Foodistan : après la faim du monde

Troisième titre de la collection RéciFs des éditions Argyll, Foodistan est une novella écrite par Ketty Steward et proposant un étrange roman post-Faim dans le monde. C’est avec curiosité et appétit que je me suis plongée dans ce récit. Et voici ce que j’en ai pensé…

« L’agroalimentaire se pansait indestructible et sans limites.

La Faim a occasionné beaucoup de dégâts, mais on peut lui reconnaître d’avoir mis à plat un fonctionnement toxique et destructeur. »

Un menu original et varié

Foodistan est une novella curieuse tant dans sa proposition que dans sa forme. Composé de 27 courts chapitres, le récit alterne entre des parties narratives avec un fil conducteur, des recettes culinaires inspirées d’oeuvres de la littérature de l’imaginaire, des extraits de livres de bonne manière et savoir-vivre à table et même des extraits plus atypiques comme un de La Bible. L’ouvrage constitue une forme d’expérimentation littéraire, explorant les genres et la narration d’une manière particulièrement savoureuse. Tout, pourtant, entre en cohérence avec l’univers qui se dessine en toile de fond. L’écriture, elle aussi, est une aventure à part entière. Ketty Steward use d’un vocabulaire « gourmand », usant de mots relatifs à la cuisine et à la nutrition pour remplacer de nombreux termes de la langue française et marquer l’importance du monde culinaire au Foodistan. Ainsi, les crises deviennent des cerises, les familles des vanilles, etc. L’autrice joue avec les sonorités de la langue mais aussi sur le sens qu’on donne aux mots. Ainsi, le gratin ou le haut du panier restent des mots utilisés tant en cuisine que pour parler des classes supérieures, illustrant déjà notre usage parfois surprenant de mots liés à l’alimentaire. L’expérimentation est parfois déroutante mais se déguste néanmoins avec un certain plaisir.

« Les cérémonies de repas des privilégiés du Gratin ne sont plus qu’un décor sans substance, une façon pour eux de sceller leur appartenance à une caste supérieure, moins animale que la masse mangeante. On sait que leurs perfusions servent aussi à les droguer.»

Et l’histoire dans tout ça?

On suit Maëlle, serrurière curieuse intéressée par les différents régimes alimentaires de ces compatriotes. Elle nous amène, via ses réflexions et ses pérégrinations, à découvrir ce monde « post-apérolyptique d’après la Faim ». On y découvre ainsi les façons de vivre au Foodistan, des différents régimes alimentaires parfois surprenants aux habitudes de divertissement en passant par la stratification toujours présente dans la société. C’est un univers où de nombreux pans de notre façon de vivre se sont améliorées, notamment dans le domaine alimentaire avec un plus grand respect de la nature (et pourtant le doute que cela soit suffisant) mais aussi un monde qui perpétue des inégalités. Il y a beaucoup de nuances et beaucoup de richesse dans cette novella. Cette histoire permet d’interroger notre rapport à la nourriture et à la production liée. Ketty Steward verse ainsi des réflexions sur ce que l’alimentation dit de notre société, tant dans ces injustices que ces modes en passant par l’aspect écologique lié, dans un monde où tout tourne autour de cet aspect. C’est délicieusement intéressant et atypique. Je suis pourtant un peu restée sur ma faim, perdant parfois le fil dans la construction moléculaire de l’ensemble qui a manqué, pour moi, d’un peu de consistance sur l’ensemble. C’est néanmoins un texte que je vous recommande d’aller picorer pour son originalité et son ingéniosité.

En bref, Foodistan est un curieux récit à l’originalité folle qui constitue une expérimentation littéraire particulièrement savoureuse. L’intrigue se tisse entre des chapitres plus atypiques composés de recettes et d’extrait de manuels de savoir-vivre et propose des réflexions intéressantes sur notre rapport à l’alimentation. Si je me suis un peu égarée en chemin, j’ai néanmoins trouvé l’ensemble très intéressant!

« Après la Faim du monde, la France est devenue le Foodistan. Les anciennes divisions sociales ont disparu, désormais remplacées par des régimes alimentaires : panivores, capacivores, pastavores… Chacun de ces régimes façonne ses propres mythes, sa propre langue, ses propres coutumes, ses propres recettes.
Dans un monde où la poursuite de la sustentation est devenue la quête essentielle de tous et toutes, le destin de Maelle l’emmènera à travers les différentes strates du Foodistan. Au fil de rencontres extravagantes, elle découvrira les régimes les plus excentriques et s’enrichira de nouvelles recettes. Au risque de publier son propre livre de cuisine ? »

(Illustration de couverture: © Anouck Faure)

[Diversité: pp pansexuel.le, pp végétarien.ne]

> Content warning <

D'autres avis sur la blogosphère: Les chroniques du chroniqueur, Le nocher des livres, ...

[Lecture n°46 (60/60 points avec les bonus pour l'échelon 4 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 12 de Ma lecturothèque]