L'amant

L’amant de Marguerite Duras, publié en 1984, est un de ses romans les plus célèbres qui lui a valu le Prix Goncourt et a été multiplement adapté, notamment au cinéma en 1992 sous la direction de Jean-Jacques Annaud. Le 22 janvier dernier, c’est une adaptation en bande-dessinée qui est parue aux éditions Rue de Sèvres. Cette dernière est signée par la mangaka Kan Takahama et est traduite et adaptée par Corinne Quentin. Et voici ce que j’en ai pensé…

[NB: Merci aux éditions Rue de Sèvres pour cet envoi inattendu.]

« Il n’a pas la force d’aimer au-delà de la peur. Il pleure souvent. C’est un homme qui fait l’amour pour lutter contre la peur.»

L’adaptation personnelle d’un grand classique

Avant toute chose, non je n’ai jamais fini la lecture du roman original (dont je pense avoir feuilleté vaguement 20 pages) et je ne suis pas une grande amatrice des oeuvres de Marguerite Duras. Aussi, je ne suis sans doute pas la mieux placée pour juger de l’exactitude de l’adaptation. Je peux cependant prévenir que cette version BD, si elle reprend bien la trame du roman, prend aussi quelques directions différentes liées à son autrice. Kan Takahama explique en effet en introduction à cette BD (qui, par ailleurs, est annoncée comme un manga mais qui a clairement le format BD donc je vais utiliser ce terme plutôt que celui de manga) qu’elle a été très marquée dans son adolescence par la lecture de L’amant de Marguerite Duras et qu’elle a sans doute versé dans cette version un peu de son sentiment de l’époque. On remarque notamment que bien que des éléments secondaires à l’histoire d’amour sont bien présents, notamment le lien mère-fille ou la relation de la famille avec le frère ainé, c’est quasi-exclusivement l’histoire entre la jeune femme et le chinois fortuné qui est abordée. C’est une adaptation donc assez personnelle, empreinte d’une mélancolie signature chez Kan Takahama, bien que fidèle à la trame principale. On sent tout de même un respect sincère de l’oeuvre originale et sa recherche, sur place à Saigon, apporte un vrai plus dans la retranscription de l’ambiance par l’illustration.

Des illustrations de qualité

Les dessins de Kan Takahama sont vraiment superbes, notamment pour ce qui est des paysages. On est transporté dans une ambiance lumineuse et douce qui brille de la chaleur suffocante de l’Indochine française. Fin, envoûtant, le dessin est un véritable atout qui sait attirer le lecteur même s’il n’est pas amateur de l’oeuvre adaptée. J’ai eu juste quelques réserves sur le visage de la jeune Duras qui, s’il est sensé traduire une certaine mélancolie, donne parfois l’impression d’une emprise narcotique un peu déstabilisante. Mais dans l’ensemble c’est vraiment qualitatif! Et tant mieux, car le dessin prend la part belle de cette oeuvre, ponctuée de peu de dialogues, nous laissant parfois des pages entières dénuées de mots mais pourtant très évocatrices. Par contre, ça ne suffit pas vraiment à sauver l’histoire originale quand on n’aime pas du tout l’oeuvre de Marguerite Duras. J’ai vraiment un peu de mal à me faire à cette relation empoisonnée par une soif d’argent générée par une famille défaillante et j’avoue ne pas parvenir à être touchée par cette jeune Marguerite Duras. L’amant, lui, est plus troublant, mais le côté homme mûr profitant de la jeune adolescente mineure me pose décidément problème et je n’arrive pas à passer outre.

En bref, l’adaptation ne m’a donc pas réconciliée avec Marguerite Duras, bien qu’elle soit une adaptation de qualité indéniable. Les dessins sont particulièrement beaux et la version un peu personnelle de Kan Takahama souligne un respect de l’oeuvre originale qui devrait plaire aux amateurs.

« La narratrice, c’est l’auteure elle- même. Elle a 15 ans et vit en Indochine avec sa mère, veuve, et ses deux frères. Pensionnaire dans un lycée pour étudier les mathématiques, elle ne rêve que de devenir écrivain. Sur le bac qui traverse le fleuve séparant son lycée de sa pension, elle fait la connaissance d’un riche Chinois. Ils tombent éperdument amoureux et s’engagent dans une relation régit par l’amour et l’argent qui durera un an et demi. Ils se voient régulièrement et ce premier amour fort mais ambigu impose à la jeune fille de faire face à la honte, la peur, la jalousie, et de parvenir à trouver sa place au sein d’une famille où il est difficile de s’affirmer.»

(Illustrations de couverture & extrait: © Kan Takahama)