Sous la brume

Sorti fin avril aux éditions de L’Homme sans Nom, Sous la brume est le tout nouveau roman de Yann Bécu, auteur dont j’avais beaucoup apprécié les deux premiers romans chez le même éditeur. Roman de science-fiction et enquête policière, Sous la brume était plein de promesses et voici ce que j’en ai pensé…

« On a beau payer ses taxes, acheter bio, faire du Pilates et trier ses poubelles…. Trois semaines avec la gamelle vide, ça vous changer n’importe quel homme en pitbull énervé.»

Imaginez une technologie qui vous permettrait d’entendre les sons d’une création. Qu’est-ce qui s’est dit durant la peinture de la Joconde et son énigmatique sourire ? Ne voudriez-vous pas réentendre la voix de vos proches disparus grâce à une lettre ou une œuvre qu’ils auraient réalisée ? Découvrir celle de vos ancêtres également ? Bien sûr ! Mais si cela devait détruire irrémédiablement l’objet en question, est-ce que ça en vaudrait tant la peine ? C’est l’idée de départ de Sous la brume. De là, Yann Bécu nous offre un roman d’anticipation bien plus dense que le rythme de l’intrigue ne le laisserait suggérer et une enquête policière sous couverture qui n’oublie ni la tension, ni les rebondissements et ni l’émotion. Extrêmement efficace, le roman nous embarque sans peine au fil de la plume sarcastique de son auteur, au cœur d’une intrigue qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer. J’ai aimé être surprise, j’ai aimé l’audace de ce récit qui propose de la science-fiction grand spectacle, mais sans jamais oublier l’échelle humaine. Il y a en effet de l’émotion dans l’histoire de ses personnages, des thématiques touchantes comme le deuil, celui de ceux qu’on aime comme celui de nos rêves passés, ou encore cet espoir qu’on garde chevillé au corps et qui nous permet de continuer à avancer. Et au cœur de tout cela, une réflexion riche sur notre rapport à l’art, à l’objet culturel, mais aussi au souvenir. Qu’est-ce qui définit ce qui doit être préservé ? Que restera-t-il de nous quand nous ne serons plus là ?… C’est la prouesse de Yann Bécu : offrir un roman haletant, surprenant et divertissant dans lequel notre cerveau tourne finalement à plein régime, et ce longtemps encore après avoir tourné la dernière page.

« Réseau, boulot, dodo …

On réalise qu’on n’est au fond guère plus vivant que son avatar… Dans le jargon des psys, c’est ce qui s’appelle « pixelliser ». Cette forme de déprime est, paraît-il, le vrai mal du siècle - même s’il vient en fait juste après l’indétrônable mal de dos. Ma vie a-t-elle un sens ? se demande-t-on. Cette colle existentielle, désormais dix milliards d’êtres humains se la posent au réveil, suivie de Pourquoi suis-je ici? et de Que puis-je espérer? entre le café et brossage des dents.»

À partir de son histoire, l’auteur tisse un univers d’anticipation riche et dense lui permettant d’interroger de nombreux aspects de notre société en explorant ses possibles avenirs. Il évoque notamment, entre les lignes, la crise climatique qui modifie les territoires, en vidant certains aujourd’hui fort occupés, créant des conflits de ressources et changeant notre façon de vivre jusque dans notre quotidien avec notamment un temps d’hydratation limité par personne selon son statut social. Mais il interroge surtout notre lien aux technologies, des temps de vie passés en ligne qui font perdre jusqu’au sens de notre existence, aux risques du tout automatisé, que ce soit pour le monde de l’emploi, mais aussi pour notre capacité à survivre quand tout s’arrête. IA et androïdes remplaçant l’humain sont ainsi légion dans ce monde futuriste, créant parfois de l’efficacité certaine tout autant qu’un immense chaos particulièrement comique. Sous couvert d’humour, Yann Bécu dénonce et pointe du doigt des dérives déjà bien actuelles. Décidément, il y a, sous cette brume, énormément de sujets passionnants qui sont abordés, mine de rien, au cœur d’une intrigue très efficace et qui sème les graines de réflexions passionnantes. Si je peux reprocher une épaisseur scientifique peut-être un peu légère pour certains éléments clés du récit, et qui bloqueront certainement un lectorat de hard-SF, j’ai trouvé ce roman globalement très réussi et notamment parfaitement équilibré entre humour, tension et émotion. 

En bref, c’est un nouveau coup de cœur pour ce roman de Yann Bécu qui constitue, pour moi, le meilleur qu’il ait écrit à ce jour. Tout y est : un univers d’anticipation dense proposant de formidables réflexions sur notre monde, une enquête passionnante qui surprend par son audace, des personnages aux histoires touchantes et la plume joyeusement sarcastique de l’auteur qui dénonce notre rapport aux technologies. Le tout dans un récit qui évoque beaucoup l’importance de l’art, de la culture mais aussi du souvenir.

« Imaginez une technologie capable de repêcher des sons dans les Objets du passé... Le papyrus Jarf recracherait des pistes audio millénaires : entre Tourah et Gizeh, on entendrait les voix des Égyptiens chargés d’alimenter en pierres la future pyramide de Khéops... Les céramiques mycéniennes nous ouvriraient les portes dérobées de la Grèce antique... Des pans entiers de l’histoire romaine jailliraient des innombrables poteries samiennes... Quel latin ont parlé les Romains du Ier siècle avant notre ère ? Qu’a chanté le petit peuple au sujet d’Antoine et Cléopâtre ? Qu’ont murmuré les potiers de Pompéi juste avant l’éruption du Vésuve ? 

Où qu’on se penche, les possibilités seraient prodigieuses... 

En 2090, cette technologie existe. Elle se nomme POSEIDON®... 

Et elle cache un terrible secret. »

(Illustration de couverture : © Xavier Pavion)

[Diversité: ps asiatique - coréen.ne, ps arabe - irakien.ne, ps aveugle]

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[Lecture n°16 (21/60 points avec les bonus pour l'échelon 4 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 13 de Ma lecturothèque + thème trimestriel Printemps - exploration, espace, voyage]