Ce qui nous tue

Premier roman traduit en français de l’auteur américain Tom McAllister, Ce qui nous tue paraît ce 6 février aux éditions du Cherche Midi dans leur collection Ailleurs. Traduction du roman How to be safe paru en VO en 2018, Ce qui nous tue est présenté comme un anti-thriller mêlant humour noir et colère pour dénoncer la folie du monde. Il ne m’en fallait pas plus pour me donner envie, et voici donc ce que j’en ai pensé…

[NB: Merci Benoît et toute l’équipe du Cherche-Midi pour cet ouvrage!]

« En Amérique, on envoie les enfants à l’école pour se faire tuer et apprendre l’algèbre, la physique, l’histoire, la biologie, la littérature. Les nations moins civilisées ne possèdent pas de système aussi organisé pour assassiner leurs enfants.»

Un style qui claque

Dès le prologue de ce roman, on est happé par le style de Tom McAllister qui, par des phrases chocs et sans concession, nous offre un récit plaidoyer acide et puissant. Parfois trash, toujours acérée, l’écriture est un régal pour tous les amateurs d’humour noir et de satire. L’auteur nous dresse un récit marquant qui, par instants, nous touche là où ça fait mal quitte à nous déranger. On enchaîne en effet les punchlines qui nous remettent à notre place et soulignent la bêtise absolue d’un monde moderne qui est devenu fou dans lequel il serait sans doute plus que temps de revenir à la raison. La claque à la lecture est sacrément efficace! D’autant que certains chapitres se concentrent non plus sur le déroulé des évènements mais sur des règles de survie absurdes dans un monde aberrant pour mieux en souligner le dérèglement, ou encore sur les victimes, directes et indirectes, d’un drame qui, par rebonds, touche finalement une nation entière qui n’en retire malheureusement aucune leçon. On peut par moments regretter une certaine redondance due aux pensées cycliques du personnage principal, ainsi qu'un léger essoufflement dans le rythme à mi-récit, mais l'effet percutant reste entier du début à la fin.

« Mon problème, ce n’est pas le manque de bites. Mon problème, c’est la surabondance de bites, c’est d’être entourée de bites, c’est de me voir constamment rappeler qu’elles sont prêtes à être dégainées pour me servir de correction si je fais un pas de travers.»

Une critique virulente

La critique que fait Tom McAllister de la société américaine moderne, sclérosée par la paranoïa et adoratrice des armes à feu est magistrale. Son roman illustre à merveille la folie engendrée par la peur et l’absurdité des politiques de la haine qui, en réponse à un massacre répondent par un appel à la violence et au rejet de l’autre. L’auteur rappelle avec force que la paranoïa est également la porte ouverte à l’anéantissement de l’intimité, pour le bien de tous, mais aussi à l’exacerbation d’un patriarcat qui met réduit encore un peu plus la place de la femme dans une société qui l’écrase déjà. Un monde de cinglé donc, qui part à la dérive et contrôle, par l’omniprésence des médias, une foule de moutons aveuglés d’angoisse. Parmi eux, Anna, Anna qui voit son univers bouleversé, entre le trauma du drame et la destruction de son existence privée jetée en pâture au grand public. Anna qui désire une fuite devenue impossible et qui subit ce monde qui la broie. Anna à qui on ne peut que s’identifier malgré son drôle d’air et sa façon atypique de percevoir les choses, parce qu’elle aussi, plus que tout, est une victime d’une société qui part à la dérive et perd la raison. Anna qui, comme nous tous, espère retrouver le soleil dans un univers sombre et glacial…

« Des proches en état de choc diront sans ironie qu’il avait la vie devant lui, sans se douter que la perspective de vivre encore comme ça pendant cinquante ans n’était pas la solution mais plutôt la cause de son désespoir.»

En bref, Ce qui nous tue est un roman très puissant et dérangeant qui, à travers un massacr devenu ordinaire, illustre à merveille les dérives d’un monde devenu fou qui exacerbe la peur et la violence pour mieux contrôler sa population.

« Anna Crawford, professeure d’anglais au lycée de Seldom Falls, Pennsylvanie, est virée pour insubordination. Mauvais timing. Dans la foulée, un étudiant pénètre dans les locaux et se livre à une tuerie de masse : 19 morts, 45 blessés. Un temps suspectée par le FBI, Anna est rapidement innocentée. Mais le mal est fait : elle a été montrée du doigt, sa vie, jetée en pâture aux foules, ne sera plus jamais la même.

Autour d’elle, elle voit un monde devenir fou, qui pour seules réponses à ce drame atroce propose davantage de médias et de caméras, toujours plus de hashtags, d’armes, de virilité triomphante et de lois absurdes.»