L'île

Paru en Islande en 2016, le roman d’anticipation L’île de l’autrice Sigríður Hagalín Björnsdóttir a été traduit par Éric Boury pour une publication en français aux éditions Gaïa en février 2018. Présenté lors de l’édition 2019 des Imaginales, mettant en avant les auteurs/autrices nordiques, il m’a à ce point attiré qu’il a provoqué un achat compulsif et une lecture immédiate. Aie-je eu raison de foncer tête baissée ?

Un roman d’anticipation glaçant de réalisme

Sigríður Hagalín Björnsdóttir nous propose avec ce roman, d’imaginer ce qui se passerait si l’Islande se retrouvait, du jour au lendemain, coupée du reste du monde. Une anticipation qui a des allures apocalyptiques en ce sens où le pays va devoir repenser son fonctionnement pour être auto-suffisant et faire face aux pénuries. Et sur une île comme l’Islande, à la fois dure et fière, ce changement prend évidemment des allures conservatrices et nationalistes qui s’imposent par l’histoire du pays. Avec son regard de journaliste, l’autrice nous offre un roman extrêmement réaliste qui plonge l’Islande, de manière lente et insidieuse, vers un totalitarisme fasciste dangereux et destructeur. Rien n’éclate subitement, tout apparaît petit à petit, de manière moins flagrante que dans les romans catastrophes habituels et c’est ce qui rend ce roman encore plus effrayant car complètement plausible. Quand la survie entre en jeu, la haine, guidée par la peur panique, prend le pas pour une montée du nationalisme en flèche. Et qui dit nationalisme, dit xénophobie. Alors forcément, quand il n’y a pas assez de vivres pour tous, que faisons-nous des étrangers et des "inutiles" ? Glaçant… Mais aussi terriblement vrai. J'aurai peut-être aimé plus de développements mais, en soit, c'était déjà très puissant dans toute cette retenue.

Une construction narrative haletante

Dans L’île, la narration alterne entre deux temporalités, celle d’un homme isolé dans un fjord qui se souvient des changements de son pays et celle, dans le passé, du moment de l’effondrement de la société. Mais l’autrice alterne également les points de vue de chapitres en chapitres, permettant de faire face à différentes situations et ainsi comprendre, à hauteur d’histoires intimes, le basculement global de l’Islande. Associé à des chapitres assez courts, cette construction narrative nous accroche complètement au récit qui, même si le rythme reste lent (mais dans un sens réaliste et non négatif), devient alors haletant. On retient son souffle à la lecture, on comprend ce qui se trame et on saisit aussi, malheureusement, à quel point c’est inévitable car sournois pour les protagonistes. Malheureusement, le parallèle avec notre réalité (notamment électorale) actuelle est évident: les signes sont là, et pourtant, nous, on n’est pas encore coupé du monde. Et pourtant, comme le disais Pierre Bordage ce week-end, à chaque mur qui se construit, c’est la fin du monde qui arrive plus vite… J’ai également beaucoup aimé les personnages de ce roman, très nuancés, très vrais aussi. On peut aisément se retrouver en eux et comprendre leurs actes, même les pires. A noter aussi, pour ceux qui aiment tout savoir, que cette narration n’apporte pas un éclairage global mais restreint et limité. On ne répond pas ici à toutes les questions mais c’est d’autant plus réaliste et c’est pour moi une force.

En bref, L’île est un excellent roman d’anticipation qui dépeint une Islande qui voit son conservatisme et son nationalisme exacerbé. Très réaliste, glaçant, haletant, c’est un roman qui se dévore sans peine et dont on ressort le souffle coupé.

« Il arrive que se produisent des choses qui rassemblent l’humanité tout entière, et chacun se rappelle l’endroit où il se trouvait quand il a appris la nouvelle. Le monde peut devenir si petit qu’il se résume à un seul être humain. À un homme minuscule dans un fjord abandonné d’Islande.

Un homme qui se souvient : comment toute communication avec le monde extérieur fut soudain coupée, comment réagirent le gouvernement, les médias, la population. Comment il réagit lui-même, journaliste politique flirtant avec les sphères du pouvoir, en couple avec María, musicienne d’origine étrangère.

Le pays, obsédé par son passé, croit pouvoir vivre en autarcie, rejette dangereusement tout ce qui n’est pas islandais, et réactive des peurs ancestrales. Faire face à la faim, dans un pays de volcans cerné par les eaux.

Comme un piège qui se referme. »

(Photographie de couverture: © Honzakrej/adobestock)

> Lire un extrait (© Gaïa éditions) <

[Lecture n°24/36 (pour l'échelon 3) pour le Challenge de Littérature de l'Imaginaire édition 7 de Ma Lecturothèque]