *