Le silence qui cache la forêt

Le 2 novembre dernier, les éditions Gorge bleue publiait le premier roman de Marie Sélène intitulé Le silence qui cache la forêt. Sous une charte graphique épurée élégante, ce roman m’intriguait pour le côté performeuse de son autrice adepte de méditations longues mêlant philosophie, littérature et poésie. La mention d’un décor apocalyptique en plus a évidemment orienté mon choix… Voici donc ce que j’en ai pensé.

« Plus de cloches, presque plus de moteurs qui vrombissent, plus de rires et de discussions dans les rues, toutes fenêtres closes: le bruit de l’Est n’est plus que le long sifflement lancinant d’une bise qui ne s’arrête pas.»

Un court roman aux lectures multiples

Difficile de vous résumer Le silence qui cache la forêt qui est un roman à la narration particulière et qui contient, derrière son court format, une densité de lecture assez troublante. Il y a dans ce roman un aspect éco-fiction qui paraît tantôt central, tantôt décoratif et métaphorique. Il y a aussi une intrigue à base de secrets de famille, d’intériorité méditative et philosophique qui s’apparente parfois à un monologue imagé qui se détache de temps en temps du réel dans une envolée lyrique. Le silence qui cache la forêt est un premier roman pointu qui envoûte à la lecture. La plume de son autrice est sublime, poétique et mélancolique, et donne à son ouvrage une aura toute particulière. Il y a beaucoup à lire entre les lignes de ce roman, il y a différentes pistes de compréhension dans les métaphores que Marie Sélène file au vent. La narration peut perdre en route, tant elle se pare d’ellipses et tant elle est atypique. Il convient alors de se laisser porter, d’accepter de ne pas entrer dans une lecture classique. Je dois tout de même vous émettre un trigger warning pour des viols dans ce roman, des viols abordés comme le reste avec un détachement méditatif qui peut gêner mais qui est parfaitement logique dans la manière de penser et de se protéger de la narratrice, renfermée sur elle-même, coupée du reste du monde.

« Anna ne connaît pas le mal de mer, c’est même tout le contraire. Lorsqu’elle s’éloigne des terres, la symphonie se poursuit: dès que l’amarre ne la retient plus, le corps d’Anna, léger comme une plume, s’exalte, devient roc, s’ancre solidement dans le mouvement des flots. Sur l’océan, Anna se préserve des remous de son passé, bien plus menaçants que ceux que provoque la houle.»

Un décalage avec l’attente

C’était sans doute une erreur de ma part, mais la mention de décor apocalyptique dans la quatrième de couverture m’avait laissé suggérer un roman d’anticipation. Il me faut donc vous prévenir, si vous cherchez, comme je le pensais, un roman aux accents apocalyptiques, vous serez déçus. L’aspect météorologique est plus une image de la tempête intérieure d’Anna qu’un évènement apocalyptique. C’est un reflet de sa psyché qui impose le silence, et pourtant illustre la tempête qui gronde dans son âme, bien qu’il s’intègre physiquement comme décor et prétexte au roman. Cela n’a pourtant pas empêché mon plaisir à la lecture, tant j’ai été soufflée par les mots de Marie Sélène, touchée aussi par les messages portés par cette brise, entre féminisme et acceptation de l’existence de traumatismes. C’est un corps à corps avec nos propres silences que nous propose ce roman, une libération des mots marquante qui touchera particulièrement ceux qui vivent eux aussi reclus dans leurs tempêtes intérieures quitte à se couper de l’autre et de la vie. Un livre qui, bien qu’il ne m’ait pas convaincue à 100%, est de ceux qu’on aura plaisir à relire pour y saisir chaque fois un nouveau message soufflé par le vent.

En bref, Le silence qui cache la forêt est une lecture troublante, un roman atypique qui se veut à la fois psychologique et philosophique au coeur d’un décor battu par le vent. Avec la plume magnifique de son autrice, ce roman est un bien beau voyage intérieur. Mais sa narration particulière peut perdre un peu à la lecture et ne conviendra pas forcément à tout le monde.

« Une tempête inexplicable a élu domicile dans le ciel du Grand Est, laissant le reste du territoire profiter d’un éternel beau temps. Météorologue qui a choisi l’exil au large des côtes, Anna est sommée de rejoindre la terre ferme, pour étudier et tenter d’élucider ce mystère. 

Dans un décor apocalyptique et déserté, Anna entame à son corps défendant une véritable course contre le temps. Elle devra se mesurer à la météo, certes, mais aussi à l’héritage familial et à sa propre histoire qui, s’ils sont tous deux passés sous silence, résonnent pourtant d’un étrange écho.»

(Illustration de couverture: © Caroline Pageaud)