Le meilleur des mondes

Écrit en 1931 et paru en 1932, Le meilleur des mondes d'Aldous Huxley est aujourd'hui un incontournable classique dans le genre de la dystopie anticipative avec plus de 650 éditions différentes à travers le monde. Je l'avais déjà lu il y a plusieurs années dans un cadre scolaire sans pouvoir en saisir toute la saveur. Le Challenge des Littératures de l'Imaginaire proposant un menu "classiques de SFFF", j'ai été tentée de le relire cette année. C'est dans une édition suisse, Crémille, de 1973 et illustrées que j'ai eu le plaisir de redécouvrir une oeuvre dont il me restait de bien vagues souvenirs. Et voici ce que j'en ai pensé…

« Les primevères et les paysages, fit-il observer, ont un défaut grave: ils sont gratuits. L’amour de la nature ne fournit de travail à nulle usine. On décida d’abolir l’amour de la nature, du moins parmi les basses classes. »

Un classique pas si daté que ça

Vision pessimiste du progrès scientifique, si ce titre pouvait faire rire ses premiers lecteurs (en tout cas c’est que d’indique la post-face de cette édition), Le meilleur des mondes est aujourd'hui troublant de réalisme et, en conséquence, glaçant. Dans cette société aseptisée à l’extrême et déshumanisée, le mot d’ordre est la stabilité. Et pour se faire, quoi de mieux que contrôler les humains dès leur « production » en les conditionnant à devenir des petits êtres parfaitement adaptés à la société et au destin qui sera le leur en fonction de leur caste, choisie dès le stade embryonnaire. Charmant, n’est-ce pas? Cette vision du futur qu’avait Huxley n’est pas sans rappelé certaines dérives qui ont eu lieu après sa publication, notamment à la Seconde Guerre Mondiale, mais aussi de nos jours. Aussi si certains éléments sont évidemment datés, par exemple l’élévation de Ford au rang d’exemple ultime, d’autres sont malheureusement très visionnaire et donne au récit une aura particulièrement angoissante. Certains éléments ne m’avaient pas assez frappé à la première lecture et m’ont aujourd’hui sauté aux yeux au point de me mettre mal l’aise, par exemple l’aspect consumériste de la société (et oui, j’ai entendu « Avez-vous consommé? » de Bonheur™ m’assaillir en boucle… ce livre me hante!). Le meilleur des mondes mérite donc toujours d’être lu aujourd’hui et fait naître encore beaucoup de réflexions sur l’humanité et la société actuelle et à venir. 

« -Vous n’avez pas le désir d’être libre, Lenina?

-Je ne sais pas ce que vous voulez dire. Je le suis, libre. Libre de me payer du bon temps, le meilleur qui soit. « Tout le monde est heureux, à présent! »

Il se mit à rire.

-Oui, « tout le monde est heureux à présent! » Nous commençons à servir cela aux enfants à cinq ans. Mais n’éprouvez-vous pas le désir d’être libre de quelque autre manière, Lenina? »

Un décalage culturel mais une puissance évocatrice forte malgré tout

Si Le meilleur des mondes a été traduit à travers le monde entier, il est avant tout un roman britannique et s’inscrit, sur de nombreux aspects, dans sa culture originelle. Ainsi, certains éléments, notamment les passages liés à Shakespeare, sont un peu décalés dans la traduction française et ne nous parlerons pas autant qu’à un lecteur anglais baigné dans cette tradition littéraire. Malgré tout, cela n’empêche pas de saisir l’essentiel du récit et son message principal. D’autant que pour un texte de 1932, ce roman n’est pas compliqué ni dans sa construction ni dans son style. J’aime notamment particulièrement la construction du chapitre trois que je trouve d’une puissance folle. Alternant de points de vue à un rythme de plus en plus accéléré (2 phrases / saut de ligne / changement…), ce chapitre nous emporte dans une spirale qui permet à la fois de saisir l’ambiance oppressante de cet univers, les pensées des personnages principaux et la propagande qui règne dans cette société. Le tout en quelques pages. L’ensemble du récit est d’ailleurs assez marquant. Et si certaines réactions des personnages sont difficiles à saisir, car très éloignées de notre mode de pensée, ou qu’on aimerait voir certains évoluer plus, on comprend les messages d’Huxley sans peine et on en ressort le cerveau bouillonnant. 

En bref, Le meilleur des mondes est un classique inévitable qu’il faut avoir lu au moins une fois dans sa vie. Jalon majeur de la dystopie, réflexions visionnaires sur notre monde et ses dérives, roman puissant, c’est un titre qui mérite son statut, et ce, malgré ses défauts. 

« Bienvenue au Centre d'Incubation et de Conditionnement de Londres-Central. À gauche, les couveuses où l'homme moderne, artificiellement fécondé, attend de rejoindre une société parfaite. À droite : la salle de conditionnement où chaque enfant subit les stimuli qui plus tard feront son bonheur. Tel fœtus sera Alpha – l'élite – tel autre Epsilon – caste inférieure. Miracle technologique : ici commence un monde parfait, biologiquement programmé pour la stabilité éternelle... La visite est à peine terminée que déjà certains ricanent. Se pourrait-il qu'avant l'avènement de l'État Mondial, l'être humain ait été issu d'un père et d'une mère ? Incroyable, dégoûtant... mais vrai. Dans une réserve du Nouveau Mexique, un homme Sauvage a échappé au programme. Bientôt, il devra choisir : intégrer cette nouvelle condition humaine ou persister dans sa démence… »

[Lecture n°31/36 (pour l'échelon 3) et fait partie des auteurs classiques j’ai choisi (catégorie D - 3/3) pour le Challenge de Littérature de l'Imaginaire édition 7 de Ma Lectorutothèque]