Les armées de ceux que j’aime ; Alter

Les armées de ceux que j’aime est le tout nouveau titre de la collection Une Heure-Lumière des éditions Le Bélial’ et le quatrième livre de la collection signé de l’excellent Ken Liu. Pour des raisons juridiques, la novella est accompagnée d’une nouvelle, Alter, en fin d’ouvrage. L’auteur figure en très bonne place dans mon top UHL et il me tardait donc de découvrir ce nouveau récit. Voici donc ce que j’en ai pensé…

« Quand les sorts d’histoire ranimés prennent leur essor, les gens qui les récitaient ne doivent-ils pas revenir à la vie?»

Réenchanter le passé

Les armées de ceux que j’aime commence dans un univers post-apocalyptique dont on peine, au début, à saisir les contours. Volontairement mystérieux, utilisant un vocabulaire poétique et imagé dont il faut parvenir à décoder le sens, ce monde se dévoile progressivement à nous au fur et à mesure de l’intrigue. Les points d’interrogation deviennent ainsi des symboles magiques, le plastique de l’os ancien, le coton de la brume solidifiée, dans ce monde qui a tout oublié et renié du passé à l’origine de la destruction du monde. J’ai particulièrement apprécié cet enchantement d’un quotidien inconnu, cette redécouverte finalement de ce qui nous entoure sous un autre regard, celui curieux, imaginatif et attachant de la jeune Franny. C’est dans ce monde de ruines qui mêle à la fois un retour à l’archaïsme et des éléments de technologie qui m’ont évoqué les images des jeux Horizon que nous suivons l’héroïne dans une suite de péripéties. Cette expédition dangereuse nous fait, comme elle, explorer le fonctionnement de cet univers mobile mais aussi les histoires qu’elle connaît du passé du monde, tout autant que son histoire personnelle.

« On ne se déplace jamais entre les villes. C’était l’un des plus graves péchés des anciens: ils parcouraient la Terre entière sur des engins vénéneux comme si ça ne te prêtait à aucune conséquence, s’envahissaient, se mélangeaient, répandaient des maladies et des fléaux. Ils enfreignaient les frontières et les limites.»

Un texte profondément humain

Aventure périlleuse et initiatique, c’est une novella qui parle de curiosité, de savoir tout autant qu’elle évoque la puissance des histoires mais aussi celle des liens. Profondément humain, comme toujours chez Ken Liu, le récit explore la question de la solitude et du deuil dans un univers où l’altruisme est une obligation. C’est un texte que j’ai trouvé touchant. Franny est un personnage intéressant, pour sa différence, pour ses réflexions mais surtout pour ses émotions qui la porte même si elle semble les enfouir. Si l’intrigue semble parfois un peu express et mériterait plus de temps, le format créant évidemment une petite frustration, j’ai été emporté par ce récit dont les éléments d’explications ne viennent que tardivement, suffisamment du moins pour avoir créé chez moi une curiosité similaire à celle de l’héroïne. Et si ce n’est pas le récit de Ken Liu qui m’aura le plus bluffé, je suis encore épatée par sa capacité à nous surprendre tout en conservant en trame de ces œuvres une réflexion sur l’humanité qui oscille sans cesse entre désarroi et beauté. Le final laisse également une impression plutôt durable.

« Plus que l’écume sur la vague qui avance, nous sommes sa courbe, ses ombres. Non seulement nous sommes nés dans l’océan, nous contenons des océans. Le sang qui court dans nos veines se compose des mêmes sels que ceux qui parfument l’océan - nous emportons des mers privées dont la houle imite le mouvement des marées.»

Un petit mot sur Alter

Je crains ici de ne pas avoir tout saisi. C’est un texte dense, très poétique, aux tournures et aux formules de langage particulièrement travaillées qui offre un texte polysémique dont il est assez complexe de saisir pleinement les contours. Il y question de notre rapport à la Nature, à la technologie et au langage. Il y question de renouveau, de nouvelle façon de faire et de vivre, d’harmonie enfin trouvée après la destruction. C’est assez envoûtant, saisissant même. J’ai été quelque peu ému par cette danse des mots. Mais c’est aussi terriblement complexe dans sa forme comme dans son propos. Je me suis sentie larguée à l’issue de la lecture. Difficile donc de vous dire si j’ai aimé ou non cette nouvelle. Mais j’ai envie d’y retourner, d’y perdre un peu de temps. Et en soit, c’est déjà bon signe.

En bref, Les armées de ceux que j’aime n’est peut-être pas le meilleur texte de Ken Liu mais il est indéniablement beau et propose un univers mystérieux qui apporte un certain enchantement poétique au monde. Le côté très humain du récit ainsi que la découverte finale qui reste en mémoire sont autant d’atouts qui m’auront personnellement conquise. Alter est un peu trop complexe à saisir mais conserve aussi une poésie folle qui me donne envie de m’y replonger plus tard.

« Ville de Boss, une montagne pleine de coins et de recoins. Temps futurs.
Le monde tel qu’on le sait n’existe plus. Ni non plus les sciences, la connaissance du passé ou celle de l’écrit. L’électricité est une magie précieuse. Ce qu’il reste de l’humanité vit sur le dos de cités mobiles qui, comme d’immenses animaux, poursuivent des desseins mystérieux sous l’égide de Pilotes qui le sont tout autant. Franny Fenway a quatorze ans ; elle est orpheline. Et s’il y a une chose que Franny aime par-dessus tout, elle à qui la vieille Prudence a enseigné le pouvoir des « sorts d’histoire », ce sont les questions. « Une question n’indique que le milieu d’une histoire, et non sa fin. » Or, Franny compte bien aller jusqu’au bout du récit de sa propre histoire, de celui de ses origines et du devenir du monde… »

(Illustration de couverture: © Aurélien Police)

- Livre reçu en service presse. Publication non rémunérée. Merci aux éditeurs. - 

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D’autres avis dans la blogosphère: Les lectures du Maki n’a pas accroché, chez le Syndrome Quickson on est un peu déçu tout en reconnaissant des qualités, L’épaule d’Orion a le cerveau qui gratte avec ce final…

[Lecture n°45 (59/60 points avec les bonus pour l'échelon 4 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 12 de Ma lecturothèque]