De Profundis

Second roman de la scénariste belge Emmanuelle Pirotte, après Today we live (prix Edmée de la Rochefoucauld 2016), De profundis est paru à la rentrée littéraire de 2016. Publié aux éditions du Cherche Midi, ce roman d’anticipation m’avait attiré pour sa thématique, son déroulement en Belgique mais surtout par la très belle chronique qu’en avait fait Charlit des livres sur son blog (que je vous conseille vivement!). Près à affronter un monde dans le chaos? Alors suivez-moi…

« On était tous égaux devant Ebola. Une nouvelle peau, un ventre dégraissé, un coeur ou un foie synthétiques ne vous donnaient aucun privilège face à la maladie. Elle n’en avait rien à foutre que vous ayez un corps de trente ans tout frais tout neuf alors que vous aviez déposé les soixante. Roxanne était prête à parier que bon nombre de moribonds auraient allègrement troqué leur chair artificielle contre quelques années, quelques mois, quelques jours de plus à vivre dans de vieux corps déliquescents. »

Un roman en deux temps

Emmanuelle Pirotte a construit son roman de façon assez singulière puisque, sans transition, nous passons d’un genre littéraire à un autre et d’une ambiance à une autre. Tout commence avec un début extrêmement prometteur dans les rues de Bruxelles. Tout est chaos depuis le nouveau virus Ebola qui décime la population, les religions sont exacerbées pour faire face à l’horreur, l’extrémisme ultra présent et la barbarie quotidienne. Cette introduction dans un monde en plein chaos est bourré de réflexions sur la croyance, sur la nature humaine et sur le fonctionnement de la société belge. Beaucoup de questionnements sont introduits, et, à mon grand désarroi, ne seront pas développés et résolus par la suite. J’adorai cette première partie qui recelait tout ce que j’attendais de ce roman, mais j’ai regretté qu’aucune de toutes ces idées mises en avant ne soient développées par la suite, me laissant dans un profond désarroi. Sans transition, les deux protagonistes fuient à la campagne, se retrouvant loin du chaos omniprésent de la ville mais toujours avec l’horreur toute proche. C’est l’isolement qui prévaut, le fait de se retrouver coincer avec des gens envers lesquels on a des doutes, le silence oppressant et l’apprivoisement de cet autre qu’on ne connaît pas mais avec qui il va falloir survivre. On oscille alors entre conte fantastique et huis-clos provoquant un immense décalage avec la première partie et un mélange des genres étonnant. Ce décalage souligne celui que vivent aussi nos personnages et notamment Roxanne, femme très urbaine qui dépérit dans cette « tranquillité » pesante. Cela permet également d’ajouter un point de vue différent et très intéressant sur ce monde en pleine agonie et sur la nature humaine. Les 100 dernières pages nous emmènent encore vers un autre genre, celui du thriller, haletant au possible et nous accrochant aux pages de façon vorace après les légères longueurs liées à l’ennui de Roxanne. L’écriture suit finalement le rythme de cette femme, de ces émotions et de ces oscillations entre l’envie de mourir et le besoin inconscient de survivre. Cependant, si la seconde partie a le courage de proposer autre chose que ce qu’indique le résumé, j’y ai moins adhéré car elle manquait de réalisme (pour une raison que je n’évoquerais pas ici pour ne pas vous spoiler) alors que le début était profondément plausible. Cela m’a dérangé car ce n’était pas ce que j’en attendais. Je pense que j’espérais plus un récit à la Vogonzero et Le Lac (Yana Vagner, Mirobole éditions), plus proche de la réalité et d’autant plus glaçant aussi. Seule la première partie y répondait. 

« Les premiers hommes ont senti ce besoin de salut inhérent à leur nature, et c’est pour cela qu’ils ont inventé Dieu. Il est plus commode de s’en remettre à un juge suprême et invisible, dans un futur très lointain, que d’affronter sa culpabilité ici et maintenant, pour soi et pour tous.»

Un style assez percutant et critique

La plume d’Emmanuelle Pirotte est très cinglante mais pour autant agréable. Elle ne perd pas de temps en tergiversations philosophiques, son rythme est celui d’un véritable scénario, provoquant des changements de genre et de point de vue assez brutaux mais qui secouent le lecteur dans ses habitudes. Ses propos sont, par contre, parfois dérangeants pour moi car révélant un point de vue qui s’éloigne souvent de mes propres valeurs. Une chose est sûre, elle ne prend pas de pincettes. A cette image, le personnage de Roxanne est sans compromis et la plupart du temps détestable. Ce fait dérangeant est aussi, je le pense, voulu et se justifie par une volonté d’en faire un personnage lambda, sans qualité cliché mais pleine de défauts, de doutes et de faiblesses, comme nous tous. Emmanuelle Pirotte développe à travers elle une idée de la relation mère/fille rare et intéressante où, finalement, une femme n’est pas forcément la mère aimante par excellence. J’aurai peut-être apprécié un peu plus de développement sur l’apprivoisement des deux personnages. Stella, la fillette, est restée un peu trop en zone d’ombres de mon point de vue, et beaucoup de questions à son sujet resteront en suspens, tout comme les éléments de la première partie du récit. J’ai apprécié l’analyse que l’auteur faisait sur l’humanité, par des points de vue très différents et beaucoup plus large que ce que j’aurai pensé, notamment grâce à un personnage fort atypique de la seconde partie. Cependant, plutôt que d’aller vers de genre de développement, j’aurai préféré qu’Emmanuelle Pirotte nous apporte les éclaircissements qui me manquaient sur comment la société avait évolué ainsi, comment fonctionnait cette humanité à l’agonie, autrement que par quelques données par-ci par-là mais manquant d’approfondissement. 

En bref, De profundis a été une lecture étonnante, à la construction particulière et à l’écriture riche. Si il m’a légèrement déçu car n’étant pas ce que j’attendais de ce récit, je dois avouer que ce roman m’a tout de même fait passé un bon moment de littérature. Surprenant et haletant. 

« Bruxelles, dans un avenir proche. Ebola III a plongé l’Europe dans le chaos : hôpitaux débordés, électricité rationnée, fanatismes exacerbés. Roxanne survit grâce au trafic de médicaments et pense à suivre le mouvement général : s’ôter joyeusement la vie. Mais son ex-mari succombe au virus, lui laissant Stella, une fillette étrange dont elle ne s’est jamais occupée. Quand une bande de pillards assassine sa voisine, Roxanne part pour un hameau oublié, où l’attend une ancienne maison de famille. La mère et la fille pourront-elles s’adapter à ce mode de vie ancestral et à cette existence de recluses? »

(Photographie de couverture : © Mickaël Cunha)