Auprès de moi toujours

Prix Nobel de littérature 2017 et récompensé de très nombreux prix, notamment honoré pour Service rendu à la littérature par l’Empire britannique, l’auteur Kazuo Ishiguro est connu pour de nombreux best-sellers dont notamment Auprès de moi toujours. Publié en 2005 puis en 2006 en français aux éditions des Deux terres, ce roman a fait l’objet d’une adaptation au cinéma par Mark Romanek en 2010 que j’avais beaucoup aimé. Il me tardait depuis de lire cette oeuvre, et voici ce que j’en ai pensé…

Kazuo Ishiguro ou l’art de créer une intensité forte avec subtilité

Auprès de moi toujours est un roman de science-fiction dont l’univers se dévoile lentement à travers le récit de Kath, jeune femme qui raconte son histoire présente mais surtout passée via ses souvenirs d’enfance. Dévoilant des indices au fur et à mesure du récit, Kazuo Ishiguro intrigue son lecteur qui doit lui-même assembler les éléments pour saisir ce qui se passe, qui sont ces enfants et pourquoi leur vie est si particulière. Avec une précision infinie, l’auteur reste sans cesse sur un fil bien mince entre révélations et mystères et emporte le lecteur dans cette découverte pro-active qui crée une immersion forte. L’intrigue soulève alors de nombreuses questions importantes, sans jamais vraiment les poser, amenant le lecteur à la réflexion avec une infinie subtilité. Le roman en devient dès lors assez marquant, laissant une impression pérenne dans notre esprit puisque s’y étant installé avec finesse et force par les débats qu’il crée en nous. Si j’aime ce roman, c’est essentiellement dû au fait que les questions abordées sont de celles qui me passionnent, notamment l’interrogation du concept d’âme et d’humanité. Ainsi, tout en finesse, l’auteur laisse une impression marquante et cette apparente simplicité dans la plume cache en fait une justesse impressionnante. 

« […] dehors, il y a des gens comme Madame, qui ne vous détestent pas et ne vous souhaitent aucun mal, mais qui frissonnent néanmoins à la seule pensée de votre existence - de la manière dont vous avez été amené dans ce monde et pourquoi - et qui redoutent l’idée de votre main frôlant la leur. »

La puissance dans la lenteur

J’ai souvent lu des critiques négatives qui parlait de la lenteur du récit par rapport à ce roman. Et si, effectivement, il y a quelques longueurs, je trouve qu’au contraire elles sont ici une force car elles contribuent à créer une intensité à la fois émotionnelle et narrative. Nous permettant à la fois la découverte progressive de l’univers, mais aussi de Kath, Tommy et Ruth, ce choix de rythme va accentuer la force des révélations qui seront faites et a provoqué chez moi une émotion particulièrement marquante par cette cuisson à feu doux. Car comme les personnages, et parce que l’idée d’une révélation massive qui explique tout semble impossible, on se laisse aller à croire aux théories, à rêver nous aussi, et cette implication émotionnelle laisse des traces. Et si, sous de nombreux aspects, le roman reste assez classique malgré une classification dystopique, c’est ce réalisme prégnant qui fait de ce roman quelque chose de tout à fait crédible et de marquant sur le long-terme. Avec tout ça, pourquoi n’aies-je pas annoncé une alerte coup de coeur? Tout simplement à cause de Ruth, Ruth qui, si elle est tout aussi bien développé que les autres personnages, me laisse un sentiment de rancoeur et de colère à chacune de ses apparitions et, de fait, gâche un peu mon plaisir.

« J’ai vu un monde nouveau arriver rapidement. Plus scientifique, efficace, oui. Plus de traitements pour les anciennes maladies, très bien. Mais un monde dur, cruel. Et j’ai vu une petite fille, les yeux hermétiquement fermés, tenant contre sa poitrine le vieux monde généreux qui - elle le savait au fond de son coeur - ne pourrait pas demeurer, et elle le tenait et suppliait: auprès de moi toujours. »

En bref, Auprès de moi toujours est un roman fort, dont les sujets sont abordés avec une infinie subtilité, toujours sur un fil mince qui fait osciller le lecteur entre indices et doutes, pour l’amener à s’impliquer dans cette lecture et l’empêcher ainsi d’en ressortir indemne.

« Jadis, Kath, Ruth et Tommy ont été élèves à Hailsham ; une école idyllique, nichée dans la campagne anglaise, où les enfants étaient protégés du monde extérieur et élevés dans l'idée qu'ils étaient des êtres à part, que leur bien-être personnel était essentiel, non seulement pour eux-mêmes, mais pour la société dans laquelle ils entreraient un jour.

Mais pour quelle raison les avait-on réunis là ? Bien des années plus tard, Kath s'autorise enfin à céder aux appels de la mémoire et tente de trouver un sens à leur passé commun. Une histoire d'une extraordinaire puissance, au fil de laquelle Kath, Ruth et Tommy prennent peu à peu conscience que leur enfance apparemment heureuse n'a cessé de les hanter, au point de frelater leurs vies d'adultes.»

Pour lire un extrait, cliquez ici.

Bande-annonce du film de Mark Romanek (2010):