L'homme qui mit fin à l'histoire

En 2017 j’avais découvert l’écriture de Ken Liu avec Le Regard, un techno-thriller, publié dans la collection Une Heure-Lumière chez les éditions Le Bélial’, parfaitement maîtrisé en une centaine de pages. Puis Sandy du blog « Je ne sais point lire » a publié son avis sur L’homme qui mit fin à l’histoire, du même auteur, dans la même collection et elle m’a convaincu qu’il me fallait poursuivre ma découverte de Ken Liu. Ce roman court de science-fiction a été publié en 2016 chez Le Bélial’ et voici ce que j’en ai pensé…

" Il n'y a pas de monstre. Le monstre, c'est nous."

Une claque

Je l’avais déjà dit dans ma critique sur Le Regard, et je réitère, Ken Liu est un génie ! Avec L’Homme qui mit fin à l’histoire, il aborde une quantité incroyable de sujets avec une précision clinique, nous fait bouillonner l’esprit pendant et surtout longtemps après la lecture, nous provoque des émotions fortes, nous fait prendre conscience de faits historiques importants… et tout ça en 106 petites pages. Je suis bluffée par la maîtrise de cet auteur dans le format court. Il nous offre, en un rien de temps, un récit intense, puissant, riche et complet de science-fiction qui aborde des sujets forts et ce, de façon toujours très claire. À travers ce récit de voyage dans le temps pour apporter des preuves à des faits historiques passés, Ken Liu, nous fait prendre connaissance des actes de l’Unité 731. Cette unité japonaise a effectué des actes innommables sur les populations chinoises de Mandchourie entre 1936 et 1945 telles que des expériences médicales à base de vivisection et de transmission volontaire de maladies, mais aussi de tests d’armes biochimiques (et je passe sur toutes les autres tortures citées). C’est un fait dont les livres d’histoire parlent peu, car il n’y a aucune preuve physique ni survivant, il n’y a que les témoignages de ceux qui en faisaient partie et qui sont sans cesse remis en question. Ce sujet fort va permettre d’en aborder beaucoup d’autres, comme le négationnisme, le devoir de mémoire, la crédibilité d’un témoignage, la juridiction des faits passés, la quête de vérité à tout prix, les choix stratégiques et politiques, etc. Et ce, je le répète, en une centaine de pages ! Mon cerveau était en ébullition, j’ai été soufflé par ce récit à plusieurs niveaux et j’en ressors ébahie devant tant de maîtrise et de génie.

" Contre les victimes de ces atrocités, les négationnistes commettent un nouveau crime. Non seulement ils soutiennent les meurtriers et les tortionnaires, mais ils effacent et réduisent au silence les victimes du passé. Ils les tuent une fois de plus."

Un style étonnant

L’écriture est ici très particulière car cette fiction est écrite comme la description d’un documentaire vidéo, à base de mouvements de caméra, mais surtout de dialogues et d’interviews. C’est donc assez clinique, mais j’y étais préparé grâce à la critique de Sandy. Je m’attendais d’ailleurs à une grande aridité émotionnelle vu le format, mais j’ai été bien étonné de la quantité d’émotions que contient ce récit et j’ai, à plusieurs reprises, versé quelques larmes tant ce texte est intense. Et cette émotion n’est pas seulement due au sujet de l’unité 731, brutal et violent, mais aussi à tout ce qui gravite autour, jusqu’au sujet de l’héritage familial ou encore de l’amour. Ce format documentaire si atypique et déroutant me paraît être le meilleur choix possible pour ce récit, puisqu’il permet l’expression de plusieurs opinions, sans que l’auteur oblige à une prise de partie, et donc l’implication du lecteur qui se forgera son propre avis sur les divers sujets qui font débat. Ken Liu maîtrise à la perfection sa plume, choisissant chaque mot avec une précision incroyable et nous offre ici un texte très différent de celui que j’avais pu lire en 2017 ce qui prouve l’ampleur de son talent.

" Evan croyait qu'il se produirait une prise de conscience de cet ordre avec le voyage dans le temps. Voir et entendre le passé vous interdirait de rester apathique."

En bref, je pourrai déblatérer pendant des heures et vous proposer des arguments à l’infini pour vous expliquer combien ce livre est génial, mais aucun ne semble suffire à expliquer l’intensité avec laquelle il m’a scotché. Lisez-le.

"Futur proche.
Deux scientifiques mettent au point un procédé révolutionnaire permettant de retourner dans le passé. Une seule et unique fois par période visitée, pour une seule et unique personne, et sans aucune possibilité pour l'observateur d'interférer avec l'objet de son observation. Une révolution qui promet la vérité sur les périodes les plus obscures de l'histoire humaine. Plus de mensonges. Plus de secrets d'État.
Créée en 1932 sous mandat impérial japonais, dirigée par le général Shiro Ishii, l'Unité 731 se livra à l'expérimentation humaine à grande échelle dans la province chinoise du Mandchoukouo, entre 1936 et 1945, provoquant la mort de près d'un demi-million de personnes… L'Unité 731, à peine reconnue par le gouvernement japonais en 2002, passée sous silence par les forces d'occupation américaines pendant des années, est la première cible de cette invention révolutionnaire. La vérité à tout prix. Quitte à mettre fin à l'Histoire."

(Illustration de couverture : ©Aurélien Police)